La Commission européenne prépare pour l’automne prochain un rapport sur l’évolution des méthodes substitutives permettant de se passer de primates pour la recherche.
Contrainte par l’article 58 de la directive 2010/63/UE sur l’utilisation des animaux à des fins scientifiques, la Commission doit « [réexaminer] la présente directive, au plus tard le 10 novembre 2017, en tenant compte des progrès dans la mise au point de méthodes alternatives n’impliquant pas l’utilisation d’animaux, notamment de primates non humains, et [proposer], le cas échéant, des modifications ». Ce rapport devrait faire état de l’avancement de la recherche et des technologies disponibles dans le domaine des alternatives à l’utilisation des animaux pour l’expérimentation, et notamment des primates, dont l’utilisation soulève une problématique d’ordre éthique.
L’utilisation des primates en recherche : état des lieux
Les dernières statistiques disponibles concernant l’expérimentation animale en Europe font état de près de 11,5 millions d’animaux utilisés, dont 6 095 primates, pour l’année 2011.
Depuis l’entrée en vigueur de la directive européenne en 2013, la France met en œuvre les dispositions prévues par la transposition du texte européen dans le droit français par le Décret n° 2013-118 du 1er février 2013 relatif à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques, ainsi que par 5 arrêtés interministériels du 1er février 2013 permettant son application. Depuis la mise en place de cette législation, les statistiques les plus récentes relevées par les autorités françaises remontent à 2014. Sur 1 769 618 animaux utilisés dans l’hexagone, 1 103 étaient des primates. Bien que depuis 2007, le nombre de primates utilisés ait été divisé par presque deux et demi, la France fait partie des principaux pays utilisateurs de ces singes pour la recherche en Europe.
L’Homme – en tant que grand singe – fait partie de la famille des primates, au même titre que les autres grands singes, les singes et les prosimiens. Même si chimpanzés, bonobos et orangs-outans sont interdits d’utilisation par la directive européenne, les autres catégories de primates, regroupant les cercopithécidés (dont 1 044 individus ont été utilisés en France en 2014) et les cébidés (4 individus utilisés), ainsi que les prosimiens, sont appréciés comme outils de recherche par les chercheurs, en raison de leur patrimoine génétique très proche de celui de l’Homme. Les espèces de cercopithécidés principalement utilisés sont le macaque rhésus, le macaque cynomolgus, le babouin et le vervet. Pour les cébidés, on retrouve le singe écureuil. Quant aux prosimiens, le lémur et le microcèbe sont les espèces préférées pour la recherche.
À l’instar de l’Homme, les primates non humains ont un grand cerveau et un recours accru à la vision, qui permet la perception de la profondeur. Ils représentent parfois un modèle idéal pour une maladie humaine, comme par exemple, l'ostéoporose et l'hypertension qui surviennent naturellement chez les primates comme chez les hommes.
Les dispositions légales relatives à l’utilisation des primates
Si les similitudes génétiques des primates non humains avec les hommes font d’eux des sujets d’expérimentation particulièrement appréciés, elles posent également des questions d’ordre éthique, auxquelles l’Union européenne a en partie répondu en encadrant strictement l’utilisation de ces animaux dans la loi.
Ainsi, les primates ne peuvent être utilisés qu’à certaines fins précises. L’article 8 de la directive 2010/63/UE prévoit l’utilisation des singes pour la recherche fondamentale, pour la préservation des espèces de primates non humains concernées, ainsi que lorsque les travaux de recherche sont menés en relation avec des affections humaines potentiellement mortelles ou des maladies invalidantes ; à condition que la finalité de la procédure ne puisse être atteinte en utilisant d’autres espèces que celles de primates non humains. Ces travaux peuvent avoir comme objectif de prévenir le déclenchement ou l’aggravation de maladies, de les diagnostiquer ou de les traiter, d’effectuer des recherches translationnelles (recherche d’applications concrètes des connaissances fondamentales), ou encore de contrôler la toxicité des produits.
En Europe, les primates sont en majorité utilisés pour :
- les tests de toxicité (56,4 % d’entre eux en 2011),
- suivi par les recherches translationnelles (22,6 %)
- la recherche fondamentale (10,4 %).
En France, on privilégie les primates pour :
- les recherches translationnelles (44,9 % en 2014),
- puis la recherche fondamentale (27,2 %),
- suivi de près par les tests toxicologiques (26,3 %).
De plus, la loi européenne prévoit que les primates utilisés à des fins scientifiques proviennent exclusivement d’élevage ou de colonies entretenues sans apport d’effectifs extérieurs, et ce à partir du 10 novembre 2022 pour la France. Ces animaux doivent aussi être très suivis : ils doivent être identifiés et un dossier regroupant l’identité, l’origine, les projets dans lesquels il a été utilisé et toute autre information utile doit suivre chaque animal tout au long de sa vie.
Finalement, de par leur proche parenté avec les hominidés, les primates non humains jouissent d’une réglementation stricte en matière d’expérimentation.
Les conditions de détention des primates
Cependant, les conditions de détention des primates utilisés pour des procédures à des fins de recherche scientifique sont loin d’être exemplaires. Sur le papier, la loi, bien que parfois peu précise, prévoit que ces conditions soient très réglementées. En effet, l’Annexe III de la directive européenne précise que l’environnement doit tenir compte des besoins physiologiques et éthologiques des espèces hébergées. Pour cela, des règles doivent être respectées, relatives à la sécurité et au confort des installations (éclairage, bruit, chauffage…), au caractère sociable des espèces (proie, vie en groupe…), à la santé des animaux (inspections) et à leur nourriture, ainsi qu’à leur environnement (enrichissement approprié). Parmi les primates les plus utilisés, les macaques est les vervets doivent disposer d’une cage d’une surface de 2 mètres carrés et d’une hauteur de 1,8 mètre pour un animal. Les babouins ont droit quant à eux à une surface de 4 mètres carrés et une hauteur de 1,8 mètre. Mais les primates ne doivent pas être logés seuls. Enfin, l’Annexe IV de la directive stipule que les primates non humains doivent mourir par surdose d’anesthésique uniquement.
Malgré ces règles, la vidéo révélée en janvier dernier par l’association Animal Testing filmée en 2013 dans le sous-sol d’un hôpital public parisien expose plusieurs infractions à la loi, ainsi que des problèmes éthiques. La vidéo révèle des macaques disposant de seulement un mètre carré de surface et qui ne sont pas maintenus en groupe. Ils sont intoxiqués au MPTP (substance chimique responsable d’une toxicité neuronale) afin de développer la maladie de Parkinson et ne sont ensuite plus capables de s’alimenter ; ils doivent être gavés. Selon le chercheur présent sur la vidéo, les singes sont « à la limite de mourir ». Un singe est devenu aveugle pour une raison inconnue et ne peut plus servir de modèle animal ; il passe donc ses journées prostré dans une petite cage en attendant, selon le chercheur, que « ça [finisse] mal ». La vidéo montre un autre singe subir un « cassage psychologique » pour s’habituer à la chaise de contention : il est donc privé de nourriture et d’eau pendant une période qui peut durer jusqu’à une semaine, jusqu’à ce que le singe accepte de sortir la tête de la chaise et d’avoir le cou bloqué. Les animaux se font également insulter.
En plus des transgressions légales (les animaux doivent être maintenus en groupe, ne doivent pas souffrir, doivent recevoir une nourriture et de l’eau adaptées à leur besoin, etc.), cette vidéo pose des questions éthiques.
En France, une Charte nationale portant sur l’éthique de l’expérimentation animale a été adoptée par le ministère de l’Agriculture et de la Pêche et le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en 2009 et mise à jour en 2014 pour fixer les modalités de fonctionnement (rôle, structure, application) des comités éthiques prévus par la loi et faire respecter l’éthique et le bien-être animal au sein des laboratoires. L’article 1 de cette charte précise que :
« l’éthique de l’expérimentation animale est fondée sur le devoir qu’a l’Homme de respecter les animaux en tant qu’êtres vivants et sensibles, susceptibles de ressentir douleur, souffrance et angoisse »
(Article 1 de la Charte nationale portant sur l'éthique de l'expérimentation animale)
Or la vidéo suggère plutôt un mépris pour les singes et leurs besoins fondamentaux. De plus, un comité d’éthique doit avoir donné son approbation pour justifier l’utilisation de ces animaux pour ce projet de recherche. Les comités, au nombre de 126 en 2015, doivent être indépendants et impartiaux mais sont créés à l'initiative des établissements utilisateurs et agréés par le ministre chargé de la Recherche. Comment ne pas alors questionner leur indépendance, surtout quand on constate qu’un projet de recherche comme celui révélé par Animal Testing a pu être validé ?
D’après l’arrêté du 1er février 2013 fixant les conditions d'agrément, d'aménagement et de fonctionnement des établissements utilisateurs, éleveurs ou fournisseurs d'animaux utilisés à des fins scientifiques et leurs contrôles, des contrôles doivent être effectués pour prévenir les infractions à la loi. Les établissements utilisant des primates doivent être inspectés une fois par an (article 5) par des inspecteurs de l’État. Dans chaque laboratoire, une structure en charge du bien-être des animaux doit conseiller le personnel sur les meilleures mesures à prendre et suivre l’avancée du projet et le développement des méthodes alternatives ou substitutives aux tests sur les animaux afin de réaliser le projet de recherche de la manière la plus éthique possible. Dans la vidéo citée précédemment, si ces contrôles ont bien été faits, et que le personnel est au courant des méthodes de bien-être des animaux, comment se fait-il qu’une telle atteinte à la dignité de ces primates ait pu se produire ?
Que peut-on espérer de la révision de la directive ?
La réglementation européenne en matière d’expérimentation animale s’est considérablement durcie en 2010, obligeant les établissements à suivre des règles strictes, notamment en matière de bien-être animal, au risque de se voir sanctionner pénalement. À partir de février 2013, date d’entrée en vigueur de la directive, tous les établissements français auraient dû être en mesure de suivre les nouvelles normes auxquelles ils avaient eu plus de deux ans pour se préparer, ce qui aurait permis d’éviter les graves manquements éthiques et légaux constatés dans la vidéo filmée par Audrey Jougla cette année-là. Néanmoins, la fondatrice d’Animal Testing laisse entendre que ce genre de vidéo serait encore d’actualité en 2017 en France.
Il est légitime d’espérer que la réglementation sera de mieux en mieux appliquée au fil des années. D’ailleurs, la révision de la directive 2010/63/UE prévue pour novembre n’a pas pour but de durcir la législation mais pourrait mettre en lumière les problèmes éthiques posés par l’utilisation des primates non humains pour la recherche. En effet, s’ils sont si proches de l’Homme pour être des modèles d’expérimentation idéaux, cela reviendrait presque à expérimenter sur des proches parents, ce qui semble moralement inconcevable. Cette révision permettrait également de faire le point sur les méthodes alternatives développées et validées en vue de respecter la règle des « 3R » : « remplacer » ou « réduire » le nombre de singes utilisés ou bien d’améliorer leur bien-être (« refinement »).
Nous pouvons donc nous attendre à un rapport rendant compte des avancées dans le domaine des méthodes alternatives et substitutives à l’expérimentation animale, particulièrement sur les primates. Pour ce qui est d’une nouvelle proposition de loi en faveur d’une utilisation toujours plus réduite, réglementée et contrôlée des animaux pour la recherche, il faudra attendre que l’évaluation de l’impact de la présente directive soit publiée, ce qui, d’après l’article 57 de la loi, ne devrait pas se produire avant novembre 2019.
Vidéos « Expériences sur les singes dans les sous-sols d’un hôpital à Paris », Animal Testing, 4 janvier :
Article publié dans le numéro 93 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.