La législation autour du bien-être en abattoirs : une forte prédominance des enjeux économiques, sanitaires et religieux

Extraits de rapport réalisé à l’université de Strasbourg dans le cadre du Master « Éthique et Société », co-dirigée par Cédric Sueur, maître de conférences en éthologie, et Jean-Marc Neumann, juriste (respectivement membre du comité scientifique de la LFDA et ancien administrateur).

Introduction

La reconnaissance de la sensibilité animale, dans le code rural depuis 1976 puis dans le code civil depuis 2015 (1), a permis la naissance de lois, aux niveaux européen et national, visant à limiter la souffrance et à protéger l’animal contre les actes de négligence, de maltraitance ou de cruauté. La souffrance de l’animal dans un abattoir en particulier, est aujourd’hui avérée et ne se limite pas à sa mise à mort. La législation actuelle garantie-t-elle, dans ce cadre et donc à défaut du bien-être, au moins la bientraitance de l’animal ?

1. La souffrance dans les abattoirs au niveau européen

Dans le droit communautaire, l’animal s’est vu reconnaître le statut d’« être sensible » dès 1997, avec la signature du Traité d’Amsterdam (2). Depuis, la législation européenne s’est montrée précurseur dans le domaine de la protection animale. Plusieurs textes européens encadrent les activités des abattoirs mais ils n’ont malheureusement pas d’application directe dans les pays communautaires et n’ont donc pas de valeur contraignante. En revanche, une directive en 1993 (3) puis un règlement en 2009 (4) ont été édictés « sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort ». Ils imposent notamment de « prendre les mesures nécessaires pour éviter la douleur et atténuer autant que possible la détresse et la souffrance des animaux pendant l’abattage ou la mise à mort ». Ainsi toute excitation ou souffrance évitables doivent être proscrites lors du déchargement, de l’hébergement, de l’immobilisation et de la mise à mort. Les méthodes de contention et d’étourdissement y sont détaillées et l’étourdissement est obligatoire avant la mise à mort avec, cependant, une dérogation particulière pour les abattages rituels. La législation européenne n’interdit pas l’utilisation des chocs électriques pour les bovins et porcins adultes mais elle doit être « dans la mesure du possible, évitée » (4). Ils sont en revanche interdits pour toutes les autres catégories d’animaux.

De plus, la formation du personnel est rendue obligatoire avec la nécessité de l’obtention d’un certificat de compétence. De plus, dans le respect de l’article 17 du règlement européen de 2009, un responsable protection animale doit être nommé par « l’exploitant de chaque établissement d’abattage abattant au moins 1 000 unités gros bétail ou 150 000 volailles ou lapins par an, pour l’aider à assurer le respect des mesures de protection des animaux au moment de leur mise à mort et des opérations annexes » (5). On ne peut s’empêcher de se demander pourquoi les établissements à faible tonnage sont exclus, la considération du bien-être animal ayant son importance dès le premier individu abattu. De plus, cet agent est placé sous l’autorité directe de l’exploitant de l’établissement. Bien qu’il jouisse de protections supplémentaires en qualité de lanceur d’alerte, sa marge de manœuvre semble néanmoins limitée.

2. La souffrance dans les abattoirs au niveau français

Dans le droit interne, la protection animale fait l’objet d’un chapitre complet dans le code rural et stipule en premier lieu que « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce » (6). La section 4 de ce chapitre est exclusivement réservée à l’abattage et stipule que les moyens, les locaux et les techniques utilisés à toutes les étapes ante-mortem et durant la mise à mort doivent « épargner aux animaux toute excitation, douleur ou souffrance évitables » (7).

Le premier contrôle pour le bien-être animal doit avoir lieu durant l’inspection ante-mortem. Elle doit être réalisée « dans les vingt-quatre heures qui suivent l’arrivée des animaux à l’abattoir et moins de vingt-quatre heures avant l’abattage » (8). Le vétérinaire officiel doit écarter à la fois les animaux présentant des signes de danger sanitaire mais également tout animal présentant des signes indiquant que son bien-être a été compromis. Cependant, aucune précision n’est apportée par les textes de lois sur ces indicateurs de défaillance du bien-être et l’évaluation demeure subjective. Dans les faits, les anomalies ante-mortem aboutissant à une impossibilité d’abattage et donc à une euthanasie de l’animal sont rares. Les atteintes de moindre gravité sont le plus souvent tolérées lorsqu’elles ne représentent pas de danger pour la santé humaine. Dans tous les cas, aucun traitement vétérinaire, antalgique ou antibiotique, n’est administré à l’abattoir.

De plus, le personnel doit bénéficier d’une « formation en matière de protection animale ou [être] encadré par une personne ayant cette compétence » (9). Cette formation est adaptée à chaque catégorie de personnel, d’animaux ainsi que d’opération. Le responsable protection animale est soumis aux mêmes règles concernant ce certificat de compétence mais des thématiques particulières lui sont ajoutées comme par exemple des notions juridiques de protection animale. Le faible nombre d’heures imposées semble néanmoins peu approprié à l’ampleur des connaissances nécessaires pour garantir le bien-être (5).

L’étourdissement est obligatoire en France depuis le décret n° 64-334 du 16 avril 1964 relatif à la protection de certains animaux domestiques et aux conditions d’abattage. L’animal doit donc être placé en état de narcose avant sa mise à mort sauf dérogation, notamment pour l’abattage rituel (10). Ainsi, l’immobilisation mécanique est obligatoire avant étourdissement et mise à mort et la suspension de l’animal est interdite tant qu’il montre encore des signes de vie (11). Ce dernier point ne s’applique pas aux volailles qui sont suspendues par les pattes dès leur sortie des cages. Les méthodes d’étourdissement actuellement autorisées en France, à savoir le pistolet à tige perforante, la percussion, l’électronarcose et l’exposition au dioxyde de carbone sont fixées par arrêté (12). Tout autre procédé est strictement interdit. De plus, la saignée doit avoir lieu « le plus tôt possible après l'étourdissement et en tout état de cause avant que l'animal ne reprenne conscience » (13). L’état de narcose peut être objectivé de façon précise par le vétérinaire officiel par observation de la perte de posture de l’animal, de l’absence de réflexe cornéen et de la modification de la fréquence respiratoire. Enfin, la phase d’égouttage, est censée garantir la mort de l’animal avant le début du traitement de la carcasse (habillage ou échaudage) (14).

Conclusion

Ainsi le bien-être animal est-il volontiers pris en compte dans la création des textes de loi européens ou nationaux mais toujours dans la limite des enjeux économiques, sanitaires et religieux. Pourtant l’aspect économique n’est à priori pas incompatible avec la protection animale. En effet, la diminution de la souffrance des animaux en abattoir a un impact positif sur la qualité de la viande obtenue et sur la sécurité du personnel, par la diminution du stress et donc de la dangerosité des animaux. Le respect du règlement européen par l’ensemble des pays communautaires entraînerait une égalisation des contraintes imposées sur ces structures en termes de rendement et favoriserait une concurrence équitable sur le marché européen.

De façon générale, la règlementation européenne, bien qu’exemple de consensus multinational autour du bien-être animal, doit surtout avoir un rôle d’homogénéisation des pays membres en tirant les plus réticents vers le haut. Il serait donc du devoir des pays fondateurs de, non seulement la respecter, mais également de donner l’exemple en allant plus loin et en s’inscrivant dans une démarche de progrès. À ce jour, dans le cadre de la protection de l’animal en France, que ce soit en abattoirs ou ailleurs, la difficulté principale d’évolution des textes de lois réside dans l’absence de sa mention dans la Constitution française. L’intégration d’une Charte des droits des animaux, comme proposé en 2016 (15), représenterait de ce fait une avancée considérable dans la lutte pour la protection animale.

Caroline Gérard

  1. Article 515-14 du Code Civil
  2. Protocole sur la protection et le bien-être des animaux annexé au Traité d'Amsterdam, publié au Journal Officiel Européen du 10 novembre 1997
  3. Directive 93/119/CE du Conseil du 22 décembre 1993 « sur la protection des animaux au moment de leur abattage ou de leur mise à mort »
  4. Règlement (CE) n° 1099/2009 du Conseil du 24 septembre 2009 « sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort »
  5. Arrêté du 31 juillet 2012 relatif aux conditions de délivrance du certificat de compétence concernant la protection des animaux dans le cadre de leur mise à mort
  6. Article L214-1 du Code Rural et de la Pêche Maritime
  7. Article L214-65 et 67 du Code Rural et de la Pêche Maritime
  8. Règlement (CE) No 854/2004 du Parlement Européen et du Conseil du 29 avril 2004 fixant les règles spécifiques d’organisation des contrôles officiels concernant les produits d’origine animale destinés à la consommation humaine
  9. Article L214-68 du Code Rural et de la Pêche Maritime
  10. Article R214-70 du Code Rural et de la Pêche Maritime
  11. Article R214-69 du Code Rural et de la Pêche Maritime
  12. Arrêté du 12 décembre 1997 relatif aux procédés d’immobilisation, d’étourdissement et de mise à mort des animaux et aux conditions de protection animale dans les abattoirs
  13. Article R214-71 du Code Rural et de la Pêche Maritime
  14. Article 10 de l’Arrêté du 10 février 1984 relatif aux dispositions relatives au sang des animaux de boucherie destiné à la consommation humaine, abrogé par l’Arrêté du 18 décembre 2009 relatif aux règles sanitaires applicables aux produits d'origine animale et aux denrées alimentaires en contenant
  15. Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français, Assemblée nationale, 20 septembre 2016

Article publié dans le numéro 95 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

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