Discours de Louis Schweitzer sur le bien-être animal dans l’Union européenne

Louis Schweitzer s’est exprimé sur le bien-être animal dans l’Union européenne dans le cadre d’une table ronde sur le sujet organisée par la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale le 23 septembre 2020 à 16h30. Cette table ronde faisait suite aux travaux de la commission sur le bien-être des animaux dans l’UE, menés par la députée Typhanie Degois, qui a rendu un rapport sur le sujet puis proposé une proposition de résolution pour le bien-être des animaux dans l’UE. Les autres participants de la table ronde sont Pascal Durand, eurodéputé, et Andrea Gavinelli, chef d’unité « bien-être animal » au sein de la direction générale santé et sécurité alimentaire de la Commission européenne.

Louis Schweitzer, Assemblée nationale, 23/09/20

Vidéo du discours de Louis Schweitzer et de l’ensemble de la table ronde

« Madame la Présidente,

D’abord, comme M. Durand, je vous remercie de m’avoir invité. Je dois dire d’entrée que je partage à 99,9 % ce qu’a dit M. Durand donc je ne le répèterai pas mais je suis d’accord – il faut toujours se réserver une toute petite marge de liberté.

Peut-être expliquer ce qui fait que vous m’avez invité. La Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences est une fondation qui existe depuis 44 ans. C’est une fondation réformiste et légaliste, reconnue d’utilité publique, qui ne recueille pas d’animaux, mais dont le métier est effectivement d’essayer de transposer les progrès de la science dans des progrès du droit. Reconnaissons que la science avance à pas de géant et que le droit avance à pas de sénateurs, au mieux. Je suis par ailleurs président du comité d’éthique de l’Ordre national des vétérinaires et représentant des ONG animales au Conseil national de l’alimentation.

Alors j’ai dit que j’étais à 99,9 % d’accord avec M. Durand, et en premier lieu pour saluer le remarquable rapport de Mme Degois et pour noter qu’il y a une forte demande dans tous les pays d’amélioration du bien-être animal, l’Union européenne a fait des sondages d’opinion qui le confirme et la France, sur ce plan-là, est au premier rang. Sur d’autres plans, je n’en dirais pas autant. Dernier point d’introduction : c’est vrai que l’Europe est statique depuis un certain nombre d’années et que l’Europe au fond peut trouver là à mes yeux un élément qui la justifie aux yeux des citoyens, c’est important.

Alors, je voudrais maintenant traiter rapidement quelques catégories d’animaux, parce que tous les animaux ne sont pas identiques, et je parlerai plus essentiellement des animaux d’élevage, mais d’abord des animaux sauvages. Le rapport fait un certain nombre de propositions légitimes ; l’Union européenne est vraiment légitime sur tout ce qui touche à la biodiversité comme on l’a vu récemment avec des instructions, des règles fixées en ce qui concernent la chasse aux oiseaux migrants, et on a constaté que la France sur le respect de ces instructions ne témoignait pas de la meilleure des volontés. Je pense en revanche que tout ce qui est les animaux sauvages en captivité, je pense que le niveau national est plus pertinent que le niveau européen ; il y a d’ailleurs un certain nombre de pays qui sont très en avance sur nous. Un regret final c’est que les animaux sauvages en captivité sont protégés contre les actes de cruauté, les animaux sauvages en liberté ne bénéficient, en France, d’aucune protection contre les actes de cruauté et on voit des vidéos d’un animal blessé, qui est chassé à coups de pied ou dont les blessures sont continues. La loi française ne permet pas de condamner de tels actes et je dois dire à titre personnel que je trouve ça scandaleux.

Les animaux de compagnie, il me parait qu’il y a un sujet européen qui est ce que l’on appelle les nouveaux animaux de compagnie. Clairement une réglementation sur l’importation, l’exportation et le transport de ces nouveaux animaux de compagnie, c’est quelque chose qui doit être fait au niveau européen. Pour les animaux de compagnie traditionnelle, ma conviction est que les réglementations nationales sont plus efficaces qu’une réglementation européenne, parce qu’au fond, il n’y a pas une dimension transfrontalière pour ces animaux-là et il se trouve qu’en France, l’Assemblée nationale plus exactement, Monsieur Loïc Dombreval a fait sur ce sujet un remarquable rapport, avec beaucoup de propositions dont je me réjouis d’espérer qu’un jour elles seront rendues publiques et qui sait appliquées.

En ce qui concerne les animaux d’expérimentation, il y a une réglementation européenne que, franchement, je ne trouve pas mauvaise. Il y a une pratique qui est très inégale entre les pays, et là aussi la France n’est pas aux premiers rangs. C’est pas tellement une affaire de contrôle, c’est une affaire de faire que les comités d’éthique, qui doivent valider toutes les expérimentations, aient l’autonomie et l’indépendance nécessaires pour donner un avis qui fasse progresser les choses, parce que c’est sur ces comités d’éthique, beaucoup plus que sur une réglementation générale, que peut s’appuyer un progrès sur les 3R (raffiner, réduire, remplacer).

Et puis maintenant, je vais parler un peu plus longuement – si j’ai le droit – sur l’élevage. Le rapport, à juste titre, dit qu’il faut intégrer les espèces non protégées – il y a des espèces qui sont protégées par une réglementation européenne aussi imparfaite soit-elle. Les ovins, les caprins, les poissons, les volailles en dehors des poules, les vaches laitières ne sont protégées par aucune réglementation européenne. Et ça, c’est une lacune grave parce qu’une réglementation, aussi imparfaite soit-elle, est un socle et un point de départ de progrès ultérieur.

Je pense, et je rejoins aussi M. Durand, qu’en revanche le rapport pourrait aller plus loin sur le sujet transport. Le sujet transport est un sujet disons qui est moins sensible pour les populations rurales et agricoles. C’est une sujet essentiel pour le bien-être animal, de façon directe et indirecte. Et je pense donc que c’est un levier tout à fait important, et – pour prendre un exemple aller plus loin que le rapport encore – je trouve qu’on devrait carrément interdire l’exportation d’animaux pour abattage hors de l’Union européenne, parce que ça ne sert strictement à rien de faire des réglementations d’abattage si aux frontières de l’Union européenne – et c’est le cas – aucune réglementation n’est appliquée. Donc on envoie, à la suite d’un transport douloureux, des animaux subir un abattage douloureux. Au fond, je le crois, cela est possible et ça me paraît un point de progrès possible.

Pour le reste, donc l’élevage proprement dit, il y a une considération qu’il faut avoir à l’esprit : c’est que le respect du bien-être animal certes a des conséquences positives pour les hommes qui s’occupent des animaux, pour les animaux, aussi pour la qualité des produits, mais ça a un coût. Et donc comme le disait excellement M. Durand, si on impose des règles qui ne sont pas appliquées, on punit les bons élèves. Et donc, il y a un certains nombre de points à respecter :

  • premièrement s’assurer que les mauvais élèves en dehors des frontières de l’Union ne détruisent pas l’agriculture de l’Union européenne. Il se trouve que je dialogue beaucoup avec des éleveurs et c’est quelque chose qui est très présent. Et disons que le bras commercial de la Commission européenne se désintéresse totalement de notre sujet et c’est un vrai sujet.
  • Secondement, le progrès exige des temps d’adaptation.
  • Troisième point : il faut reconnaître que tous les pays de l’Union européenne ne sont pas égaux.

Et donc nous avons proposé une approche que nous mettons en œuvre en France, qui pourrait être mise en œuvre plus largement au niveau européen, c’est l’étiquetage. L’étiquetage ça consiste à non pas interdire les produits qui ne respectent pas les normes européennes, mais à informer le consommateur sur le bien-être et le mode d’élevage des animaux dont ils consomment les produits. Cet étiquetage, rappelons-le, a démarré sur les œufs et ça a été une initiative d’ailleurs de le Fondation Droit Animal au début des années 1980. Depuis, nous avons créé, en France, avec des distributeurs, avec toutes les ONG réformistes, avec des éleveurs et des producteurs, une association pour l’étiquetage qui a mis en place un étiquetage du poulet et qui est en train de travailler à un étiquetage de l’élevage des cochons, puis sans doute des lapins. C’est un gros travail. Cet étiquetage est facile à lire pour le consommateur, il comporte cinq niveaux : de A supérieur à E minimal. Donc il est facile à lire, il ressemble beaucoup à l’étiquetage de l’efficience énergétique des maisons, c’est copié là-dessus. Quels sont les avantages ?

  • D’abord, ça permet aux consommateurs, dont 75 % en Europe disent qu’ils sont prêts à payer plus pour un produit respectueux du bien-être animal, de mettre leur conviction en application – ce qu’ils ne peuvent pas faire aujourd’hui.
  • Deuxièmement, ça permet d’accompagner et de valoriser les éleveurs qui font des progrès.
  • Troisièmement, ça permet d’assurer des contrôles efficients. On a beaucoup parlé d’inefficacité des contrôles. Un étiquetage, comme nous ONG et les distributeurs engageons notre crédibilité sur le respect des choses (je le vois : si L214, qui ne fait pas partie des réformistes, filme une vidéo dans un élevage que nous avons classé A ou B ou un abattoir que nous aurions classé A ou B et qu’on voit des choses épouvantables, c’est insupportable)… ça veut dire qu’il y a une incitation à la rigueur de contrôles indépendants aléatoires ou programmés très forte.
  • Et enfin, ça permet de reconnaître que tous les consommateurs… Certains consommateurs ont besoin d’accéder au premier prix, et donc ça permet d’accompagner le fait que tous les Européens n’ont pas le même pouvoir d’achat, tous les Européens n’ont pas la même préoccupation.

Mais ça permet aussi, peu à peu, d’éliminer ce qui est le plus mauvais. Par exemple, beaucoup ont décidé, la France a annoncé aussi, qu’on allait supprimer la vente d’œufs en coque provenant de poules en cages. De grandes chaînes de distribution ont annoncé qu’elles cesseraient de vendre des poulets de chair inférieurs au niveau C qui est un niveau de bien-être animal. Au fond, ça permet d’assurer une dynamique de progrès et d’embarquer et les consommateurs et les éleveurs dans cette dynamique de progrès.

Voilà Madame, j’espère que je n’ai pas été trop trop long, et je vous remercie de bien avoir voulu m’écouter. »

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