Sous l’océan, on ne s’entend plus – la pollution sonore en question

L’océan est un milieu vivant et un excellent support pour la propagation des ondes acoustiques. Malheureusement, la pollution humaine s’étend de plus en plus au domaine sonore en milieu marin, au grand dam de ses habitants naturels, qui ne s’entendent plus…

Le « monde du silence »* de plus en plus dévasté par la pollution sonore anthropique

Soudain, des ondes sonores d’une extrême intensité, hurlant à intervalles répétés, envahissent les océans. Paniqués, désorientés, incapables de communiquer avec leurs semblables, des cétacés s’épuisent dans leur tentative d’échapper à ces bruits invasifs créés par l’homme. Aux Bahamas, en Méditerranée ou en Californie, la triste découverte de dizaines de baleines et dauphins échoués à la suite d’essais de sonars militaires n’est qu’un exemple parmi tant d’autres des terribles conséquences de la pollution sonore sur les milieux marins.

* Selon l’expression célèbre de Jacques Cousteau. En réalité, le monde sous-marin n’est pas du tout silencieux, comme nous l’indiquons dans le reste de l’article ; il produit au contraire une symphonie de sons naturels.

Le son, un sens vital pour les animaux marins…

Qui ne s’est pas déjà émerveillé du chant mélancolique des baleines ou des joyeux gloussements des dauphins ? Bien que moins connus du grand public, les cliquetis et autres modulations émises par les homards ou les crevettes sont tout aussi étonnants. Encore plus que leurs congénères terrestres, les animaux marins utilisent le son pour échanger entre eux, mais aussi s’orienter (c’est ce qu’on appelle l’écholocation) ou encore se nourrir. L’ouïe est leur sens principal et constitue pour eux un moyen de communication vital.

…bouleversé par les bruits provenant de l’activité humaine

À travers ses nombreuses activités en milieu marin, l’homme crée des sons parasites qui bouleversent la vie des habitants des océans, jusqu’à la rendre insupportable.

Le trafic maritime (navires de pêche, de transport et bateaux de plaisance) produit un bruit constant d’intensité moyenne ; dans certaines zones proches des ports et routes maritimes, c’est un brouhaha incessant qui perturbe les animaux, les empêchant de communiquer correctement ou simplement de se reposer. Sans surprise, ces émissions sonores anthropiques ont considérablement augmenté avec l’accélération de l’activité humaine en mer : depuis 1950, les émissions basses fréquences ont doublé tous les 10 ans.

La prospection sismique, les activités militaires (particulièrement les sonars anti sous-marins) ou encore les battages de pieux nécessaires à la construction d’éoliennes en mer, produisent quant à eux des bruits dits « impulsifs » particulièrement agressifs. Leur niveau sonore peut atteindre 250 décibels. Par comparaison, le bruit de décollage d’une fusée est de 150 décibels, et une baleine émet des sons de 185 décibels. La fréquence de ces sons peut aller jusqu’à 100 000 Hertz – des ultrasons stridents, que l’oreille humaine serait incapable de supporter.

Il est désormais avéré que les bruits sous-marins anthropiques déstabilisent considérablement la vie sous l’eau. Leur impact sur les animaux varie en fonction de l’intensité, de la fréquence, de la durée d’émission et de l’espèce marine concernée. Parmi ces conséquences néfastes, on peut citer :

  • les impacts physiologiques (retard de croissance, stress),
  • le masquage de la communication entre individus (qui entraîne entre autres la désorientation des animaux, source de collisions avec les navires),
  • les modifications comportementales (fuite et abandon des habitats, changement des trajets migratoires),
  • ou encore les dommages physiques permanents, comme la lésion des organes qui causent la mort des animaux touchés.

Si les bruits sous-marins touchent très durement les cétacés, de récentes études montrent que leurs impacts s’étendent à d’autres espèces marines, comme les poissons, les invertébrés (crustacés, méduses, coraux) et même les algues et le plancton. Les chercheurs montrent ainsi que même si ces espèces n’ont pas d’oreilles, elles utilisent les vibrations sonores pour gérer leur gravité ou trouver le fond marin où s’enraciner. Elles sont donc aussi gravement mises en danger par la pollution sonore sous-marine.

Lire aussi: « Gros coup de chaud sous l’océan » (revue n° 118)

Une trop lente prise en compte de cette pollution invisible

Les pistes d’amélioration pour limiter les émissions de bruit sous l’eau sont désormais bien identifiées. À commencer par la diminution de la vitesse des navires : selon le Fonds international pour la protection des animaux (Ifaw), baisser de 10 % la vitesse des navires permettrait, en plus de diminuer les émissions de gaz à effet de serre, de réduire de 40 % la pollution sonore océanique. On peut aussi penser à l’utilisation d’hélices innovantes plus silencieuses, l’optimisation des coques des bateaux ou encore la réduction des vibrations des moteurs. Pourtant, à ce jour, il n’existe aucune réglementation européenne ou internationale permettant d’imposer la mise en application de ces mesures.

Les initiatives de sanction ou d’incitation sont donc prises au bon vouloir des décideurs, qui peuvent s’inspirer depuis 2014 des lignes directrices formulées par l’Organisation maritime internationale. C’est le cas du Canada, pays qui se montre très actif en matière de réduction du bruit sous-marin. La pays a par exemple instauré une réduction de taxe portuaire pour les bateaux les plus silencieux. La France, qui représente le deuxième espace maritime mondial après les États-Unis et pourrait donc montrer l’exemple en la matière, se cantonne à des mesures de « sensibilisation » et d’« appui » aux initiatives d’autres pays. 

Lire aussi: « Sauvons les baleines disent les économistes » (revue n° 103)

En Europe, la directive-cadre « stratégie pour le milieu marin » (2008/56/CE) de 2008 fixe un objectif de diminution de l’impact du bruit sur les animaux marins… mais les seuils permettant d’atteindre ce but ne sont toujours pas définis à ce jour. Très récemment, la Commission européenne a proposé une révision de la directive de 2005 relative à la pollution causée par les navires (2005/35/CE), pour mieux y intégrer la reconnaissance de l’impact des bruits sonores. Il s’agit cependant d’une avancée mineure, puisqu’aucune règle contraignante n’en découle. 

Aux problématiques de surpêche et de pollution plastique, s’ajoutent donc pour les animaux marins le fléau de la pollution sonore. Selon le bioacousticien Michel André, ce mal invisible constitue même « probablement la goutte d’eau qui va déclencher un déséquilibre irréversible au niveau des océans ». Face à cette urgence, il estime que des « décisions drastiques » doivent être prises, à rebours de l’immobilisme législatif constaté aujourd’hui. Mais les décideurs ne semblent pas encore prêts à baisser le son pour protéger notre faune marine. En témoignent les projets d’exploration minière des fonds marins qui fleurissent actuellement : un désastre absolu pour la biodiversité, heureusement rejeté par la France mais récemment plébiscité par la Norvège.

Marie Elissalt

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