Loi Biodiversité: interdiction des néonicotinoïdes au 1er janvier 2018?

Plus de trente années de polémique auront donc été nécessaires avant qu’enfin les néonicotinoïdes, insecticides présumés responsables de la mort d’un quart des abeilles chaque année en France, soient « presque » interdits. Il aura fallu attendre la deuxième révision de la loi Biodiversité par l’Assemblée nationale, le 17 mars 2016, pour obtenir une promesse d’interdiction d’utilisation de ces produits… mais seulement à compter du 1er janvier 2018 (1).

L’interdiction d’usage des néonicotinoïdes, un long combat…

Dès les premières mises sur le marché de ces nouveaux insecticides, au début des années 1980, de nombreuses voix se sont élevées contre leur utilisation, notamment du fait d’une absence de connaissances sur ses conséquences pour les pollinisateurs. Ainsi, en 2002, Roselyne Bachelot (ministre de l’Écologie) déclara la guerre au Gaucho (2), produit de la firme phytosanitaire allemande Bayer dont la molécule active imidaclopride appartient à la famille des néonicotinoïdes.

En parallèle, les études scientifiques relatives à ces produits démontraient que le Gaucho et la centaine de produits sous lesquels les néonicotinoïdes sont distribués en Europe étaient déjà impliqués dans la crise de mortalité des abeilles domestiques (3). Le débat quant à leur impact sur les pollinisateurs a refait surface en 2013. Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, obtint une suspension partielle de l’utilisation sur certaines cultures de trois des sept molécules de la famille des néonicotinoïdes pour deux ans, le temps pour l’Union européenne d’évaluer leurs effets sur la biodiversité.

En juin 2015, les ministres français de l’Écologie, de la Santé et de l’Agriculture ont demandé à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) d’évaluer les risques de l’utilisation des néonicotinoïdes pour les abeilles et les autres pollinisateurs. Cet avis de l’ANSES a été remis aux ministres le 7 janvier 2016. Il énonce clairement que « l’utilisation des insecticides néonicotinoïdes entraîne de sévères effets négatifs sur les espèces pollinisatrices » (4).

À l’occasion des lectures du projet de loi « reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages », dite loi Biodiversité, les parlementaires ont été amenés à se prononcer quant au maintien ou non de l’usage des néonicotinoïdes. L’article 51 (5) vise à interdire l’utilisation de toutes les molécules de la famille, pour tous les usages et sur toutes les cultures. Ministres, députés et sénateurs ont usé de toutes leurs influences lors des deux premières lectures de ce projet de loi.

Le 24 mars 2015, le projet de loi et son article 51 ont été adoptés en première lecture par les députés. Les sénateurs, dont la première lecture eut lieu le 26 janvier 2016, connaissant les conclusions de l’ANSES, ont quant à eux demandé que le ministère de l’Agriculture « détermine les conditions d’utilisation des produits à base de néonicotinoïdes en prenant en compte les conséquences sur la production agricole, notamment au regard des alternatives de protection des cultures disponibles. » (6). Pour cette raison, l’article 51 a été rejeté par les sénateurs.

Le 9 mars 2016, l’article 51 est réintroduit par la Commission du développement durable de l’Assemblée nationale, soutenu par une soixantaine de députés. Un lobbying se met en place demandant qu’à l’occasion de la deuxième lecture de cette loi Biodiversité, l’action parlementaire, par son vote, « manifeste un soutien déterminant pour contrebalancer le poids du lobby de l’agrochimie » (7).

Cependant, le 16 mars 2016, la veille de sa deuxième lecture à l’Assemblée nationale, Stéphane Le Foll, défavorable à l’article 51, a incité par courrier les parlementaires à ne pas « mettre en péril les rotations des cultures ». Selon lui, l’interdiction des néonicotinoïdes est contraire à l’agroécologie. Les arguments avancés en faveur du maintien des néonicotinoïdes sont l’absence d’alternatives efficaces pour le traitement des cultures existantes.

L’interdiction des néonicotinoïdes serait pour lui un « recul dans la politique que mène le gouvernement pour protéger pollinisateurs, domestiques et sauvages » (7). Cependant, en parallèle, il se dit « favorable à réduire encore, le risque d’exposition des colonies d’abeilles », mais cela « ne peut se faire en créant des distorsions entre les agriculteurs français et le reste des agriculteurs européens ». En effet, il estime que « la politique française doit se conduire au bon niveau, au niveau européen ». La lettre du ministre n’aura finalement pas convaincu.

Les députés, à raison de 30 voix contre 28, ont obtenu l’interdiction de l’usage des néonicotinoïdes à l’horizon 2018. Reste maintenant au Sénat à se prononcer lors de sa deuxième lecture (1). Le débat sur l’utilisation des néonicotinoïdes a lieu également à l’échelle européenne. En 2011, la Commission européenne a lancé un appel à candidatures pour la mise en place d’un réseau de surveillance des maladies et des pertes de colonies d’abeilles.

C’est ainsi que le réseau EPILOBEE est né (8). Il a été développé au sein de 17 États membres, dont la France, dès 2012 (9). La Commission européenne, a également instauré, dès 2013, des restrictions d’usages sur 75 molécules dont certaines font partie de la famille des néonicotinoïdes (10). Nous ne pouvons que saluer la décision des députés en faveur de l’interdiction d’utilisation des insecticides néonicotinoïdes et nous espérons que le projet de loi ira à son terme pour garantir en 2018, ou avant, l’interdiction de ces produits responsables en partie de la crise de surmortalité des abeilles constatée en Europe et dans le monde.

Florian Sigronde Boubel

  1. Union Nationale de l’Apiculture Française, (18/03/2016). Communiqué de presse – Loi biodiversité à l’Assemblée Nationale : les insecticides néonicotinoïdes enfin interdits mais… dans deux ans. http://www.unaf-apiculture.info/IMG/pdf/ cp_2015-03-18_unaf_reaction_loi_biodiveriste_assemblee_nationale.pdf
  2. Le Figaro, (14-15/09/2002), Muriel Frat. Environnement – L’insecticide Gaucho bientôt interdit, Bachelot vole au secours des abeilles.
  3. Le Monde, (03/05/2013), Stéphane Foucart. Les insecticides Gaucho, Cruiser et Poncho enfument la ruche. http://www.lemonde.fr/idees/ article/2013/05/03/les-insecticides-gaucho-cruiser-et-poncho-enfument-la-ruche_3170809_3232. html
  4. Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, (12/01/2016). Néonicotinoïdes et pollinisateurs : l’Anses préconise le renforcement des conditions d’utilisation des produits. https://www.anses.fr/fr/ lexique/abeille 
  5. Projet de loi Reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, Direction de la séance du 19 janvier 2016 – N° 213. Ter ; Article 51 quaterdecies (supprimés). http://www.senat.fr/enseance/2014-2015/608/Amdt_213.html
  6. Projet de loi Reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, Direction de la séance du 19 janvier 2016 – Amendement n° 213 rect. Ter, alinéa 3 – Article 51 quaterdecies (supprimés). http:// www.senat.fr/enseance/2014-2015/608/Amdt_674. html
  7. Le Monde, (15/03/2016), Audrey Garric et Martine Valo. Le jeu trouble de Stéphane Le Foll sur les pesticides. http://www.lemonde.fr/biodiversite/ article/2016/03/15/le-jeu-trouble-de-stephane-lefoll-sur-les-pesticides_4883050_1652692.html
  8. Agence Nationale de Sécurité sanitaires de l’alimentation, de l’environnement et du travail, (23/07/2015). Le programme européen EPILOBEE, l’Europe mobilisée sur la santé des abeilles. https://www.anses.fr/fr/content/le-programme-europ%C3%A9en-epilobee
  9. Bulletin épidémiologique, santé animale et alimentation n°70, P. Hendrikx et al. Résabeilles : résultats de deux campagnes de surveillance programmée de la mortalité des abeilles en France. http://bulletinepidemiologique.mag.anses.fr/sites/ default/files/BEP-mg-BE70-art4.pdf
  10. Règlement d’exécution (UE) n° 485/2013 de la Commission du 24 mai 2013 modifiant le règlement d’exécution (UE) n° 540/2011 en ce qui concerne les conditions d’approbation des substances actives clothianidine, thiaméthoxame et imidaclopride et interdisant l’utilisation et la vente de semences traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant ces substances actives. http://eur-lex. europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2013:139:0012:0026:fr:PD

Article publié dans le numéro 89 de la revue Droit Animal, Ethique et Sciences.

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