Sangliers: D’autres solutions que le classement comme nuisible?

Dans l’article Régime juridique du sanglier, entre chasse et destruction paru dans la Revue trimestrielle précédente, il a été démontré empiriquement que la chasse et la destruction des sangliers, considérés comme susceptibles d’occasionner des dégâts, n’apparaît pas comme être la solution à l’endiguement de la croissance du nombre de sangliers. En effet « pour la saison cynégétique 2016-2017, les chasseurs ont abattu 693 613 sangliers, soit 50% de plus qu’il y a 10 ans. C’est aussi 8 fois plus qu’il y a 30 ans ».

Dans cet article, nous réfléchirons sur quatre éventuelles solutions alternatives à la chasse (et sur leur mise en œuvre), qui ne visent pas toutes à mettre fin à la prolifération des sangliers, mais qui visent aussi à protéger les cultures, puisqu’on estime à 50 millions d’euros les dégâts qu’a subi le monde agricole français en 2016.

1. Des clôtures pour protéger les cultures

Avant toute chose, il convient de faire remarquer que des clôtures visant à protéger les cultures des sangliers, assez résistantes sinon dissuasives, existent. Ces clôtures sont en principes celles utilisées pour la création de parc de chasse ou enclos au sens du I de l’article L424-3 du Code de l’environnement, dans lesquels sont introduits ou gardés en captivité des sangliers destinés à être chassés. En effet : « le propriétaire ou possesseur peut, en tout temps, chasser ou faire chasser le gibier à poil dans ses possessions attenant à une habitation et entourées d’une clôture continue et constante faisant obstacle à toute communication avec les héritages voisins et empêchant complètement le passage de ce gibier et celui de l’homme ». La capacité de la clôture à empêcher le « gibier à poil » (dont font partie les sangliers) de la traversée est donc une condition de légalité de ces enclos de chasse et donc une condition de leur existence. En effet, s’il s’avérait que les clôtures d’un enclos de chasse n’empêchent pas le passage des sangliers alors il conviendrait de démanteler cet enclos. À présent que nous savons que de telles clôtures existent, il convient de se pencher sur le mode de financement de ses clôtures.

En 2018, le président de la région Auvergne-Rhône Alpes accordait des subventions de 2 500 à 13 000 euros par association de chasse communale de la région, en vue de « l’amélioration des locaux », soit un total de 377 891 euros. Pourtant, comme le fait remarquer l’OBS dans un article paru le 11 juillet 2018, « plus de 10 associations de chasse ont reçu cette subvention visant à améliorer leurs locaux alors qu’elles disposent déjà de locaux flambant neufs ou… qu’elles n’ont pas de locaux. Les chasseurs de Beaufort-sur-Doron, en Savoie, disposeront ainsi de 2 500 euros pour rénover un chalet inauguré il y a un an. Même chose à Saint-Jorioz, Haute-Savoie, où 7 662 euros de la région doivent servir à rénover un local que l’asso décrivait comme flambant neuf en mai 2017 ». Il y a donc une remise en cause et un doute sérieux sur l’utilisation de ses subventions visant à rénover des locaux d’associations qui n’en avaient semble-t-il pas besoin. Pourtant, dans cette même région, sur les dix dernières années (2006-2016), la surface annuelle moyenne impactée par des dégâts de sangliers est d’environ 3206 hectares – les données pour le département de l’Allier, hormis ceux de 2016 ne sont pas disponibles. À cet égard, on peut se questionner sur le point de savoir s’il aurait été plus opportun ou non de réserver ces subventions à la pose de clôtures qui auraient empêché les sangliers d’accéder aux cultures plutôt qu’à des rénovations de locaux qui n’en avaient apparemment pas besoin. En 2018 également, le président de la région Haut de France finançait « un radar d’observation des oiseaux » d’un coût de 220 000 euros, ce radar permet aux chasseurs de « détecter les oiseaux 24h/24 jusqu’à 3 000 mètres ». Pourtant, on apprenait la même année que « les oiseaux disparaissent des campagnes à une vitesse vertigineuses ». Ce décalage entre la réalité écologique du nombre d’oiseaux qui décroit et les mesures financières coûteuses favorisant la chasse de ces derniers nous invite aussi à nous questionner sur l’existence de besoins plus urgents et nécessitant aussi une aide financière de l’état, comme la protection des cultures par exemple. En effet, les cultures dans les départements de la région Haut de France, sur les dix dernières années (2006-2016), ont eu une surface annuelle moyenne impactée par des dégâts de sangliers de 1116 hectares – les données pour le département de l’Aisne, département le plus touché dans cette région, ne sont pas disponibles, hormis ceux de 2016.

2. Limiter une urbanisation déjà excessive dans les forêts

Nous avons évoqué plus haut l’existence d’enclos et de parcs de chasse dans lesquels se trouvent notamment des cerfs, chevreuils, lapins, lièvres, renards et sangliers. L’existence de ces enclos et parcs de chasse, comme nous l’avons fait remarquer est conditionnée à la pose d’une clôture continue faisant obstacle au passage du gibier, qui n’est pas censé pouvoir y sortir ni y entrer. Il s’agit donc de préserver une faune sauvage dans un espace réduit afin d’y accueillir des chasseurs sûrs d’avoir du gibier à disposition, et ce moyennant tarif. Une base de données sur internet est disponible et recense de nombreux parc et enclos, sur le site de la Fédération des associations de chasseurs aux chiens courants. Un parc de 180 hectares (1,8 km²), issu de cette base de données, chasse « entre 3 et 5 sangliers (…) durant ces journées » – 10 journées étant présentées sur le site. Au total ce sont 91 parcs ou enclos de chasses contenant des sangliers inscrits dans cette base de données. En additionnant leur surface on obtient une surface de 52 339 hectares (523,39 km²) – 3 parcs ou enclos n’ont pas inscrit leur surface. Ce sont donc 523 km² qui sont exclusivement réservés à la pratique d’une chasse privée, organisée et payante, assurant alors aux chasseurs qui le désirent l’existence de gibiers. Dès lors on peut se questionner sur le caractère d’utilité publique, écologique ou gestionnaire d’une telle chasse d’agrément, dans la mesure où les animaux de ces parcs et enclos sont en principes enfermés, également dans la mesure où ces parcs et enclos, pour répondre à la demande des chasseurs sont très certainement approvisionnés en gibiers, notamment en sangliers, alors même qu’à l’extérieur de ces parcs, les ongulés causent des dégâts dont nous savons l’envergure. Ce sont donc au moins 523 km² dans lesquels la faune sauvage ne peut accéder, 523 km² forestiers qui lui sont bloqués et qui la refoule, lui laissant alors bien moins d’espace naturel, au risque de voir certains animaux sauvages comme les sangliers quitter la forêt, qui n’est en quelque sorte plus accessible, et se rapprocher alors un peu plus de l’homme et surtout des cultures, source de nourriture alternative au milieu forestier. A cet égard et au vu de la surface considérable qu’utilisent ces parcs et enclos au sein même du milieu naturel, il faudrait certainement limiter fortement la création de nouvelles zones de ce type.

3. Le sanglier, autorégulateur

Dans le canton de Genève, d’une surface de 282 km², en 1974, l’interdiction de la chasse a été approuvée par référendum par 72% de la population votante, malgré les avertissements des chasseurs sur une potentielle prolifération non contrôlée des animaux sauvages. Pourtant, plus de quarante ans après, la faune sauvage s’est auto-régulée, les sangliers y compris. Quelques dégâts causés par ces derniers surviennent parfois sur les cultures, ces problèmes sont cependant réglés par des gardes professionnels, qui n’abusent pas pour autant de leur fusil. Ainsi dans ce canton, pas besoin d’élevages ni de classement en nuisible des sangliers. Par ailleurs, le surplus de sangliers qu’il y aurait à Genève, ville frontalière avec la France, proviendrait du territoire français, qui ne parvient pas à régler ses problèmes de prolifération. La solution se trouverait donc peut-être chez nos voisins genevois. Pour autant, la situation en France est d’une gravité telle qu’on pourrait considérer risqué le fait de stopper purement et simplement la chasse des sangliers. En effet il pourrait y avoir dans un premier temps une explosion de la population qui serait encore plus préjudiciable que ne l’est la situation actuelle dans des départements où le nombre de sangliers est particulièrement élevé. Pour éviter une telle prolifération, il est cependant possible d’agir sur le long terme et de débuter un arrêt de la chasse des sangliers dans certains départements limitrophes avec le Canton de Genève, et de laisser le temps aux populations de sangliers de ce département et du Canton genevois de s’harmoniser entre-elles. Si un arrêt de la chasse n’a pas posé de problème d’explosion de la population de sangliers dans le canton voisin, a priori il n’y a pas de raisons pour qu’un arrêt en cause dans le département frontalier à ce Canton, qui n’a qu’une frontière immatérielle les séparant. Comment s’effectuerait cette harmonisation ? Une fois la population de sanglier stabilisée dans le département français frontalier, la même opération pourrait être effectuée dans un des autres départements frontaliers avec la Suisse afin que les populations de sangliers se répartissent équitablement dans les territoires. Si dans un département A le nombre de sanglier est de 10 et dans un département B le nombre de sanglier est de 60, il y a fort à parier que certains sangliers du département B se déplaceront vers le département A qui comporte moins de sangliers et donc une moindre pression de compétition sur la nourriture, de telle sorte à pouvoir observer une homogénéisation des populations des différents territoires, d’où l’importance de débuter proche d’une zone qui n’est pas en surplus d’ongulés. En outre, s’il s’avère qu’il puisse y avoir un risque dans un département dans lequel le nombre de sangliers est trop important et qu’un arrêt de la chasse soit incertain quant aux conséquences sur la reproduction des sangliers qui pourrait alors s’accroître, une interdiction de leur chasse pourrait être précédée dans un premier temps d’une contraception, afin de s’assurer qu’il n’y ait pas une prolifération non contrôlée, bien qu’une telle prolifération n’ait pas été observée dans le Canton de Genève.

4. La contraception

Il s’agit ici de limiter la reproduction des sangliers plutôt que de tenter en vain de réduire par la chasse leurs effectifs qui ne font finalement que croître, comme nous l’avons démontré dans l’article précédent paru dans la revue n° 101. Cette question d’une éventuelle contraception dans le but de limiter la reproduction chez les sangliers a déjà fait l’objet d’une étude de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) en 2010. L’étude évoque notamment la contraception par vaccination qui « provoque l’infertilité des sujets traités en les immunisant contre une protéine ou une hormone indispensable à la reproduction », tel que le vaccin GonaCon, testé sur plusieurs mammifères et également sur des sangliers, et qui serait « effectif pour plusieurs années » sans avoir a priori d’effets négatifs sur la santé des sangliers : « les analyses hormonales suggèrent que le traitement avec le GonaCon réduit fortement, mais ne bloque pas complètement, la production d’hormones reproductives. Celles-ci restant disponibles, elles ont des effets positifs sur le bien-être et la santé des animaux ». L’étude évoque ensuite des simulations théoriques effectuées en 2008 selon lesquelles « la vaccination annuelle de 30 % des individus présents conduirait à une réduction des effectifs de 70 % en dix ans ». En revanche, elle reproche à ses simulations de ne pas prendre en compte ni l’immigration des animaux ni les modifications du taux de survie des animaux traités selon elle très probable. Par ailleurs comme le fait remarquer l’ONCFS de nombreuses questions restent sans réponses : quel coût aurait un plan de contraception par vaccination ? Quelles conséquences sur l’écosystème (pollution des sols, de l’air, des eaux) ? À qui reviendrait la tâche d’effectuer une telle vaccination ? In fine, pour l’ONCFS la vaccination « viendrait en complément de l’activité de chasse pour faire diminuer encore plus rapidement le nombre d’animaux » et, au vu de cet objectif, « l’activité cynégétique peut largement y pourvoir ». Il est assez étonnant de parvenir à une telle conclusion, l’étude elle-même cite pourtant différents travaux qui ne vont pas dans ce sens : « le prélèvement [la chasse] d’individus dans la population n’a qu’un effet très temporaire sur les effectifs, qui vont très rapidement se reconstituer (Bomford & O’brien, 1997). De façon schématique et simpliste, on peut dire que la population résiduelle va bénéficier de plus de nourriture et d’espace et se reproduira en conséquence plus rapidement en montrant éventuellement « un effet rebond » (Zhang, 2000) ».

Pour conclure, on peut dire que la contraception paraît être une méthode incertaine voire même risquée dans le milieu naturel. Elle pourrait cependant être utilisée « éventuellement dans le cas de populations très isolées » comme l’affirme aussi l’ONCFS dans son étude. On peut finalement se demander si un tel moyen régulateur de la prolifération des sangliers pourrait être envisageable dans le cadre d’une interdiction de la chasse, dans un territoire donné (hypothèse évoquée plus haut), si le territoire dont il est question comporte un taux de sanglier élevé et qu’une interdiction de la chasse constituerait un trop gros risque de voir la population d’ongulés augmentée plus encore. Dans un tel schéma, la contraception serait éventuellement la garantie de ne pas voir la population de sangliers exploser, le temps que les effectifs diminuent suffisamment et qu’elle ne soit alors plus nécessaire à leur régulation. En outre, une telle méthode, pose, tout comme la méthode cynégétique, de sérieux questionnements éthiques puisque tout à fait contre nature et avec des effets sur le milieu naturel tout à fait incertains.

Alex Manuel

Article publié dans le numéro 102 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences

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