Régime juridique des sangliers : entre chasse et destruction

Le régime juridique des sangliers est complexe. Entre chasse et destruction, les règles les concernant sont méconnues en France, et les solutions actuelles à leur prolifération limitées.

Le cas des sangliers dans le droit est complexe et très flou, pour cause : les nombreux textes de droit éparpillés qui constituent son régime juridique sont difficiles à trouver et, non pas qu’ils soient d’une grande complexité, ils nécessitent tout de même une gymnastique intellectuelle très vite démotivante. Un article d’un code renvoie à un arrêté, l’arrêté renvoie à plusieurs articles d’un autre code ou du même code, l’application de ces articles est aussi prévue par un autre arrêté, qui peut lui-même être complété par une circulaire. Le tout, écrit avec un vocabulaire spécifique à la chasse – qui n’aide pas à une meilleure compréhension – ; bref, on se retrouve vite plongé dans un labyrinthe dont on veut immédiatement sortir. Parallèlement à cette complexité juridique, il y a les a priori sur le sujet, que l’on peut entendre à la télé, à la radio, ou que l’on peut lire dans un article de presse, qui ne font qu’ajouter des données à la multitude d’informations déjà entendues ou lues, et qui sont parfois même erronées. Ainsi, on peut lire dans un article de presse sur internet qu’il « est interdit d’élever des animaux sauvages en captivité ». Les textes législatifs et réglementaires disent pourtant le contraire. C’est pour tenter de mettre fin à cette complexité du régime juridique des sangliers, qu’il apparaît opportun de mettre en lumière les règles les concernant. Par là même, c’est aussi un bilan de ce régime qui est effectué, nous permettant de sonder son degré d’efficacité. Un tel éclaircissement a également pour finalité d’orienter le débat sur la recherche d’éventuelles solutions à la prolifération des sangliers, autres que la destruction, qui, comme nous le verrons, montre chaque année ses limites. Il s’agit donc d’améliorer l’efficacité du débat, en permettant au plus grand nombre d’avoir pleinement connaissance de la condition des sangliers en France. Pour ce faire, nous commencerons par établir le régime juridique des sangliers, pour ensuite en faire le bilan.

Régime juridique du sanglier

En droit, les sangliers sont principalement considérés comme des « gibiers d’élevage », ou comme des « nuisibles ». En tant que gibiers d’élevage, ils sont élevés dans des établissements ayant pour principal objet, soit de relâcher leurs gibiers dans la nature – on parle alors d’établissements de catégorie A –, soit de les vendre pour la consommation – établissements de catégorie B. Ces élevages sont prévus par l’article R413-24 du code de l’environnement. Ces élevages, il en existe de faisans, de perdrix, de daims, de cerfs et bien d’autres. On comptait 3000 élevages de sangliers en 1975, et 700 en 2009 (1). Depuis, aucun autre chiffre n’a été dévoilé. Cette diminution du nombre d’élevages de sangliers est la conséquence d’arrêtés spécifiques à ces établissements, qui ont encadré plus strictement leurs conditions de détention. Parmi ces arrêtés, deux du 20 août 2009 : l’un relatif à l’identification des sangliers détenus dans ces établissements et l’autre relatif aux caractéristiques et aux règles générales de fonctionnement des installations de ces établissements. Ce dernier définit à son troisième article ce qu’est un établissement se livrant à l’élevage de sangliers : « tout espace clos, bâti ou non, au sein duquel sont détenus au moins deux spécimens vivants de l’espèce [du sanglier], destinés en totalité ou pour partie, directement ou par leur descendance, à être introduits dans la nature. Le cas échéant, l’autre partie est destinée à la consommation ».

En outre, les sangliers peuvent être classés comme « nuisibles » par un arrêté annuel du préfet de département. Cela résulte d’un arrêté du 3 avril 2012 fixant la liste, les périodes et les modalités de destruction des animaux d’espèces susceptibles d’être classées nuisibles par arrêté du préfet. C’est lorsqu’ils causent des dégâts aux cultures, principalement, que les sangliers sont abattus sur autorisation du préfet. Les sangliers sont alors « détruits » ; quand ils sont abattus dans le cadre d’une chasse d’agrément, les sangliers sont en revanche « chassés ».

Les sangliers, nuisibles à un endroit, peuvent donc, en théorie, être élevés et lâchés dans le but d’être chassés, à un autre endroit. Cependant, le lâcher dans la nature ne se fait pas de manière libre, il est soumis à l’autorisation du préfet de département, qui peut le refuser dès lors que les sangliers ont déjà causé des dommages dans le département concerné, ou dans les départements limitrophes. C’est ce qui résulte de l’article 4 d’un arrêté du 7 juillet 2006, portant entre autres sur l’introduction dans le milieu naturel de grands gibiers ou de lapins. Ainsi, un chasseur désirant lâcher des sangliers peut se heurter au refus du préfet. Bien que le préfet puisse décider d’accepter ou de refuser un lâcher, Marion Fragier, juriste à l’Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS), fait remarquer « qu’une circulaire de 2009 invite les préfets à n’autoriser qu’exceptionnellement un tel lâcher. Dix ans plus tard la situation en terme de dégâts est bien pire », elle doute « qu’une préfecture osera autoriser un tel lâcher ». Il apparaît en effet peu probable qu’une préfecture autorise le lâcher de sangliers issus d’élevages là où il y en a déjà trop.

Bilan de ce régime

Le bilan de ce régime, duquel il découle un possible classement des sangliers en nuisibles, compte chaque année des milliers de sangliers chassés puis détruits et chaque année d’innombrables dégâts aux cultures, entrainant une réitération constante du classement en nuisible dans certains départements. De plus, les sangliers sont aussi liés à 5542 collisions contre des véhicules, selon une étude faite en 2008 de l’Office nationale de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), représentant entre 31 millions et 49 millions d’euros (coût global des dégâts matériels et des dommages corporels) (2). Selon un article paru sur Terre-net, en 2017-2018, ce sont 700 000 sangliers qui ont été abattus – l’article ne distingue pas entre « chassés » et « détruits » – pour environ 4 millions de sangliers présents en France ; les dégâts aux cultures, qui vont croissant, sont de l’ordre de 50 millions d’euros, dont 30 millions servent à indemniser les agriculteurs. Dans le seul département de la Meuse, en 2016, c’est 1,22 millions d’euros d’indemnisation aux agriculteurs selon le même article. Dans le Var, c’est environ 27 000 sangliers abattus par saison, et leur prolifération est telle que l’ouverture de la chasse en est avancée. Le président de la Fédération départementale de chasse interrogé en 2017 par Europe 1 affirmait : « on chasse de plus en plus, mais c’est intenable ».

D’où viennent donc ces millions de sangliers ? Ils sont très certainement les descendants de ceux élevés dans les quelques 3000 élevages qu’on comptait en 1975. En effet, les lâchers de sangliers destinés à être chassés pouvaient alors être très fréquents avant l’arrêté du 7 juillet 2006, les conditionnant dès lors à l’autorisation du préfet. Il est donc très fortement probable, sinon quasi sûr, que dans la seconde moitié du XXe siècle, de nombreux lâchers ont eu lieu. C’est ce que dénonça au studio de France Culture Fabrice Nicolino, journaliste à Charlie Hebdo et auteurs de nombreux ouvrages traitant de l’écologie : « les sangliers ont été protégés, favorisés par les fédérations de chasse pendant des dizaines d’années […] et les sangliers prolifèrent parce que des hommes ont voulu qu’ils prolifèrent ». Ainsi, comme il a pu le dire habilement dans la même émission de radio : « c’est l’affaire très habituelle de la créature de Frankenstein : la situation générale a échappé au concepteur ». L’Office nationale de la chasse et de la faune sauvage va dans le même sens : « compte tenu de sa pratique actuelle, souvent trop conservatrice, la chasse a été plutôt à l’origine de l’accroissement des populations par une forte tendance à la capitalisation des animaux reproducteurs ».

En outre, il importe aussi de préciser qu’il y a, concernant les lâchers dans le milieu naturel de sangliers provenant d’élevages, un fort souci de transparence. Aucun registre n’est tenu ou ne l’a été sur les lâchers qui ont pu avoir lieu. Il est donc impossible de savoir si un sanglier chassé ou détruit dans le milieu naturel provient ou non d’un élevage. Marion Fragier nous informe qu’un moyen existe cependant pour vérifier s’il y a eu ou non, autorisation de lâcher par une préfecture, bien qu’une telle autorisation soit peu probable : consulter régulièrement les recueils des actes administratifs des 95 préfectures de France. C’est-à-dire un travail colossal.

En revanche, on trouve facilement les arrêtés annuels classant les sangliers comme nuisibles dans certains départements. Ainsi, pour en citer quelques exemples : cette année dans le Var, les sangliers sont à nouveau classés « susceptibles d’occasionner des dégâts » (nuisibles) par un arrêté du 18 mai 2018 jusqu’au 30 juin 2019. Un arrêté du 28 février 2019 les classe également comme nuisibles en Dordogne, jusqu’au 31 mars 2019 – département dans lequel un élevage clandestin de sangliers avait été découvert, démantelé et les sangliers euthanasiés, en application de l’article R413-51 du Code de l’environnement. Un autre arrêté du 22 février 2019 les classe nuisibles jusqu’au 31 mars 2019 en Côte d’or. Il en va de même pour le département de l’Orne selon un communiqué de la préfète du 28 février 2019. Également en Lot-et-Garonne du 1er juillet 2018 au 30 juillet 2019. Les dates sont les mêmes en Meurthe-et-Moselle.

Cette année encore les sangliers seront détruits, comme ils l’ont été l’année passée et celle d’avant, comme ils le seront l’année prochaine et celle d’après, sans que rien ne change, ou plutôt, avec une évolution croissante du nombre de destructions, et de dégâts. C’est en effet la tendance : « pour la saison cynégétique 2016-2017, les chasseurs ont abattu 693 613 sangliers, soit 50 % de plus qu’il y a 10 ans. C’est aussi 8 fois plus qu’il y a 30 ans ». Peut-être serait-il temps de mettre en œuvre d’autres solutions, en tout cas d’y réfléchir très concrètement, car il est clair que le classement en nuisible, qui autorise purement et simplement la destruction croissante des sangliers, semble ne pas fonctionner.

Dans la continuité de cette étude, un second article paraîtra ultérieurement, qui aura comme sujet la recherche d’éventuelles solutions alternatives à la destruction habituelle des sangliers.

Alex Manuel

1. Le point sur l’identification des sangliers d’élevage (IFIP)

2. Pour le calcul du coût des dégâts des collisions de véhicules avec des cerfs, chevreuils et sangliers : l’ONCFS a utilisé deux méthodes de calcul, l’une a donné un résultat de 115 millions d’euros et l’autre de 180 millions. 27 % de ces résultats sont liés aux collisions avec des sangliers : 27 % de 115 millions = 31 millions ; 27 % de 180 millions = 49 millions.

Article publié dans le numéro 101 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences 

ACTUALITÉS