Les zoonoses: plaidoyer pour « Une Santé »

Sommes-nous responsables de l’émergence de maladies transmises entre les humains et les animaux ? Pour comprendre et analyser les zoonoses, il est essentiel de s’intéresser au concept d’une seule santé. L’espèce humaine, le monde animal et la Nature sont étroitement liés et nos modes de vie impactent ces transmissions.

Définitions et limites du sujet

C’est le médecin allemand Rudolf Virchow[1] qui a créé, en 1855, le terme zoonose (du grec zoon animal et nosos maladie), qui signifie « maladie due à l’animal ». On entend par zoonoses les maladies (infections ou infestations) dont l’agent se transmet naturellement des animaux vertébrés à l’être humain, et vice-versa. Pour être plus précis, on dit anthropozoonose lorsque la transmission s’opère de l’animal à l’homme, et zoo-anthroponose, lorsqu’elle s’effectue de l’homme à l’animal. Plus généralement, en parlant ici de zoonoses, il s’agit des maladies que l’animal transmet à l’homme. Elles sont très nombreuses (plusieurs centaines) et très diverses.

Lorsqu’une maladie frappe une espèce animale ou un groupe d’espèces dans une région plus ou moins vaste, on parle d’épizootie ; si celle-ci touche un ou plusieurs continents, on parlera alors de panzootie, de même que l’on parle d’épidémie, voire de pandémie lorsque, dans les mêmes cas de figure, la maladie frappe l’espèce humaine. Enfin, une épizootie peut se transformer en zoonose si elle se transmet à l’homme : de sinistre mémoire, ce fut le cas – par exemple – de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) qui frappa la Grande-Bretagne en novembre 1986, puis se transmit à l’homme sous le nom de maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Les zoonoses constituant désormais un très vaste sujet d’investigations qui ne peuvent être traitées que par des spécialistes reconnus, il n’est pas question, ici, d’entrer dans le détail des zoonoses, même les plus connues, sous peine de ne se focaliser que sur la plus actuelle d’entre elles et d’oublier l’importance des autres, ou bien d’en éclipser l’essentiel à savoir les conséquences qui en découlent et les leçons qu’il faudrait en tirer. Par pragmatisme, et pour en faciliter la compréhension, nous n’en retiendrons ici que quelques aspects.

Quelques considérations propres aux zoonoses :

Un peu d’histoire pour éclairer le lecteur : la transmission d’agents infectieux ou parasitaires de l’animal vers l’homme devrait être pratiquement considérée, sinon comme un phénomène naturel, à tout le moins comme une succession de phénomènes directement liés aux modes de vie de l’homme dans l’environnement de l’animal et aux modes de vie des espèces animales dans l’environnement de l’homme : tour à tour, la domestication de l’animal, les modes d’élevage avec, parfois, leurs excès, le développement de certaines zones périurbaines envahies par des populations dépourvues de tous moyens sanitaires, la prolifération de certaines espèces animales entretenues sans la moindre hygiène, la place grandissante (« sociétale ») des animaux de compagnie partageant la vie privée des gens, puis celle parfois irraisonnée de certains NAC (nouveaux animaux de compagnie), l’augmentation de certaines populations à des titres divers, avec leur cortège de besoins alimentaires, notamment en protéines animales, le développement des marchés d’animaux vivants, parfois insuffisamment contrôlés (ou clandestins), la mondialisation des échanges humains et animaux, tout cela ajouté à des activités humaines qui ont empiété sur des espaces naturels, parfois inconsidérément, bref des modes de fonctionnement qui n’ont plus rien à voir avec ce que l’on a connu il y a seulement quelques décennies en arrière, et cela ajouté à des dérèglements climatiques qui en sont souvent les conséquences, mais aussi parfois l’une des causes, il n’en faut pas plus – et c’est déjà considérable – pour expliquer la survenue de nouvelles contaminations et la naissance de nouvelles épidémies, potentiellement pandémiques.

En 2016, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) soulignait que « les zoonoses sont des maladies opportunistes qui se développent lorsque l’environnement change » et notait une augmentation significative du réservoir planétaire viral, générant en moyenne une nouvelle maladie infectieuse chez l’homme tous les quatre mois, conclusion corroborée par Kate Jones, professeur d’écologie à l’University College de Londres : sur 335 maladies émergentes apparues depuis 1940, avec identification de 84 virus pathogènes résultant de transmissions interespèces, « 82 % des émergences virales chez l’homme sont associées à une dizaine de facteurs, en particulier les changements d’écosystèmes sont à l’origine de près d’un quart des épidémies »[2].

Selon une étude parue en avril 2020[3], croisant les données de 142 zoonoses virales, répertoriées dans les études depuis 2013, « les rongeurs, primates et chauves-souris ont été identifiés comme les principaux hôtes (75,8 %) des virus transmis à l’homme ; mais la moitié des animaux domestiques, en particulier ceux des élevages industriels, sont aussi massivement porteurs ».

À ce stade, d’autres précisions terminologiques s’imposent : les zoonoses sont des maladies transmissibles, excluant par conséquent d’autres processus tels que, par exemple, l’envenimation ou des phénomènes d’allergie. Les agents étiologiques (les causes) des zoonoses sont « des agents transmissibles (bactéries, virus, parasites ou prions) qui ne sont pas inféodés à un seul hôte et qui peuvent provoquer une infection ou une infestation (avec ou sans maladie clinique) chez au moins deux espèces de vertébrés, dont l’homme »[4]. L’origine de la maladie peut être animale, mais son mode habituel de transmission ne sera pas forcément un animal ; tel est le cas du SIDA, maladie strictement humaine, même si son origine est animale. Le réservoir est « un système écologique (biotope et biocénose) dans lequel un agent (zoonotique) survit indéfiniment »[5] ; ainsi, un invertébré, par exemple un arthropode, peut être un réservoir de virus (ou autre), tout comme le milieu lui-même, tel le sol qui peut être l’une des composantes du réservoir naturel du charbon. L’hôte est un être vivant qui héberge un agent pathogène dans des conditions naturelles. Le vecteur est « un être vivant qui, à l’occasion de relations écologiques, acquiert un agent pathogène sur un hôte vivant et le transmet ensuite à un autre hôte »[6]. Ainsi, les Culex (variété de moustiques) sont des vecteurs biologiques de l’infection à Virus West Nile, maladie considérée comme une maladie vectorielle. Selon l’OIE[7], une maladie émergente est « une infection nouvelle, causée par l’évolution ou la modification d’un agent pathogène ou d’un parasite existant, qui se traduit par un changement d’hôtes, de vecteur, de pathogénicité ou de souche ».

Soixante-quinze pour cent des maladies humaines émergentes seraient zoonotiques, ce qui en démontre à l’évidence leur importance, mais aussi leurs conséquences à tous égards, d’abord sanitaires, puis économiques, sociologiques et, forcément, politiques. Schématiquement, les zoonoses les plus courantes peuvent être réparties en 4 grandes catégories : les zoonoses d’origine bactérienne (par exemple, la tuberculose, les salmonelloses, la brucellose, la listériose, la maladie des griffes du chat), les zoonoses d’origine virale (par exemple la rage, la maladie à virus Ébola, le chikungunya, la dengue, le SRAS, la covid19), les zoonoses d’origine parasitaire (par exemple le ténia, l’ascaridiose, la leishmaniose, la toxoplasmose, la trichinellose) et les zoonoses d’origine fongique (telles, l’aspergillose, la candidose).

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Qu’en est-il aujourd’hui ?

Une sante

Depuis une vingtaine d’années, une nouvelle maladie émergente apparaît tous les 14 à 16 mois, contre tous les 10 à 15 ans dans les années 1970. C’est considérable. Selon les institutions internationales, au moins 60 % des maladies infectieuses décrites chez l’homme sont d’origine animale. C’est dire que les causes animales représentent une réelle menace, à plusieurs titres, pour l’état sanitaire des populations humaines et, par voie de conséquence, pour l’économie en général et les équilibres environnementaux.

Un constat s’impose désormais : il nous faut absolument considérer, analyser, étudier les zoonoses et toutes les épidémies à travers le prisme d’Une seule Santé[8] ? Les liens étroits et quasiment obligés qui existent entre les réservoirs, les vecteurs et les cibles qui, elles-mêmes, peuvent à leur tour constituer de nouvelles sources d’infection démontrent à l’évidence qu’il y a là, notamment dans le très vaste domaine des maladies infectieuses, une quasi-confluence entre la médecine humaine et la médecine vétérinaire, tant dans la démarche clinique, l’analyse et la recherche de l’étiopathogénie[9], que dans la compréhension des processus pathologiques, et même dans l’élaboration de certains traitements. Le bon sens, la modestie et les connaissances spécifiques de tous les acteurs amenés à intervenir, notamment au cours des épisodes de pandémie, ne peuvent que conduire à une approche pluridisciplinaire, forcément fructueuse, entre tous les professionnels de la santé animale et les professionnels de la médecine humaine. Les épidémies de maladie à virus Ébola, de SRAS[10] et de grippe aviaire[11] qui se sont succédé au cours des dernières décennies ont amené les organisations internationales à créer des liens et à concevoir Une seule Santé, dans ses trois composantes : humaine et animale, bien sûr, mais aussi environnementale, tant il est vrai que toute dégradation de l’environnement porte en elle-même les germes de graves conséquences pour la Santé (humaine et animale). C’est ainsi qu’au niveau européen, l’épidémie de SRAS conduisit au renforcement des réseaux sur les maladies transmissibles, et à la mise en place du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, opérationnel depuis fin 2005. De même, l’épizootie d’influenza aviaire, hautement pathogène, avec son impact sur la santé humaine, l’économie et les échanges internationaux, ont conduit les acteurs de santé humaine et animale à se coordonner et à imaginer ensemble de nouvelles politiques de lutte et de prévention. La pertinence de cette approche et son évidente nécessité ont décloisonné certains domaines jusque-là « réservés » et ont, ainsi, incontestablement permis des progrès importants tant dans la mise en œuvre des mesures de prévention et de nouveaux traitements que dans l’élaboration de normes communes, synonyme de gains de temps et d’efficacité.

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On ne peut, dès lors, qu’approuver l’excellente initiative prise par Loïc Dombreval, député mais aussi vétérinaire, de promouvoir officiellement un Haut Conseil « Une seule Santé » qui s’occuperait d’une façon coordonnée de tous les grands problèmes dont le fil rouge est la santé en général : la santé humaine, bien sûr, la santé animale, mais aussi la santé de notre environnement, dans toutes leurs implications communes et réciproques. Fédérer les experts de toutes les grandes Organisations internationales (OMS[12], OIE, FAO et le PNUE) pour mettre en commun leurs recherches, leurs connaissances, leurs expériences respectives, leurs avis et recommandations ne pourra qu’amplifier, c’est une évidence, les progrès à venir.

Dans cette même logique, on pourrait aussi imaginer, pourquoi pas ? que des enseignements communs pourraient, en amont, être mis en place, d’une façon durable – et non plus occasionnelle – de concert entre les facultés de médecine et les écoles vétérinaires, sur tous les aspects relatifs en premier lieu aux zoonoses, puisque celles-ci vont prendre, dans l’avenir et selon toute vraisemblance, de plus en plus d’importance, avec leur cortège de conséquences sanitaires, sociales, économiques, mais aussi politiques.

(…)

Conclusion

Toutes les zoonoses, qu’elles soient majeures ou mineures, démontrent à l’évidence l’importance du rôle que peuvent jouer certaines espèces animales dans l’environnement de l’homme. Celles-ci, aujourd’hui parfaitement identifiées, sont soit des réservoirs, soit des vecteurs, en tout cas des transmetteurs de germes, causes de maladie. Connaître ces vecteurs, leurs modes de vie et de reproduction, permet de mieux prévoir et d’anticiper les risques à venir. Connaître parfaitement les espèces animales concernées et leur environnement, les protéger intelligemment afin d’en mieux maîtriser les déplacements et leur impact sur la vie de l’espèce humaine, c’est démontrer à la fois que le monde animal et l’environnement sont bien aujourd’hui deux composantes, majeures et indissociables, étroitement liées à la condition humaine, mais aussi que toute hiérarchie dans ce trinôme est désormais vaine. Chacun de ses trois éléments ne vaut pas plus que les deux autres, puisque si l’un d’eux se dégrade, tombe gravement malade, voire disparaît, il entraîne inéluctablement de graves complications et dysfonctionnements dans l’harmonie générale du « système ». Ces trois parties du Tout : l’espèce humaine, le monde animal et la Nature sont indissociables. Ils sont la Vie. Qu’en fait-on ? Que va-t-on en faire ?

Ce même constat confère donc à notre environnement général – ce n’est pas nouveau, mais il n’est jamais inutile de le rappeler – la même importance que celle que l’on s’accorde à nous-mêmes et au monde animal. Il n’est peut-être, alors, pas encore trop tard pour rectifier toutes nos erreurs du passé – elles sont légion – et en corriger résolument les nombreuses brèches qui ont déjà altéré, plus ou moins profondément, l’environnement de notre Planète. Ce constat est cruel, mais lucide. Les pandémies à venir en seront peut-être, un jour, les sanctions, déjà prévisibles. Pour l’heure, les gens qui dirigent notre Planète en ont, au premier chef, la lourde responsabilité et ne devraient surtout jamais oublier que « Gouverner c’est Prévoir », selon la célèbre formule attribuée à Thiers. Celle-ci est plus actuelle que jamais.

Alain Grépinet

Docteur vétérinaire, expert honoraire près la Cour d’appel de Montpellier, ancien Chargé de cours de législation et de droit vétérinaires à l’École nationale vétérinaire de Toulouse.


[1] Rudolf Virchow (1821-1902), médecin et homme politique prussien, considéré comme l’un des fondateurs de l’anatomo- pathologie moderne.

[2] Zoonose – Wikipédia juin 2021.

[3] Zoonose – Wikipédia, juin 2021.

[4] Savey 2004.

[5] Ashford, 2003.

[6] Toma et al.,1991.

[7] L’Office International des Epizooties, qui s’appelle désormais « l’Organisation mondiale de la santé animale », dont le siège est à Paris.

[8] « One Health » selon le vocable anglo-saxon. Ce concept a fini par s’imposer aux USA en 2004.

[9] C’est l’étude des causes d’une maladie et des mécanismes ou processus par lesquels elles agissent pour produire leurs effets.

[10] SRAS : syndrome respiratoire aigu sévère

[11] Zoonoses – Wikipédia, juin 2021, page 3/17

[12] OMS : Organisation mondiale de la santé (dont le siège est à Genève) ; FAO : Food and Agriculture Organisation (dont le siège est à Rome) ; PNUE : Programme des Nations Unies pour l’Environnement (dont le siège est à Nairobi – Kenya).

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