Le funeste avenir des salamandres

Les populations d’Amphibiens dans le monde sont menacées d’extinction par une maladie émergente, la chytridiomycose (1) provoquée par un champignon, Batrachochytrium dendrobatidis (Bd) de l’ordre des Chytrides. Ces organismes, ubiquistes, vivent dans l’eau et le sol. Ils produisent des zoospores infectieuses flagellées. Celles-ci sont attirées par la kératine de la peau des amphibiens et pénètrent dans l’épiderme donnant naissance à un sporange producteur de spores à son tour au bout de quelques jours. Les lésions de la peau en altèrent les fonctions et compromettent la survie de l'animal atteint.

salamandre

La maladie a été détectée en France sur la plupart des espèces d’amphibiens :

  • 11 chez les Anoures (tels que la grenouille)
  • 7 chez les urodèles (tels que le triton)

Mais avec des prévalences variées :16 % chez les grenouilles vertes, moins de 5 % chez la grenouille rousse, le crapaud commun et les tritons). En revanche les alytes (crapauds accoucheurs) sont très sensibles à la chytridiomycose.

Dans cette conjoncture inquiétante a surgi en 2010 environ en Europe du Nord, venant d’Asie, une autre chytridiomycose particulièrement virulente qui décime les populations de la Salamandre tachetée, Salamandra salamandra, bien connue grâce à sa robe noire marquée par des plages jaunes ou orangées disposées de part et d’autre de sa ligne dorsale, sur sa tête, ses membres et sa queue. En Hollande, la maladie a tué plus de 96 % des individus atteints.

Les recherches approfondies de G. Stegen (2) réalisées avec une équipe de treize collaborateurs concernent l’épidémiologie de la maladie qui s’est déclarée en 2014 dans la forêt de Robertville en Belgique, à 57 km du site néerlandais où elle était apparue initialement. Cette chytridiomycose est provoquée par une nouvelle espèce de champignon pathogène désignée Batrachochytrium salamandrivorans (Bsal). Les inoculations expérimentales effectuées par les auteurs avec différents échantillons de Bsal ont montré que l’apparition de la maladie est indépendante de la dose du pathogène administrée ou des conditions de température ambiante, que ce soit à 15° C ou 4° C. De plus, les animaux infectés ne manifestent aucune réponse immunitaire protectrice. L’agent pathogène se caractérise de façon singulière par le maintien d’une virulence très élevée et par la présence de spores enkystées résistantes aux conditions extérieures en plus des zoospores mobiles, comme celle de Bd. Les spores enkystées flottent à la surface de l’eau et sont capable d’adhérer à la peau des salamandres et aux écailles des pattes des oiseaux d’eaux. Ces derniers seront donc en mesure de disperser au loin le champignon. Les spores enkystées survivent et restent infectieuses pour les salamandres au moins 31 jours dans de l’eau de mare filtrée et elles résistent mieux au zooplancton prédateur que les zoospores mobiles.

Le maintien à long terme de Bsal est favorisé par la présence d’amphibiens moins sensibles au pathogène que la salamandre et qui peuvent constituer des réservoirs, comme l’ont démontré des infections expérimentales effectuées sur un anoure et un urodèle. Le crapaud accoucheur Alytes obstetricans infecté ne manifeste aucun signe de maladie (à la différence de sa grande sensibilité à Bd) tout en étant capable de transmettre le pathogène à des salamandres. L’infection d’Ichthyosaura alpestris (Triton alpestre), qui cohabite avec les salamandres tachetées, manifeste un déroulement de la maladie qui dépend de la dose administrée. Une infection avec une dose élevée déclenche la maladie puis la mort en 3 semaines environ, alors qu’avec une dose faible elle conduit en plusieurs mois à l’élimination du champignon pathogène et à la guérison. Toutefois, cette infection antérieure ne protège pas les tritons contre une réinfection éventuellement mortelle. D’autres espèces d’Urodèles que la salamandre tachetée sont sensibles à Bsal mais avec de très nettes différences interspécifiques (2, 3) ; à cet égard Salamandra salamandra est une espèce hypersensible qui semble menacée d’extinction. Des expériences complémentaires (2) ont montré que le sol forestier contaminé par le champignon dont l’ADN y a été décelé est capable de transmettre la maladie après avoir été lui-même en contact avec des animaux infectés.

Au total, la présence de spores capables de résister à l’environnement et de transmettre la maladie en contaminant l’eau et le sol et, de plus, l’existence d’amphibiens hôtes susceptibles de constituer des réservoirs sont des obstacles à l’éradication de Bsal de cet écosystème contaminé et à la protection des écosystèmes actuellement indemnes dans le mondes. De plus, l’absence de réaction immunitaire de l’hôte vis-à-vis du champignon représente une arme redoutable qui conduit à attribuer à Batrachochytrium salamandrivorans le titre d’agent pathogène parfait (3).

Alain Collenot

  1. Revue Droit Animal, Éthique & Sciences n°84, Janvier 2015.
  2. G. Stegen et al. (2017). Drivers of salamander extirpation mediated by Batrachochytrium salamandrivorans. Nature 544, 353-356.
  3. M.C. Fisher (2017). In peril from a perfect pathogen. Nature 544, 300-301.

Article publié dans le numéro 95 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

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