De la convention citoyenne au projet de loi climat et résilience

La convention citoyenne devait être un grand moment de démocratie. Malheureusement, le projet de loi climat et résilience, censé reprendre les propositions de la convention citoyenne, ne semble pas à la hauteur des enjeux.

La ministre Barbara Pompili présentait le 10 février 2021 en conseil des ministres le projet de loi climat et résilience. Il devait concrétiser une partie des 149 propositions rendues le 21 juin 2020, par la convention citoyenne. Celle-ci a rassemblé 150 citoyens et experts pour définir des mesures permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici 2030 en France.

Une situation dramatique

Les mesures tendent à restreindre l’impact de l’activité humaine sur le réchauffement climatique, dans un esprit de justice sociale. Cependant, il ne faut pas occulter les effets du dérèglement climatique au-delà de l’espèce humaine : les espèces animales et végétales en sont aussi victimes. En effet, l’UICN estime que 35 % des oiseaux, 52 % des amphibiens et 71 % des récifs coralliens seront particulièrement impactés par le changement climatique. Des chiffres sous-estimés selon une étude de 2017, qui rapporte que 47 % des mammifères terrestres subissent déjà les conséquences négatives du réchauffement climatique. De même pour 23,4 % des 1 272 espèces d’oiseaux menacées.

En effet, la dégradation du climat entraîne des changements rapides sur le milieu de vie des animaux. Le réchauffement des océans est en corrélation avec le rétrécissement de la banquise qui menace notamment l’ours polaire. Les sécheresses importantes, comme en a connu l’Australie, ont provoqué des feux de forêts réduisant ainsi d’un tiers la population de koalas et sans aucun doute de nombreuses autres espèces. À ce bilan, il faut ajouter l’activité humaine qui déverse de nombreux pesticides dans la nature, menant aujourd’hui à la perte de 70 % des insectes, dont les abeilles. La déforestation, la pollution plastique, l’aménagement des côtes, le braconnage, l’agriculture intensive sont autant de problématiques qui nuisent aux espèces animales.

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Le réchauffement climatique est donc une menace pour la planète et tous ses habitants. C’est en prenant la mesure de ces événements que le président de la République Emmanuel Macron avait mis en place un exercice démocratique : la convention citoyenne pour le climat.

La convention citoyenne pour le climat

Ces dernières années ont été marquées, en France, par diverses crises sociales comme celle des gilets jaunes qui réclamaient davantage de justice sociale. C’est en réponse à ces évènements qu’en octobre 2019, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a rassemblé 150 citoyens représentatifs de la population française et tirés au sort sur demande du Premier ministre Édouard Philippe. L’objectif était de « définir les mesures structurantes pour parvenir, dans un esprit de justice sociale, à réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 % d’ici 2030 par rapport à 1990 ». La convention citoyenne était encadrée par un comité de gouvernance. Aussi, trois experts du climat et de la démocratie participative et quatre experts du champ économique et social étaient présents afin d’aider les citoyens à formuler leurs propositions. Enfin, la convention est une organisation indépendante : trois garants ont été choisis pour veiller à ce que celle-ci se déroule dans de bonnes conditions – Cyril Dion a notamment eu cette charge.

Après huit mois de travail, au palais d’Iéna dans le 16e arrondissement de Paris, la convention a rendu 149 propositions articulées sous cinq thématiques : se déplacer, consommer, se loger, produire/travailler et se nourrir. Les mesures vont de la proposition d’un choix végétarien quotidien dans les self-services à partir de 2022 à la limitation de la consommation d’énergie dans les lieux publics, les lieux privés et les industries par des mesures fortes, en passant par le renforcement des clauses environnementales dans les marchés publics (voir tableau).

ThématiquesObjectifsJustifications
Se déplacer11Les déplacements représentent aujourd’hui 30 % des émissions de gaz à effet de serre en France. Mieux se déplacer personnellement et transporter autrement les marchandises est essentiel.
Consommer5Nos habitudes de consommation, voire de surconsommation, ont un fort impact sur l’environnement. Une consommation plus sobre et vertueuse est possible quel que soit son pouvoir d’achat.
Se loger3Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans l’habitat, il faut revoir les bâtiments dans leur ensemble. Comment se loger dans une ville végétalisée, rénovée et moins polluante ?
Produire/travailler10Le passage à une société décarbonée implique de transformer pleinement l’appareil de production et les métiers. Travailler et produire différemment s’imposent.
Se nourrir14Se nourrir est un besoin vital qui génère de nombreuses émissions de gaz à effet de serre. Comment réinventer un système alimentaire durable et accessible à tous d’ici 2030 ?

Les premières mesures refusées

Emmanuel Macron s’est engagé à soumettre au Parlement ou à référendum les propositions des citoyens de la convention à l’exception de trois d’entre elles : la limitation à 110 km/h sur les autoroutes, la taxe sur les dividendes à hauteur de 4 % pour les entreprises afin de financer la transition écologique, et enfin la réécriture du préambule de la Constitution pour « placer l’environnement au-dessus de nos autres valeurs fondamentales ».

Les membres de la convention attendaient beaucoup de la présentation du projet de loi issu de leurs propositions et les critiques ne se sont pas faites attendre. Le projet de loi est perçu comme « détricoté », « vidé de sa substance », « écartant les vraies problématiques ». En novembre 2020, le ministre de la Justice Éric Dupont-Moretti et la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili annonçaient en grande pompe la création d’un « délit d’écocide ». Issue de la convention, cette proposition était vue comme une petite révolution. En janvier dernier, ce délit censé punir les pollueurs est requalifié comme « violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement » et si elles « entraînent des effets nuisibles graves et durables sur la santé, la flore, la faune ». En d’autres termes, la négligence et l’imprudence qui sont principalement à l’origine des cas de pollution ont été retirées du projet de loi. Il faudra donc prouver que le pollueur a volontairement outrepassé la réglementation et a sciemment agit contre l’environnement, une qualification rendue difficile en droit français.

Le projet de loi climat a été examiné par l’Assemblée nationale fin mars et début avril 2021. Il est vivement critiqué par les organisations de protection de l’environnement, institutions et parties prenantes des sujets climatiques. Un compte rendu en sera fait dans notre prochaine revue.

Lire aussi: Rapport de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES)

Déception des ONG de protection de l’environnement

À la suite de la présentation du projet de loi en conseil des ministres, 110 associations ont écrit une lettre à l’intention du président de la République affirmant que « le compte n’y était pas ». Même s’ils ont salué l’initiative historique du gouvernement de faire participer les citoyens à la vie politique, les associations soulignent des mesures relevant davantage de l’incitation aux changements qu’à de réelles mesures fortes. Selon la Fondation Nicolas Hulot, le projet de loi « trahit l’ambition des membres de la convention citoyenne pour le climat ». D’après elle, les mesures proposées ne permettront pas de réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030.

Alors que l’État vient d’être condamné pour inaction climatique à la suite de « l’affaire du siècle », le projet de loi ne semble pas rendre compte d’une réelle prise de conscience de la part des dirigeants. L’ONG Greenpeace estime le projet de loi « au rabais » par rapport aux attentes sociétales et aux enjeux climatiques. L’organisation appelle à davantage de mesures contraignantes et à rendre ce texte plus ambitieux afin de décarboner l’économie dans le respect de la justice sociale. Pour l’association France Nature Environnement, le projet n’est pas à la hauteur, mais elle compte sur le débat auprès des parlementaires pour durcir le texte. La Confédération paysanne relève aussi « le manque d’ambition » du projet de loi climat ; pour le syndicat, la loi climat ne suffira pas pour tenir les engagements de la France en matière de diminution des gaz à effet de serre.

Dans le même temps, l’Union européenne demande à la France d’augmenter ses efforts en matière de lutte contre le réchauffement climatique ; celle-ci fixe de nouveaux objectifs à 55 % de baisse des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030. C’est une nouvelle qui va dans le bon sens, cependant, les organisations de protection de l’environnement s’inquiètent déjà du manque de moyens pour respecter les objectifs de la convention citoyenne. Emmanuel Macron s’était pourtant engagé à reprendre les mesures de la convention « sans filtre » ; Mathilde lmer, membre du comité de gouvernance de la convention citoyenne, reconnaît que le « sans filtre » n’est pas vraiment tenu. Enfin, Mélanie Cosner, l’une des participantes à la convention, s’exprime sur la loi climat : « On est déçu de voir autant de nos propositions amoindries. »

La loi climat et les institutions

La convention citoyenne s’annonçait comme un grand moment de démocratie participative dans la vie politique française, et tous s’accordent pour saluer l’effort d’innovation de cette initiative. Elle semble cependant aussi montrer ses limites. Le président avait commencé par refuser certaines mesures, et le projet écrit aujourd’hui semble plus tenir d’une politique de trop petits pas que de réelles avancées en matière de protection de l’environnement.

La loi sera présentée au Sénat en mai. Son président, Gérard Larcher, avait déjà refusé de participer aux discussions lors des travaux de la convention citoyenne sous couvert de séparation des pouvoirs. « Le Parlement est le Parlement, et les groupes extraparlementaires n’en font, par définition, pas partie » avait affirmé le sénateur Philippe Dallier. De plus, Emmanuel Macron avait souhaité soumettre par voie référendaire certaines propositions de la convention citoyenne comme d’inscrire au préambule de la Constitution la protection de l’environnement. Cette modification a été refusée par le président du Sénat qui ne souhaite pas inscrire l’environnement comme mesure suprême, mais au même niveau que les droits fondamentaux. La tenue d’un référendum sur le climat semble compromise, celui-ci ne pouvant se tenir qu’après un accord de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Le CESE, à l’initiative de la convention citoyenne, s’interroge sur les objectifs et les ambitions de la loi climat : « [le projet de loi] n’est pas cohérent avec les objectifs français de réduction des émissions des gaz à effet de serre. » Le Conseil d’État déplore, lui aussi, des « insuffisances notables » dans le projet de loi, légitimant ainsi les critiques des organisations environnementales. Enfin, le Haut Conseil pour le climat (HCC) a pointé du doigt « la portée réduite » du projet de loi. La présidente du HCC, Corinne Le Quéré, a déclaré que même si la loi climat allait dans le bon sens, « le projet de loi n’offre pas suffisamment de portée stratégique ». En effet, la France accuse un retard vis-à-vis de ses objectifs de réduction d’émission de gaz à effet de serre : le bilan carbone de 2015-2018 n’a pas été tenu et les objectifs ont donc été assouplis. Ainsi, le HCC compte sur les députés et les sénateurs pour « rectifier le tir » et donner une portée plus ambitieuse à ce projet.

C’est donc pour maintenir la pression sur les élus que le 28 mars 2021 (soit la veille du passage devant l’Assemblée nationale du projet de loi) qu’une manifestation s’est organisée dans plusieurs villes de France. Le rassemblement a réuni 44 000 personnes selon le ministère de l’Intérieur, alors que les organisateurs avancent le chiffre de 110 000 personnes. À la veille de son examen, le projet de loi climat et résilience comptait  7 000 amendements déposés, une nouvelle preuve de l’importance et de la sensibilité du sujet de ce texte.

Conclusion

Emmanuel Macron avait lancé la convention citoyenne pour le climat avec l’objectif affiché de recueillir l’avis des citoyens et leurs propositions pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici à 2030. Encadrés par des experts du climat, de l’économie et de la démocratie participative, la convention a rendu ses 149 propositions le 26 juin 2020. Le chef de l’État avait assuré reprendre « sans filtre » toutes les propositions sauf trois d’entre elles. Depuis, le projet de loi climat et résilience, censé utiliser le travail accompli par les membres de la convention citoyenne, semble s’en éloigner. Au regard des réactions et des critiques, les mesures du projet de loi n’ont pas l’air suffisamment ambitieuses pour lutter contre les enjeux climatiques qui s’imposent à l’humanité, au monde animal et à tout être vivant.

Laëtitia Leray


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