Mode d’élevage et bien-être animal

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Il est un sujet sur lequel nos ONG de protection animale et certaines associations d’exploitants agricoles sont en désaccord, un désaccord sur lequel un consensus semble hors de portée. Il s’agit du lien entre mode d’élevage et bien-être animal.

Au-delà de la caricature

On nous fait le procès, de façon caricaturale, de rejeter toute intensification de l’élevage par principe, trop attachés que nous serions à une image séculaire et angélique de l’élevage. On nous reproche de marteler haut et fort que les animaux ne peuvent être heureux quand ils sont « parqués comme des bêtes » à des densités jusqu’ici inédites en nous opposant que les études scientifiques sur le bien-être de ces animaux montrent qu’ils sont en très bonne santé et qu’un vétérinaire est là dès les premiers signes d’un quelconque bobo, alerté par les dernières technologies de pointe.

Or, si l’on reprend la définition du bien-être animal adoptée récemment par l’OIE (1), nous voyons bien qu’il existe une dimension de ce bien-être qui est sérieusement mise à mal en élevage intensif (peut-on d’ailleurs encore parler « d’élevage » dans un contexte aussi industrialisé ? (2)). Il s’agit de la dimension comportementale du bien-être animal.

Cette dimension est fondamentale aux yeux des ONG ou de toute personne suffisamment sensible à la condition animale. Pour certaines associations de producteurs, ou autres relais de ces producteurs, on ne peut faire de lien direct entre bien-être animal et mode d’élevage. En effet, on retrouve aussi du malheur animal dans les petites structures, celles qui correspondraient le plus à l’image d’Épinal éculée citée plus haut. En effet il existe de la maltraitance, en effet il existe du malheur un peu partout, chez les petits exploitants comme chez les gros.

Mais prendre des extrêmes pour caricaturer une situation n’est pas très constructif. Évidemment, il existe une misère sociale et financière dont certains paysans font l’expérience aujourd’hui (3) et qui se traduit quelquefois par une autre misère chez les animaux qu’ils élèvent. Évidemment, tout ne va pas systématiquement pour le mieux dans le meilleur des mondes quand on est un animal de rente dans un petit élevage. Mais il ne s’agit pas d’opposer les gentils paysans aux méchants producteurs de protéines animales, dans une vision manichéenne simpliste.

La composante comportementale, essentielle au bien-être de l’animal

Notre message est que, basé uniquement sur les modes d’élevage, c’est-à-dire en comparant des producteurs aussi professionnels et responsables de part et d’autre, la potentialité de bien-être (4) est supérieure dans les élevages où les animaux ont la possibilité d’exprimer des comportements pour lesquels ils sont fortement motivés, tels que :

  • l’exploration du milieu physique et social, qui doit être suffisamment riche pour entretenir les capacités cognitives et sensorielles des animaux (de facto incompatible avec un élevage en cage, même enrichie),
  • la confection d’un nid dans lequel pondre ou mettre bas (de facto incompatible avec les systèmes dans lesquels aucun matériau n’est fourni à la femelle gestante et où elle est contrainte dans ses mouvements),
  • un comportement alimentaire normal, qui comprend, par exemple chez les bovins, la possibilité de brouter, ou chez les porcins la possibilité de fouiller le sol (de facto incompatible avec tout élevage sur béton ou caillebotis),
  • un comportement social normal, qu’il s’agisse :
  1. de comportements agonistiques, c’est-à-dire ceux liés à l’affrontement, qui permettent d’établir des relations stables avec ses congénères (pour peu que le nombre de congénères présents soit compatible avec une mémorisation effective de chaque individu) et si besoin de pouvoir s’enfuir pour mettre fin à ces comportements agonistiques s’ils dégénèrent et deviennent dangereux (picage, cannibalisme, morsure de queue…),
  2. de comportements parentaux normaux (on a beau calculer la période optimale pour retirer le veau à sa mère afin de minimiser la détresse chez la mère et le jeune, la détresse est toujours présente),
  3. ou de comportements dits de « grooming », qui correspondent au toilettage et aux comportements de confort comme, pour certains oiseaux par exemple, pouvoir passer la tête sous l’eau ou prendre un bain de poussière (fournir un bac à poussière aux poules en cages « aménagées » constitue un palliatif de misère et non une solution satisfaisante).

Pour l’animal, l’impossibilité d’exprimer un comportement pour lequel il est très fortement motivé et qui constitue pour lui un impératif biologique au même titre que manger, boire ou se reproduire, signifie ressentir de la frustration. Cette frustration se traduit au niveau cognitif par des émotions déplaisantes, mais également par des effets physiologiques (5) : vasoconstriction, augmentation de la pression sanguine…

Pas vraiment compatible avec le bien-être, donc. Notre message est que, par essence, le bien-être animal est amputé de sa dimension comportementale dans certains types d’élevage. Dès lors, on peut considérer qu’il y a un lien entre mode d’élevage et bien-être animal.

Notre ministre de l’Agriculture le reconnait d’ailleurs lui-même lorsqu’il affirme, en réunion du Cnopsav du 5 avril 2016 (6), qu’« élever des animaux en plein air », c’est « mieux ». C’est pour cela que l’on doit donner un choix au consommateur éthique lorsqu’il achète un produit issu d’un animal, comme c’est déjà le cas avec les œufs de poule. L’information du mode d’élevage doit être donnée pour que l’achat se fasse en toute connaissance de cause.

La promotion de l’information du consommateur est d’ailleurs inscrite dans nos textes (7), même s’ils n’ont sans doute pas été rédigés ce sujet-là en tête.

Élevage français = bien-être animal ?

Pour finir, nous regrettons l’amalgame fait par certains producteurs entre élevage français et bien-être animal. Il ne faut pas être dupe : l’élevage français répond aux mêmes règles en matière de bien-être animal que tous nos voisins de l’Union européenne, et il ne va pas plus loin que ce qui est imposé par l’Europe.

Il faut savoir que la majorité de nos animaux restent élevés en conditions intensives. La seule véritable fierté française est peut-être dans l’élevage laitier, où l’accès à la pâture est encore offert au plus grand nombre de nos vaches. Nos lapins, cochons, poules ou poulets ne bénéficient par contre d’aucun privilège comparés à nos pays voisins.

De plus, n’oublions pas l’affaire de la ferme des mille vaches, qui nous montre que même en élevage laitier, le vent tourne. Certes, la réglementation européenne est l’une des plus élevées au monde en matière de protection et bien-être animal, mais celle-ci reste encore largement améliorable : nous ne voudrions pas continuer à trôner en roi-borgne au pays des aveugles, soyons plus ambitieux. Notre ministre de l’Agriculture a beau réclamer à la Commission un étiquetage gaulois (8), le « made in France » ne garantirait en rien au consommateur éthique que l’animal caché sous l’étiquette a pu satisfaire ses besoins comportementaux.

Sophie Hild

  1. Code sanitaire de l’OIE pour les animaux terrestres, Titre 7.
  2. L’écrivain Sylvain Tesson dirait que l’on n’élève plus l’animal, on l’abaisse (Une vie à coucher dehors chez Gallimard, 2008). 
  3. Selon le site web-agri, les revenus des exploitations laitières auraient diminué de moitié en 2015. http:// www.web-agri.fr/actualite-agricole/economie-social/ article/le-revenu-des-exploitations-laitieres-2015-divise-par-deux-sauf-en-zone-aop-1142-118256.html
  4. Décliné par CIWF dans son document « Policies on Animal Welfare » (en anglais).
  5. De Morree, HM, Szabó, BM, Rutten, GJ, & Kop, WJ. (2013). Central nervous system involvement in the autonomic responses to psychological distress. Netherlands Heart Journal, 21(2), 64-69.
  6. Conseil national d’orientation de la politique sanitaire animale et végétale. La LFDA et plusieurs autres ONG font partie de son comité des experts en bien-être animal.
  7. La loi du 13 octobre 2014 dite d’avenir a introduit dans le code rural à l’article 1 que « La politique en faveur de l’agriculture et de l’alimentation […] a pour finalités  : […] 10° De promouvoir l’information des consommateurs quant aux lieux et modes de production et de transformation des produits agricoles et agroalimentaires ». 
  8. Article du 16 mars 2016, Le Monde, pages Économie et entreprises : « Élevage, de la régulation mais pas d’argent frais », par C. Ducourtieux, encart : « Les français entendus sur l’étiquetage ».

Article publié dans le numéro 89 de la revue Droit Animal, Ethique et Sciences.

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