Un mariage inquiétant

Au début du mois de septembre, l’ONCFS (Office national de la chasse et de la faune sauvage) et l’IRSTEA (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture) ont annoncé la signature d’un "accord-cadre" entre les deux organismes. Entendre parler d’un "accord" impliquant la "chasse" éveille l’inquiétude : il se fait toujours sur le dos des bêtes à poil et à plume, et se conclut généralement par des coups de fusil ou des pièges. 

Rappelons-nous l’accord conclu le 4 mars 2010 entre Luc Chatel ministre de l’Éducation nationale, Jean-Louis Borloo ministre de l’Écologie et la Fédération nationale des chasseurs, confiant aux sociétés de chasse le soin d’assurer, dans les écoles, l’éducation à l’environnement et à la nature… Tartuffes…

Quel est ce nouvel « accord cadre » ? Il a été signé le 5 novembre par Olivier Thibault, DG de l’ONCFS, et Marc Michel PDG d’IRSTEA, tous deux issus du corps des ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts. Le premier, ancien de Polytechnique, a été précédemment conseiller technique auprès de Jean-Louis Borloo, ministre de l’écologie, puis directeur général de l’Agence de l’eau Artois-Picardie. L’autre a empli les fonctions de directeur régional de l’agriculture et de la forêt de Bretagne et de directeur général adjoint de l’école AgroParisTech. Du gratin.

L’ONCFS et ses 1600 agents ont pour mission d’appliquer la réglementation de la police de la chasse et de l’environnement, d’assurer une gestion « favorable à la faune » (ce n’est pas un gag !), de veiller à « l’évolution d’une chasse actrice du développement durable » (idem !), de mener des études sur la faune sauvage. Bien que ces termes aient été soigneusement choisis par le service communication de l’Office, ils ne sont qu’oxymores successifs… Mais c’est le cas général des textes cynégétiques, le plus éclatant étant l’oxymore du "chasseur protecteur" !

L’IRSTEA, rattaché aux deux ministères chargés de la recherche et de l’agriculture, s’intéresse à nombre de sujets de recherche : eaux continentales de surface, innovations techniques, gestion des ressources, « aménagement et utilisation de l’espace » (?...), « aide à la gestion et à l’action sur le terrain pour le développement territorial et le développement ». Tout cela est clair comme de … l’eau de surface… et donne du travail à 1202 collaborateurs dont 869 chercheurs, ingénieurs, doctorants et post-doctorants, dans 9 centres régionaux et 7 plateformes de recherche, pour un budget (2017) de 109 millions d’euros. La collaboration engagée le 5 novembre couvrira dix domaines, dont six concernent l’eau, la biodiversité, l’écologie.

Quatre attirent notre attention :

  1. équilibre forêt-gibier,
  2. grands prédateurs-pastoralisme-relation faune/habitat en montagne,
  3. faune sauvage et société,
  4. gestion forestière et biodiversité.

Est-il nécessaire de traduire ? Lire entre les lignes suffit, quand on sait que depuis plusieurs années les deux organismes ont travaillé de concert sur « les effets des ongulés sauvages sur les écosystèmes forestiers » ? Qu’en termes élégants ces choses-là… En clair et en quelques mots : ces sales bêtes mettent les forêts en péril en broutant feuilles et petits rameaux.

Les résultats des études sont prévisibles : en un mot cerfs, biches, chevreuils, et leurs faons vont devoir courir plus vite que les balles et les chevrotines. Ils sont trop nombreux. Mais pourquoi sont-ils si nombreux ? Parce qu’ils ne sont pas régulés par les grands prédateurs ! Oui, c’est bien ce qui est écrit dans le programme ! Mais qui les a éliminés, ces grands prédateurs-régulateurs, sinon ceux-là même qui s’opposent aujourd’hui à leur réintroduction, qui veulent éliminer les quelques rares qui arrivent habilement, admirablement, à survivre ? Et les sangliers ! Tuez-les tous, ces ravageurs de récoltes, ces nocifs, pour ne pas dire nuisibles, qui mettent en péril nos récoltes (surtout de maïs, destiné à l’élevage de masse et à la laiterie industrielle), ainsi que nos élevages porcins, en risquant de leur apporter le virus de la peste porcine. Il y en aurait moins, de ces sangliers, si durant des années on ne les avait pas multipliés par milliers en élevage, pour les relâcher dans la nature juste avant l’ouverture de la chasse.

Vouloir se débarrasser de la faune des bois n’est pas récent. Déjà, en 1979, l’Office National des Forêts avait émis le projet d’un vaste nettoyage des sous-bois du domaine forestier national, de débroussailler et d’éclaircir les futaies, de louer toutes ces forêts domaniales aux sociétés de chasse, une outrance telle que nous avions dû interpeller par courrier son directeur général, M. Yves Bétolaud, lui demandant « pourquoi l’Office confie-t-il la gestion de la faune à ceux qui n’ont pour seule raison d’être que la détruire ? », lui demandant si « l’Office n’était plus désormais constitué que d’arboriculteurs, dont le rendement est le seul souci, et la seule politique de fournir de quoi faire des planches ? », et le questionnant sur « l’utilité de détruire systématiquement tous les prédateurs » ? Nous lui demandions également si les promeneurs devaient renoncer à profiter des forêts qui sont propriété de l’Etat, c’est-à-dire où chacun de nous a sa petite part du bonheur d’en jouir ? M. Bétolaud, dans sa réponse du 26 février, avait protesté de ses intentions, pures de tout souci de rentabilité, mais il maintenait son intention d’une gestion-régulation assurée par les chasseurs. Nous voilà revenus au même point qu’il y a 40 ans…

Au fond, tout cela procède d’une détestation de la nature, dont la France semble constamment faire preuve. N’est-ce pas ce qui a conduit au funeste "remembrement" ? Au sacrifice de dizaines de milliers d’hectare des meilleures terres pour y bâtir des parcs et autres espaces de distraction ? Un autre exemple ? N’est-ce pas détester la Nature qu’autoriser, en France, la chasse de 89 espèces, dont 38 de « gibier » d’eau, parmi lesquelles des espèces épargnées ailleurs comme le grand tétras, ou des espèces en quasi disparition comme la bécasse !

Donc, l’IRSTEA et l’ONCFS vont travailler de concert, la main dans la main, le doigt sur la détente, et les cartouches dans la poche, pour débarrasser nos forêts, les nettoyer, peut-être même les désherber au glyphosate, comme cela s’est fait dans les Landes… Ne doutons pas que les futaies en profitent : on vendra les troncs d’arbre à la Chine. Quant à l’avenir, il n’est pas rose. Le 6 février 2018, les présidents d’IRSTEA et de l’INRA ont été chargés par les ministres de l’agriculture et de la recherche de rapprocher leurs deux instituts en un seul établissement, à l’horizon 2020. Quelle(s) mission(s) est-il envisagé de confier à ce monstre à trois têtes INRA + IRSTEA + ONCFS ?

Jean-Claude Nouët

Article publié dans le numéro 100 de la revue « Droit Animal, Éthique & Sciences »

ACTUALITÉS