Bistournage en Camargue

Depuis longtemps, notre LFDA dénonce le « bistournage », une pratique très cruelle consistant à castrer à vif les jeunes taureaux adultes sélectionnés dans les élevages pour participer aux courses camarguaises.

Ce bistournage consiste à écraser à la pince la racine des bourses, afin d’interrompre la circulation sanguine dans les artères testiculaires, et de provoquer une nécrose des testicules ; c’est une intervention particulièrement douloureuse, pratiquée sans aucune anesthésie ou insensibilisation sur des animaux âgés de deux à quatre ans, maintenus au sol, membres écartés par des cordes tirées par plusieurs hommes, et reconnue par les éleveurs eux-mêmes comme un « supplice ».

Les quotidiens du Sud de la France publient régulièrement des articles décrivant cette opération, images à l’appui. Les bistournages sont l’occasion de fêtes se déroulant dans les manades, devant un public informé par voie de presse et friand de ces événements.

En décembre 1998, la Ligue est intervenue officiellement auprès du ministère de l’Agriculture, puis à nouveau à plusieurs reprises, notamment en 2000 : à la suite de ses correspondances, les services ministériels ont reconnu que le bistournage contrevient à la réglementation française sur l’élevage (article 2 de l’arrêté du 25 octobre 1982, modifié le 30 mars 2000, et disposition 3-c du chapitre 1 de l’annexe I de cet arrêté), contrevenait aux prescriptions du code pénal (articles L. 521-1 et R. 654-1) et du code rural (article L.214-3). De plus, la réponse du ministère notait que cette castration contrevient à la Recommandation concernant les bovins (article 17-1-c-i et 17-3), entrée en vigueur le 21 octobre 1988 en application de la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des animaux dans les élevages, et précisait que si cette recommandation n’a pas de valeur réglementaire, elle doit être prise en compte. Par circulaire du 10 avril 2000, les services ministériels ont alors donné des instructions aux services vétérinaires des départements 11, 13, 30, 34, et 84 concernés, visant à faire respecter les textes en vigueur. De son côté, la LFDA est intervenue par courrier du 9 juin 2000 auprès des Préfets de ces départements, afin qu’ils fassent connaître la circulaire ministérielle aux éleveurs de leur département, et qu’ils rappellent les peines encourues pour ne pas se conformer à ses prescription. Le résultat de nos interventions semblait acquis.

Pourtant, la pratique du « bistournage » s’est perpétuée, sans aucun changement, comme nous l’ont montré nos informations et les coupures de presse que la LFDA collectait au fil des années. En 2006, nous sommes alors intervenus à nouveau auprès du ministre de l’agriculture, en fournissant un dossier remis à jour. Dans un courrier du 11 octobre 2006, le Directeur de cabinet du ministre nous a annoncé la tenue d’une réunion des éleveurs de taureaux. Cette réunion s’est tenue à la fin de novembre 2006 à la Direction départementale des services  vétérinaires de l’Hérault (34),  afin d’inciter les éleveurs à faire pratiquer cette intervention sous anesthésie par un vétérinaire. En réponse à une demande d’informations de notre part, le ministre Michel Barnier nous a confirmé que la réunion de novembre avait bien eu lieu, en laissant penser que le bistournage ne se pratiquerait plus. Les nombreuses annonces et les comptes rendus publiés chaque automne dans la presse locale contredisaient formellement les propos du ministre. De plus, le ministre concluait que « la pratique du bistournage ne devrait plus être présentée aux touristes ». Notre Fondation a marqué son profond désaccord sur cette réflexion, hors du véritable sujet : l’interdiction d’infliger des souffrances évitables à un animal que ce soit ou non devant un public, et l’obligation de sanctionner toute infraction.

Puisque perdurait en France la pratique illégale d’une castration douloureuse de taureaux adultes, sans anesthésie ou analgésie, en dépit des instructions qu’ont pu donner et répéter les pouvoirs publics français aux services vétérinaires concernés, la LFDA a adressé un dossier très complet, à la Commission européenne le 14 mars 2008, avec demande de suivi formel à l’encontre de la France.

Notre plainte a été enregistrée le 7 avril sous le n° 2008/4360, SG(2008)A/2904.

Le 5 mars 2009, les services juridiques de la Commission ont répondu qu’ils n’envisageaient pas de proposer que la Commission ouvre une procédure d’infraction contre la France pour non-respect du droit communautaire, au motif d’une part que « les animaux utilisés lors de manifestations culturelles ou sportives ne relèvent pas de la compétence communautaire » selon l’article 1,2(b) de la directive 98/58/CE, et d’autre part que les taureaux en question « ne sont pas élevés ou gardés à des fins agricoles », ce qui les exclut de l’application de la Convention européenne sur la protection des animaux dans les élevages du 10 mars 1976. Subtiles échappatoires et arguties auxquelles premièrement nous avons répliqué que les taureaux ne subissent pas le bistournage lors d’une manifestation culturelle ou sportive mais pour ces manifestations, et deuxièmement nous avons fait remarquer que ces taureaux sont envoyés à l’abattoir après avoir été utilisés dans les arènes durant plusieurs années, et que leur viande est recherchée, parce que provenant d’une race bovine bénéficiant d’une Appellation d’origine protégée (AOP), cette appellation impliquant le versement de subventions européennes. Nous nous étonnions donc de constater que l’élevage du taureau camarguais bénéficie des aides financières de la Communauté, que la viande du taureau est valorisée par un « label » de qualité particulière, mais que la Communauté ne s’intéresse pas au taureau et à sa souffrance lors de son vivant…

Courtoisement, mais un peu agacés, les services juridiques nous ont répondu que « la méthode de castration par le bistournage constitue un usage traditionnel et régional pratiqué sur les animaux destinés à des manifestations culturelles et sportives. À ce titre, les États membres sont seuls responsables pour réglementer cette pratique ». En un mot, circulez, rien à voir. Puisque la Communauté s’est déclarée non concernée, que le ministère s’est désintéressé, que les Préfets regardent ailleurs, que les services vétérinaires de contrôle se sont bien gardés de contrôler quoi que ce soit, et que les services de police ont autre chose à faire, le problème n’a pas été réglé.

Et en 2008, rebelote. Nous avons encore une fois repris le dossier, et nous sommes allés le remettre au ministère, encore une fois complété, remis à jour, illustré de nouveaux clichés et documentés d’extraits de presse. L’entretien s’est conclu sur la possibilité éventuelle d’envisager de penser à un projet de trouver un moyen d’interdire le bistournage… en public. C’est dire l’enthousiasme. Depuis, malgré quelques relances, silence. Merci pour les taureaux cocardiers qui chaque année ont continué et vont continuer à beugler de douleur en se faisant écraser les c… C’est ignoble, écœurant, insupportable. Cela suffit. Nous allons reprendre la lutte.                                          

Jean-Claude Nouët

Article publié dans le numéro 95 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

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