Deux anniversaires pour la législation européenne sur les produits chimiques

Cette année, nous célébrons deux anniversaires relatifs à la législation européenne sur les produits chimiques :

  • Le premier est positif  : cela fait 5 ans que l’interdiction totale de tester les cosmétiques et leurs ingrédients sur les animaux est effective dans l’Union européenne (UE).
  • Le second, plus problématique, fête les 10 ans de l’entrée en vigueur du règlement REACH concernant les produits chimiques (enregistrement, évaluation et autorisation des substances chimiques).

test cosmétiques UE

Considérées comme deux législations majeures dans le domaine de la toxicologie, ces deux textes ont des effets contradictoires : le premier réduit le nombre d’animaux utilisés en expérimentation animale (c’est d’ailleurs un de ses buts), tandis que le deuxième est responsable de tests toxicologiques effectués sur des millions d’animaux ces dernières années.

Voici quelques explications.

Le règlement cosmétiques de 2009

Le règlement (CE) n° 1223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques a été adopté le 30 novembre 2009 et est entré en vigueur le 11 mars 2013. Sa mesure phare est l’interdiction de la commercialisation de produits cosmétiques qui ont été, ou dont les ingrédients ont été testés sur les animaux.

L’interdiction s’applique également à l’expérimentation animale, lorsqu’il n’existe pas d’alternatives  : dans ce cas-là, le fabriquant utilise une autre substance pour laquelle une méthode de test alternative existe. C’est cette mesure qui fête réellement ses 5 années.

Ce règlement reprend également les interdictions qui étaient déjà en vigueur avant 2013 dans l’UE, présentes dans la directive n° 76/768/CEE du Conseil relative aux produits cosmétiques, qui a été maintes fois amendée depuis 1976, et que le règlement de 2009 a finalement abrogée. Ces interdictions sont : les tests sur animaux de produits cosmétiques finis (2004) et les tests sur animaux des ingrédients de produits cosmétiques (2009). Si l’interdiction de commercialisation des produits existait déjà en 2009, elle comprenait de nombreuses exemptions. La clarification et le durcissement de la législation apportés par ce règlement, notamment avec la suppression de ces exemptions, étaient donc bienvenus.

Grâce à ces interdictions, l’Union européenne a réussi à réduire le nombre d’animaux utilisés pour les tests de toxicologie des ingrédients utilisés dans les cosmétiques. L’industrie cosmétique a été contrainte de développer des méthodes alternatives pour démontrer la sécurité des substances utilisées. Cela a eu pour effet de faire progresser la recherche de méthodes alternatives à l’expérimentation animale dans ce domaine, même si des progrès peuvent encore être faits.

Le règlement REACH de 2006

Le règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006 concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH) est entré en vigueur dans l’UE en 2008. Cette réglementation harmonise le commerce et les démarches de sécurité pour toutes les entreprises de l’industrie chimique dans l’UE. On trouve parmi les buts de ce règlement :

  • assurer l’innocuité des substances chimiques qui peuvent entrer en contact avec l’environnement et les citoyens, et
  • promouvoir les méthodes alternatives à l’expérimentation animale pour tester ces substances potentiellement dangereuses.

Les entreprises doivent effectuer des tests pour prouver l’innocuité de tous les produits chimiques qu’elles utilisent. Par contre, cela ne concerne notamment pas les produits phytosanitaires et les biocides, les substances radioactives et les médicaments à usage humain ou vétérinaire (couverts par d’autres législations).

Ensuite, les résultats de ces tests doivent être validés par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA). Auparavant, ces tests n’étaient obligatoires que pour des substances produites en grande quantité, ce qui n’est plus le cas. Le règlement prévoit que les données sur les produits chimiques soient partagées au sein de l’Union européenne, afin de limiter les tests pour une même substance.

Selon REACH, lorsqu’aucune alternative à l’expérimentation animale existe, la substance doit être testée sur des animaux (en respectant bien sûr les normes européennes de protection des animaux de laboratoire). Ainsi, depuis 2008, des millions d’animaux ont été utilisés dans l’UE pour évaluer la toxicité de milliers de substances chimiques (dans les produits ménagers, les peintures, etc.). Bien que le texte prévoie une promotion des méthodes alternatives à l’expérimentation, ces dernières ne sont toujours pas assez développées depuis 2008, et la lenteur de la validation réglementaire de ces méthodes à l’échelle européenne et internationale entraîne le sacrifice de nombreuses vies animales.

expérimentation animaux

REACH et les produits cosmétiques

Les produits cosmétiques n’ont pas été épargnés par REACH. Bien que les substances chimiques contenues dans les produits cosmétiques soient exemptées de tests sur animaux, des exceptions persistent : les tests sur animaux peuvent être requis s’il y a suspicion de risque potentiel pour la santé des personnes qui travaillent à la fabrication des produits, ou si une substance représente une menace potentielle pour la santé humaine (et que celle-ci n’est pas utilisée uniquement en cosmétique) ou l’environnement.

Conclusion

Nous pouvons nous réjouir des 5 années d’interdiction totale de réaliser des tests sur animaux pour tester l’innocuité des produits cosmétiques, qui montre qu’une telle mesure peut être effective sans freiner l’innovation en matière de cosmétologie : elle était une des grandes craintes de l’industrie cosmétique à l’époque de l’adoption de cette législation.

Cette mesure était d’ailleurs une demande de longue date de la Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences (LFDA). Dès 1979, le rapport résultant d’une table-ronde sur le sujet de l’expérimentation animale organisée par la LFDA concluait qu’il fallait mettre un terme à l’utilisation expérimentale de l’animal dans l’industrie cosmétique, afin d’épargner des animaux pour tester des produits qui ne sont pas fondamentalement utiles à la survie des humains ou à leur santé.

Quant aux 10 années de REACH, ils sont moins réjouissants, puisque de nombreux animaux ont dû être sacrifiés durant cette décennie, alors que de nombreuses substances testées sur eux étaient déjà mises sur le marché avant l’entrée en vigueur de ce règlement. Des tests épidémiologiques sur les personnes en contact avec ces substances auraient permis d’évaluer l’éventuelle toxicité de ces produits sans recourir aux tests sur animaux.

De plus, REACH est censé promouvoir les alternatives à l’expérimentation animale. Or, dans ce domaine, même si des progrès ont été réalisés, il reste encore des efforts à fournir pour réduire significativement les tests sur les animaux.

Enfin, avant l’application effective de REACH, le nombre d’animaux utilisés était en baisse régulière ; depuis 2015, leur nombre repart à la hausse en France

Nikita Bachelard , Henri-Michel Baudet

Article publié dans le numéro 98 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences 

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