Le militantisme antispéciste : jusqu’à l’absurde ?

Certains faits divers, brocardés par certaines presses(1) et largement diffusés dans le PAF (Paysage Audiovisuel Français), nous incitent en effet, à poser cette question. Pas un plateau de télévision, français ou étranger, pas une revue ou un média qui ne se fasse régulièrement l’écho du débat sur l’antispécisme, ou d’actions violentes contre des boucheries ou autres lieux jugés indésirables.

Photo : Keystone / Martial Trezzini

 

A défaut de représenter une partie significative d’adhérents, ces mouvements violents ultra minoritaires utilisent la technique de l’Agit-Prop qui a déjà fait ses preuves dans d’autre domaines... Ces actions violentes sont heureusement le fait d’une infime minorité d’antispécistes.

Néanmoins, la question se pose : l’antispécisme est-il la nouvelle Doxa, et le spécisme est-il politiquement incorrect ?

Les dictionnaires Robert et Larousse ont intégré les mots de spécisme et d’antispécisme dans leurs ouvrages, confirmant l’importance que ces notions ont prise dans notre époque.

L’antispécisme, refusant la notion de hiérarchie de valeurs éthiques entre espèces, se dit libérateur des animaux de l’oppression de l’homme, un animal comme un autre, et sans droit particulier à leur égard, la domestication de l’animal, traditionnelle ou industrielle, également une forme de son exploitation par l’Homme. Cette école de pensée est issue des écrits de R. Ryder et Peter Singer qui, dans les années 70, ont considéré que l’Homme établissait à son profit une discrimination arbitraire, fondée sur la notion d’espèces et sur une hiérarchie grâce à laquelle il s’accordait des privilèges injustifiés et immoraux. Ainsi, le spécisme serait une idéologie qui établit une hiérarchie entre les espèces et donc une discrimination intolérable. Le spécisme serait le racisme de l’espèce et par extension, synonyme de mauvais traitement et d’exploitation des animaux.

Ce courant antispéciste, composé d’une multitude de nébuleuses dont l’une des plus connue, le véganisme, trouve de plus en plus d’écho dans les Médias, distillant dans le public l’idée que l’antispécisme est dans le vent de l’Histoire, que sa victoire est inéluctable et que s’y opposer ou même s’interroger à son sujet, relègue ses détracteurs au rang de partisans de l’obscurantisme. Se dire spéciste ou être catalogué comme tel, fait courir le risque d’être dénigré ou relégué au désert médiatique, en attendant un jour sans doute, l’application d’un arsenal pénal. Le combat antispéciste, émancipateur, serait à mettre au même plan que les luttes sociétales.

Assister à une émission sur la question animale, aboutit la plupart du temps, à écouter une tribune pour l’antispécisme et donne souvent l’impression gênante que le boucher ou l’éleveur ou le chef-restaurateur invité à s’exprimer sur le plateau de télévision, n’est là que pour subir la Question, distillée par des présentateurs qui apparaissent surtout comme les Inquisiteurs des temps modernes. Est-ce justifié ? En mettant la cause animale sur le plan des luttes politiques, certains de ces penseurs, écrivains ou philosophes ou déclarés tels, mais, curieusement, très peu de scientifiques, instrumentalisent les animaux et ce, sur une base qui se veut idéologique et morale. Ils refusent leur spécificité, interprètent les similitudes avec l’Homme et dénient à ce dernier un rôle éminent et positif, menant par là même, à un anti-humanisme mortifère.

L’Homme, va-t-il et doit-il se convertir à cette nouvelle religion et devenir végane ? Un ordre moral basé sur son effacement dans la conduite de la Nature va-t-il remplacer le Grand Soir ? On peut en douter. Les notions de hiérarchie et de territoire, par exemple, sont bien présentes dans la vie animale, sauvage en particulier. Lutter pour sa survie, trouver de quoi ne pas mourir de faim, échapper à ses prédateurs et se reproduire sont les préoccupations majeures de l’animal sauvage. Au passage, il est bon de rappeler la définition biologique d’une espèce animale : une espèce est constituée des animaux capables de se reproduire entre eux et donner naissance à des descendants fertiles. Chaque espèce défend ses intérêts propres et est, en ce sens, par nature « spéciste ». Si l’homme est, nous dit-on, un animal comme les autres, les autres animaux eux, ne sont pas concernés par les débats idéologiques et méritent simplement d’être respectés dans leurs spécificités, leurs différences et leur cadre de vie.

La Nature a ses règles qui ne sont pas celles de l’habitant des villes, animé, certes, d’un louable souci d’éthique, mais sans contact avec les spécificités du monde animal et sa diversité. Notons, de plus, que l’espèce humaine est une des rares espèces à éprouver de l’empathie pour d’autres espèces, tandis que le reste du monde animal, à l’exception de quels cas isolés chez quelques espèces de mammifères, n’éprouvent à l’égard des autres espèces qu’hostilité ou indifférence. Le monde sauvage n’est pas l’arche de Noé idyllique perturbé par l’Homme dominant. Et il ne faudrait pas confondre sensibilité, émotion, conscience et intelligence. L’huitre est sensible aux stimuli mais son QI est proche du zéro. Mais d’autres mollusques, comme les Céphalopodes sont sensibles, conscients et intelligents. Pieuvres, seiches et calmars seraient les maitres de l’Océan, si leur durée de vie, limitée à quelques années n’était si courte et leur vie trop peu sociale. Nul n’est besoin de prôner l’abstinence de viande et de tout produit d’origine animale pour faire progresser la cause animale qui ne peut être enfermée dans un dilemme binaire entre l’antispéciste moraliste ou la damnation spéciste.

Réduire la question de la cause animale à une telle problématique c’est s’enfermer dans une impasse intellectuellement absurde et s’empêcher d’appréhender cette question avec une grille de lecture conforme aux réalités scientifiques. Reconnaitre l’existence des espèces, au nombre de plusieurs millions, leurs particularités comme leurs ressemblances n’implique ni l’absence d’éthique de la part des spécistes dans leur approche de la question animale, ni leur accord sur la réalité de conduites abusives à l’égard des animaux.

Tous les excès du productivisme sont à combattre, toutes les souffrances sont à proscrire. Mais ceci ne doit pas conduire à un antihumaniste hygiéniste et mortifère contraire aux intérêts de l’Homme comme des Animaux, car l’Homme, actuellement la seule espèce à transformer la planète et le vivant qu’elle héberge, est aussi la seule qui puisse décider de gérer la planète dans l’intérêt de toutes les espèces, y compris la sienne. Mais l’Homme n’est cependant pas la mesure de toute chose.

Combattre la violence faite aux animaux sous toutes ses formes, lutter pour l’amélioration de leur condition et du bien-être animal sans en faire un fourre-tout sans contours, respecter leurs différences sans anthropomorphisme universaliste, faire avancer toujours plus le statut juridique de l’animal est, en autres actions, la raison d’être de la LFDA en particulier, et ce depuis sa création. Cette dernière, rappelons-le, n’est pas une association mais un centre de réflexion scientifique et juridique ; elle est, rappelons-le aussi, à l’origine d’une grande partie des avancées en matière d’amélioration de la cause animale et en tant que telle, souvent imitée mais très rarement citée (2) et ce, sans se revendiquer de l’antispécisme.

Teilhard de Chardin disait que « l’Homme c’est le singe, plus Dieu »... Sa référence à Dieu résumait la position d’un Homme de Foi. Cependant, nul n’est besoin de partager ses convictions religieuses pour faire le constat que respecter les différences entre les espèces ne donne à l’Homme, en considération de sa spécificité intellectuelle et morale, que la responsabilité de les protéger et non d’en abuser. On peut donc être un militant de la cause animale sans être antispéciste et sans penser que l’Homme est la source de toutes les injustices et oppressions.

Patrick Vassas

(1) Charlie Hebdo N°1355 du 11 juillet 2018 : page 2 : "Véganes, la religion des cornichons", Page 3 : « Crétins sans gluten" , Page 11 : « la complainte du tueur de saucisses" (Dessin de Vuillemin)

(2) « Droit animal, Éthique et Sciences » la revue de la LFDA N° 92,93,94,95

Bibliographie pour aller plus loin dans la réflexion

« Discours sur l’inégalité entre les Hommes » Première partie. 1755. Jean Jacques Rousseau. L’auteur y décrit les différences, selon lui, entre l’Homme et l’Animal. Un spéciste avant l’heure...

« La philosophie devenue folle Le Genre, l’Animal, la Mort » J. F Braunstein 2018 Grasset

Éthique des relations Homme / Animal Denis Bernard 2015 Éditions France Agricole

Humanité Dimanche N°22537 ; oct. 2018, J. P Digard, (anthropologue. Directeur de recherche au CNRS). Entretien avec Lucie Fougeron : « Respecter les animaux c’est d’abord respecter leurs différences »

Apologie du carnivore Dominique Lestel, (philosophe et éthologue), Editions Fayard 2011. Cet ouvrage a suscité la polémique en démontrant les ambigüités et les limites de la posture « végane éthique ».

Article publié dans le numéro 100 de la revue Droit Animal, Ethique & Sciences.

ACTUALITÉS