Accord de libre-échange : l’Union européenne et la Nouvelle-Zélande innovent en matière de bien-être animal

L’Union européenne et la Nouvelle-Zélande ont signé un accord de libre-échange le 9 juillet 2023 après cinq années de négociations. Cet accord a pour effet de lever les obstacles au commerce de produits d’origine animale entre les deux parties. La libéralisation de ces échanges est cependant soumise au respect de normes en matière de développement durable et de bien-être animal.

Le 9 juillet 2023, l’Union européenne (UE) et la Nouvelle-Zélande ont signé un accord de libre-échange. Un accord de libre-échange est un accord international, qui prend le plus souvent la forme d’un traité, signé entre deux ou plusieurs pays, ou groupes de pays, appelés « partenaires commerciaux » de sorte à réduire les obstacles à leurs échanges commerciaux. En l’absence d’accord de libre-échange, les pays qui importent des produits doivent s’acquitter d’un certain nombre de coûts, au premier desquels les droits de douane, imposés par le pays exportateur. Un accord de libre-échange permet de réduire ou de supprimer ces coûts, favorisant ainsi les échanges commerciaux entre les pays signataires de cet accord. On parle d’un accès préférentiel au marché des pays concernés par ce type d’accord.

L’Union est le troisième partenaire commercial de la Nouvelle-Zélande, cette dernière exportant du vin, des fruits et de la viande vers l’UE. En 2022, le commerce entre l’UE et la Nouvelle-Zélande représentait ainsi 9 milliards de dollars. L’accord conclu entre l’UE et la Nouvelle-Zélande comporte des engagements sociaux et environnementaux, souvent justifiés par la notion de durabilité. L’accord comprend ainsi des chapitres renvoyant au développement durable, aux systèmes alimentaires durables ou encore au bien-être animal. Cet accord UE-Nouvelle-Zélande est présenté par la Commission européenne comme s’inscrivant dans la ligne du Pacte vert européen, dont l’un des quatre piliers concerne « des échanges commerciaux ouverts pour des chaînes d’approvisionnement résilientes ».

Un chapitre stimulant une coopération en matière de bien-être animal

L’accord de commerce entre l’UE et la Nouvelle-Zélande contient un chapitre consacré au bien-être animal, dans lequel les signataires conviennent que les « animaux sont des êtres sentients » et reconnaissent leurs normes respectives de bien-être animal. Les parties s’engagent également à « coopérer pour établir des normes de bien-être animal fondées sur la science et à élargir le champ d’application des normes de l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA) en matière de bien-être animal ».

Cependant, la rédaction du présent accord UE-Nouvelle-Zélande est peu opérante. La notion de « coopération » entre les deux partenaires commerciaux dans le domaine du bien-être animal se retrouve au centre des dispositions de ce chapitre mais celui-ci ne crée aucune norme contraignante. En effet, les normes de l’OMSA se caractérisent par un niveau de contrainte faible du fait du caractère vague de leur rédaction. Il aurait en effet été plus ambitieux de se référer à une application, aux produits importés, des normes de production plus durable du pays importateur, dans la mesure où la Nouvelle-Zélande vient d’interdire l’exportation des animaux vivants ainsi que l’utilisation des cages pour les truies gestantes.

En outre, la question des normes de bien-être animal se trouve dans un chapitre autonome du Traité, séparé du chapitre sur le développement durable et de celui sur des systèmes alimentaires durables, ce qui contribue à l’isolement de la question animale par rapport aux autres normes, davantage ambitieuses. Une telle vision segmentée semble pourtant aller à l’encontre du concept d’« Une seule santé » pourtant promue à grand renfort par la Commission européenne. 

Une mesure préférentielle inédite sur la viande bovine

Autre fait notable, l’accord prévoit de favoriser les échanges commerciaux de viande bovine entre les deux partenaires par le biais de la création de contingents tarifaires applicables à une série de produits à base de viande bovine. Un contingent tarifaire est un quota qui permet de réduire les droits de douane sur un produit dans une quantité déterminée. Cela permet l’application de taux préférentiels. Sont concernées notamment les préparations à base de viande bovine issues « d’animaux élevés dans les conditions de l’agriculture pastorale néo-zélandaise ». Cependant, seuls les produits bovins issus du pastoralisme bénéficient des conditions du libre-échange. Bien que les parties n’aient pas prévu une définition de cette méthode de production dans le Traité, celui-ci précise de manière explicite que le contingent tarifaire n’est pas applicable aux « feedlots » néozélandais.

La méthode de production en « feedlots » se caractérise par l’utilisation de parcs bovins de plusieurs hectares qui concentrent les animaux. Ayant une grande capacité de production, les feedlots sont à l’origine d’externalités négatives en matière environnementale, sanitaire et éthique. Tout d’abord, sur le plan environnemental, la concentration d’animaux favorise la multiplication et la transmission de pathogènes et le développement d’épidémies tandis que l’importante production de déjections animales constitue également une source forte de pollution des sols, de l’air et de l’eau.

De plus, l’élevage en feedlots tel que pratiqué en dehors de l’UE est souvent incompatible avec les normes sanitaires fixées dans les réglementations européennes telles que le règlement 178/2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire en ce qui concerne la prévention de la propagation des organismes nuisibles et des maladies chez les animaux, ou encore le règlement 2019/6 relatif aux médicaments vétérinaires qui limite l’utilisation d’antimicrobiens. Enfin, s’agissant du traitement réservé aux animaux, les animaux élevés en feedlots sont nourris avec des aliments trop riches qui ne correspondent pas à leurs besoins nutritionnels, la propreté des enclos n’est pas toujours garantie tandis que les temps de transport entre les pâturages, parcs d’engraissement et abattoirs sont très longs. Malgré ces nombreuses externalités, les produits bovins issus des feedlots ne sont pas exclus de l’ensemble du Traité de libre-échange ; ils sont seulement exclus des conditions favorables de libre-échange.

Vers une évolution des accords de libre-échange signés par l’UE ?

La référence à l’« agriculture pastorale » renvoie quant à elle à un élevage en  pâturage. L’inclusion des produits issus de l’élevage pastoral et l’exclusion des produits issus de feedlots des contingents tarifaires sur la viande bovine pour la première fois donne donc une certaine cohérence à l’action de l’UE dans les domaines de sa politique commerciale, sa politique agricole commune et du Pacte Vert.

L’inclusion d’une mesure conditionnant le bénéfice d’un traité de libre-échange à une méthode de production davantage durable pourrait marquer un changement de doctrine de l’UE en matière de politique commerciale en ouvrant la porte à une généralisation de ce type de dispositions dans les traités de libre échange que signera l’UE. Cependant, les traités en vigueur avec les partenaires commerciaux qui produisent et exportent vers l’UE le plus de viande bovine ne comprennent pas de telles dispositions, tel que l’accord de libre-échange UE-Canada. Ainsi, la conclusion de ce type de mesure dans les traités commerciaux dépend largement du niveau de durabilité des méthodes de production couramment pratiquées dans les pays tiers avec lesquels l’UE signe des accords commerciaux. Bien que le traité UE-Nouvelle Zélande marque une étape positive vers une politique commerciale davantage durable et moins cruelle, il semble donc peu réaliste que ce type de mesures se généralisent. Récemment, les négociations pour un accord de libre-échange entre l’UE et l’Australie n’ont pas abouti. Le 29 octobre, le ministre australien du commerce, Don Farrell, a souhaité renouveler le projet de compromis concernant les productions agricoles tels que les secteurs de viandes bovine et ovine. Malgré près d’une année d’échanges techniques entre les parties prenantes, ce projet de compromis est apparu trop éloigné des positions portées par l’Union européenne.

Pauline Koczorowski

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