Un point sur le foie gras et sur l’épisode de grippe aviaire

À quelques semaines des fêtes de fin d'année et à l'occasion de la publication prochaine du livret sur le foie gras réactualisé par la Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences, cet article a pour but de rappeler les problématiques entourant la production de ce mets à la fois si délicat pour le palais humain et si tragique pour des millions de palmipèdes, ainsi que de faire un point sur l’épisode épizootique de l’hiver et du printemps derniers qui a touché l’avifaune sauvage et domestique française et européenne.

Résumé des questions relatives au foie gras

Le foie gras est un mets culinaire « noble » dont l'Alsace et le Sud-Ouest se disputent traditionnellement l’origine. En France, il est inscrit au patrimoine culturel et gastronomique protégé. On en trouve sous différentes formes : le foie gras entier, le foie gras, le bloc de foie gras, le foie gras en conserve et le foie gras cru. Il existe également des préparations à base de foie gras telles que le parfait de foie, le médaillon ou pâté de foie, ou encore la mousse de foie (1). En 2014, 25 600 tonnes de foie gras ont été produites dans le monde, dont 19 000 en France soit les trois quarts (2). Les espèces utilisées pour fabriquer le foie gras sont le canard mulard, le canard de Barbarie et l’oie domestique. En 2015, environ 36,4 millions de palmipèdes ont été gavés puis abattus pour la production de ce mets (3). Pour les canards, seuls les mâles sont utilisés en France car le foie des femelles est plus veiné que celui des mâles, ce qui en diminue la qualité.

Si le fait de se gaver pour un homme consiste à manger avec excès, lorsqu’il s’agit de volaille, cela consiste à faire manger l’oiseau de force et abondamment dans le but de l’engraisser (4). Le rapport scientifique de la Communauté européenne sur la protection des palmipèdes « à foie gras » considère cette dimension de force : « le gavage consiste à faire ingérer de force à des canards et des oies une grande quantité de nourriture riche en glucides et en graisses de manière quotidienne pendant une période allant de 12 à 15 jours pour les canards et 15 à 21 jours pour les oies » (5). Le foie gras est défini dans le droit français comme « le foie d’un canard ou d’une oie spécialement engraissé par gavage » (Article L654-27-1). Ainsi, par définition, le gavage « naturel » (où les oiseaux ingèreraient d’eux-mêmes les quantités nécessaires à l’engraissement de leur foie) n’existe pas. Bien que les oiseaux migrateurs puissent augmenter périodiquement leur quantité de nourriture ingérée pour faire des réserves d’énergie dans leurs tissus adipeux et se préparer à leur long périple, cela ne doit pas être considéré comme du gavage.

Les lois françaises et européennes considèrent donc que le seul moyen d’obtenir du foie gras est de gaver artificiellement des palmipèdes. Cette pratique fait débat au sein de la communauté scientifique, pour déterminer si l’oiseau gavé souffre de cette surabondance de nourriture. Il convient également de rappeler que la manière dont est pratiqué le gavage, ainsi que les conditions dans lesquelles sont élevés la majorité des palmipèdes « à foie gras » sont sources de souffrance (voir le rapport du comité scientifique précédemment cité) et peuvent (et devraient !) être considérées comme de la maltraitance relativement aux textes législatifs, comme c’est le cas de nombreux pays qui ont décidé d’interdire la production de foie gras (voir ci-dessous).

Des labels tels que le Label Rouge et l’Indication Géographique Protégée, qui ont un cahier des charges précis à respecter, peuvent faire penser que les conditions d’élevage des palmipèdes à foie gras sont meilleures dans ces exploitations. Malheureusement, elles diffèrent très peu des exploitations sans label et la pratique du gavage persiste. Le « label bio » a également été accordé à un producteur de foie gras espagnol (6). Cependant, juridiquement, le label bio interdit le gavage tandis que le foie gras n’est pas reconnu s’il est obtenu sans gavage. Le foie gras bio est donc antinomique. Néanmoins, s’inspirant de ce cas, une première étape pourrait être de faire évoluer la définition juridique du « foie gras » pour rendre possible la création de foie gras sans gavage, respectant des normes plus strictes de bien-être animal.

Dans le monde, la production de foie gras est interdite dans de nombreux pays, notamment dans l’Union européenne, où seules la France, l’Espagne, la Belgique, la Hongrie et la Bulgarie sont autorisées à en produire. En revanche, l’importation et la vente y sont autorisées. D’autres pays ont également pris position. Par exemple, la cour d’appel de Pasadena en Californie a récemment décidé de réintroduire l’interdiction de vente de foie gras dans l’état américain. Cela fait suite à l’entrée en vigueur en 2012 d’une loi qui interdisait la production et la vente de foie gras mais dont l’interdiction de vente avait été jugée contraire au droit fédéral par un tribunal de grande instance en 2015 (7).

Les interdictions de foie gras adoptées dans plusieurs régions du monde se basent sur des raisons éthiques. Pour ces législateurs, la qualité gustative du foie gras ne fait pas le poids face à la cruauté exercée sur les palmipèdes. Ils ont osé remettre en question la nécessité du produit comparée à la torture subie par des animaux qui ne méritent pas moins de vivre dignement et sans souffrance que d’autres individus.

Ainsi, ce mets si délicat en bouche pose de nombreux problèmes à la fois juridiques et de bien-être animal. Mais cette production est également confrontée aux problèmes sanitaires engendrés par la grippe aviaire, qui entraîne régulièrement l’abattage d’un nombre considérable d’oiseaux.

Point sur l’épizootie d’influenza aviaire

L’offre de foie gras risque d’être plus faible cette année. Et pour cause, l’épizootie de grippe aviaire qui s’est propagée dans toute l’Europe a touché de nombreux oiseaux, entraînant le massacre de millions d’autres pour enrayer la propagation de la maladie.

L’influenza aviaire est, selon l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), « une maladie animale qui peut infecter plusieurs espèces d’oiseaux d’élevage (poulets, dindons, cailles, pintades, etc.) ainsi que les oiseaux d’ornement et les oiseaux sauvages, certaines souches entraînant un taux de mortalité élevé ». Dans de rare cas, elle peut se transmettre à des mammifères, notamment l’homme. L’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) entraîne de graves manifestations cliniques et une forte mortalité. La souche de ce virus se retrouve dans le monde entier. Les facteurs de propagation sont multiples : les échanges commerciaux internationaux, les pratiques de commercialisation (marchés aux oiseaux vivants), les pratiques d’élevage ainsi que la présence des virus chez les oiseaux sauvages. Les virus de l’influenza aviaire peuvent se propager par contact direct avec les sécrétions d’oiseaux infectés, ou par l’intermédiaire de la nourriture, de l’eau, d’équipements ou de vêtements contaminés. L’OIE souligne que les virus hautement pathogènes peuvent survivre longtemps dans l’environnement, surtout pendant des périodes de basses températures. Chez les oiseaux, l’IAHP affecte le système respiratoire ainsi que de nombreux organes et tissus, et peut provoquer des hémorragies internes. Les principaux symptômes sont la prostration, le gonflement de la peau sous les yeux, la toux, des éternuements, des signes nerveux et de la diarrhée. Un fort taux de mortalité rapide des oiseaux doit également alerter (8).

L’IAHP s’est développée depuis 2015 avec les virus H5N1, H5N2 et H5N9. En 2017, 20 pays d’Europe ont déclaré des foyers de virus IAHP H5N8 (ou H5Nx) qui, si il n’est pas transmissible à l’homme, se propage très rapidement chez les populations de palmipèdes et de gallinacés. Selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), entre le 26 novembre 2016 et le 30 juin 2017, date du dernier foyer déclaré, 486 foyers d’IAHP ont été détectés dans des élevages français. Parmi ces foyers, 349 ont été attribués à des virus H5N8. Par ailleurs, au cours de cette même période, 52 cas dans l’avifaune ont été recensés en France dont 33 ont été attribués à des virus H5N8. Les foyers de virus se sont déclarés essentiellement dans le Sud-Ouest de la France, dans les départements du Tarn, du Gers, du Lot-et-Garonne, des Hautes-Pyrénées, des Pyrénées Atlantiques, de l’Aveyron, des Landes et de la Haute-Garonne, et quelques cas dans les Deux-Sèvres et dans le Nord (9). En décembre, le niveau de risque d’IAHP est passé de « négligeable » à « élevé ». Après un pic de l’épidémie entre décembre 2016 et février 2017, le nombre de foyers a peu à peu diminué, amenant le gouvernement à modifier la qualification du risque d’« élevé » à « modéré » en avril, puis « négligeable » en mai 2017. D’après l’ANSES, l’origine de l’épizootie est très probablement due aux oiseaux sauvages en migration descendante du Nord de l’Europe vers le Sud de l’Europe ou vers l’Afrique (10).

Les 486 foyers du virus déclarés dans les élevages français ont conduit, au fil des arrêtés ministériels, à l’abattage préventif d’environ 3,7 millions de canards (11). La filière foie gras est très largement touchée car elle présente un risque de diffusion du virus plus élevé que les filières des espèces galliformes, et ce pour plusieurs raisons :

  • si les palmipèdes sont généralement plus résistants face aux virus d’IAHP par rapport aux galliformes, cette année, leur sensibilité a été supérieure à celle habituellement observée ;
  • la filière « foie gras » est très segmentée, avec de nombreux stades de production et des durées de présence des animaux au sein d’un même bâtiment ou élevage relativement courtes, occasionnant un risque de diffusion élevé du fait de nombreux mouvements de ferme en ferme d’oiseaux, d’hommes, de voitures et d’équipements potentiellement contaminés;
  • la filière « palmipède gras » impose une période d’élevage en plein air qui rend plus propice le risque d’exposition au virus par l’avifaune (12).

Par ailleurs, le système d’élevage industriel favorise très largement le risque de ce genre de maladie. Un grand nombre d’animaux sont élevés sur des petites surfaces, leur densité est très forte et la diversité génétique est très pauvre. Ainsi, la transmission de maladies du fait de la proximité est plus propice, et si un oiseau est atteint par le virus, ses congénères vont être réceptifs à la maladie de la même manière, faute de variabilité génétique qui favorisait l’émergence d’individus « résistants » (13).

Conclusion

L’élevage de « palmipède gras » pour la production du foie gras soulève des questions d’ordre juridique, sanitaire, épidémiologique et surtout éthique en considérant les problèmes de bien-être voire de bientraitance des animaux. C’est à toutes ces problématiques que la première version du livret publiée par la LFDA en 2006 tentait d’apporter des explications en répondant à 10 questions précises afin de sensibiliser le public à cette production. Toujours sous le même format, le livret réactualisé cette année conservera son objectif d’exposer des faits scientifiques et juridiques et de questionner l’éthique de cette filière pour que le consommateur puisse choisir en toute connaissance de cause ce qu’il aura dans son assiette lors de ses repas de fin d’année.

Le livret foie gras sera disponible avant les fêtes. N'hésitez pas à en commander plusieurs pour le diffuser autour de vous ! Il pourra servir de guide pour des discussions de repas de fêtes animées…

Nikita Bachelard

  1. Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, Le foie gras, 21 novembre 2016.
  2. « Situation de la production et du marché du foie gras », ITAVI, 2014.
  3. « Animaux finis produits en France, résultats 2015 définitifs et 2016 semi-définitifs », Agreste, http://agreste.agriculture.gouv.fr/enquetes/statistique-agricole-annuelle-saa/.
  4. Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, « Gaver », cnrtl.fr.
  5. Scientific Committee on Animal Health and Animal Welfare – European Community. Report of the Scientific Commitee on the Animal Health and Welfare on Welfare aspect of the Production of Foie Gras and Geese. Adopted 16 December 1998.
  6. « The origins of foie gras », Sousa & Labourdette.
  7. « La Californie interdit à nouveau le foie gras », Le Monde, 16 septembre 2017, http://abonnes.lemonde.fr/international/article/2017/09/16/la-californie-interdit-a-nouveau-le-fois-gras_5186487_3210.html.
  8. Organisation International de Santé Animale, Influenza aviaire.
  9. Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, « Influenza aviaire H5N8 : le suivi de la propagation du virus dans les élevages et dans la faune sauvage », Alim’agri, 3 juillet 2017.
  10. Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, Avis de l’Anses relatif à « l’ajustement des niveaux de risque d’infection par l’influenza aviaire hautement pathogène, quelle que soit la souche, des oiseaux détenus en captivité sur le territoire métropolitain à partir des oiseaux sauvages», 2e partie de la saisine 2016-SA-0245, 10 juillet 2017.
  11. « Grippe aviaire : après l’abattage préventif, six semaines de vide sanitaire dans le Sud-Ouest », Le Monde, 2 avril 2017, http://abonnes.lemonde.fr/planete/article/2017/04/02/grippe-aviaire-apres-l-abattage-preventif-six-semaines-de-vide-sanitaire-dans-le-sud-ouest_5104554_3244.html.
  12. Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, Avis de l’Anses relatif à « l’ajustement des niveaux de risque d’infection par l’IA HP H5N8 des oiseaux détenus en captivité sur le territoire métropolitain à partir des oiseaux sauvages ». Saisine 2016-SA-0245, 21 décembre 2016.
  13. Keck, Frédéric, « Santé animale et santé globale : la grippe aviaire en Asie », Revue Tiers Monde, vol. 215, n°3, 2013, pp. 35-52.

Article publié dans le numéro 95 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

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