Avis du comité d’éthique de l’Ordre des vétérinaires sur l’euthanasie

Le comité d’éthique Animal, Environnement, Santé de l’Ordre des vétérinaires a émis un avis sur l’euthanasie des animaux. Il propose des recommandations pour guider les vétérinaires dans cette démarche difficile et sensible.

Un comité d’éthique dédié aux questions vétérinaires

Le comité d’éthique Animal, Environnement, Santé a été créé en décembre 2018 par le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV). Il comporte quatorze membres, dont cinq seulement de formation vétérinaire, aucun n’étant praticien ni membre de l’Ordre, un choix et une exigence d’indépendance qu’il convient de souligner et de saluer. Il est présidé par Louis Schweitzer, également président de la Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences.

Ce comité qui s’était réuni pour la première fois en mars 2019, trois fois en tout au cours de la même année, a rendu le 30 septembre 2020, lors d’une conférence de presse, ses deux premiers avis dont un avis sur l’euthanasie animale qui nous intéressera ici exclusivement.

Définitions, réglementation

L’euthanasie est une question difficile et sensible pour les vétérinaires et leur ordre, ce n’est donc pas un hasard si elle a été la première question soumise au comité d’éthique.

Dans son avis, le comité fournit quelques éléments de définition et de réglementation. Il s’appuie, en l’absence de définition dans les textes légaux et réglementaires, sur celle initialement proposée par le CNOV et aussi sur celle de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE). Il établit un rapprochement avec la mise à mort définie dans un règlement européen (n° 1099/2009, 24 septembre 2009). La référence au nouvel article 515-14 du code civil lui permet de rappeler que le seul responsable en situation de décider est le détenteur de l’animal. La référence à l’article R655-1 du code pénal n’est là que pour rendre prégnante la notion de nécessité, hors de laquelle le fait de donner volontairement la mort à un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité, est puni de l’amende prévue pour les contraventions de 5e classe.

Lire aussi : Que fait le juge de la sensibilité de l’animal dans le code civil ?

Les balises étant ainsi posées, le comité examine les différentes situations d’euthanasie et distingue entre d’une part celles dont la nécessité est justifiée et d’autre part les euthanasies problématiques.

Les euthanasies nécessaires

Les euthanasies rendues nécessaires par l’état de santé de l’animal ne sont pas celles qui généralement posent le plus de problèmes de nature éthique au vétérinaire dans l’exercice de son métier. Il y a toutefois le cas bien identifié de l’acharnement du propriétaire à maintenir son animal souffrant en vie hors de toute solution de soins efficace : le comité rappelle ici qu’il convient pour le vétérinaire de convaincre et non point d’imposer.

En revanche, dans cette catégorie des euthanasies nécessaires, les euthanasies pour raisons réglementaires avaient pu provoquer ces dernières années ou décennies quelques troubles et tourments de nature éthique chez un certain nombre de praticiens. Elles interviennent généralement quand la sécurité publique ou la santé publique sont en jeu. Elles peuvent concerner les animaux de compagnie mais elles ont concerné plus souvent encore les animaux de production lors d’épizooties (vache folle, fièvre aphteuse, pestes porcines, influenza aviaire…). L’avis du comité est ici très intéressant et utile car il conclut explicitement : « Toutefois, malgré la valeur intrinsèque de chaque animal, nous estimons que le vétérinaire a le devoir de privilégier l’intérêt collectif, et en premier lieu la santé publique, par rapport à l’intérêt individuel d’un animal ». Une approche utilitariste que n’aurait sûrement pas reniée Bentham et, plus près de nous aujourd’hui, Peter Singer lui-même. Le président d’honneur du CNOV apprécie cette prise de position qu’il fait facilement sienne et qui, laissant chacun libre d’agir en conscience – l’avis d’un comité d’éthique, n’ayant aucune force déontologique – constitue un repère qui pourra être apprécié pour son utilité par ceux qui, parfois perdus ou égarés, faute de formation suffisante à la philosophie morale ou à la démarche éthique, ne paraissent plus en situation de hiérarchiser les valeurs.

Les euthanasies problématiques

Comme on pouvait s’y attendre, le comité d’éthique consacre un plus long développement aux euthanasies problématiques. Il distingue utilement le cas des animaux d’élevage ou les chevaux de course représentant une non-valeur économique, le cas des animaux détenus dans des refuges ou des zoos pouvant être à l’origine par leur maintien en vie d’une surpopulation et enfin celui des animaux en état de souffrance pour lesquels le propriétaire ne peut ou ne veut assumer le coût ou la mise en œuvre du traitement. Dans tous les cas, l’avis donne au vétérinaire la démarche de questionnement utile à la prise de décision en conscience. Quel sera le devenir de l’animal en l’absence d’euthanasie ? Quel risque peut présenter le maintien en vie de l’animal pour l’activité professionnelle du propriétaire et quelles conséquences indirectes négatives pour les autres animaux ? Quelles sont les solutions alternatives ?

Des recommandations

L’avis débouche enfin et surtout sur des recommandations. Le grand intérêt de cet avis, particulièrement pour chaque vétérinaire dans le secret du colloque singulier qu’il a avec son client propriétaire de l’animal, animal dont il croise avec empathie le regard, est qu’il lui fournit une démarche de cheminement éthique à travers un questionnement organisé à la façon d’une check-list. Quand tout est fini, le vétérinaire doit pouvoir répondre positivement à la question de savoir s’il s’est efforcé, dans le dialogue qu’il a eu tant avec le propriétaire qu’avec lui-même, l’intérêt de l’animal ayant été considéré en premier lieu mais n’étant pas le seul à considérer, d’appliquer le meilleur et d’éviter le pire, l’objectif étant qu’après l’euthanasie, le vétérinaire soit en paix avec sa conscience.

L’originalité appréciée de cet avis est qu’il est aussi destiné à l’Ordre des vétérinaires et aux pouvoirs publics puisqu’il recommande notamment qu’une nouvelle définition de l’euthanasie soit gravée dans le marbre du code rural. Au-delà de cette forte suggestion, le comité propose de favoriser la mise en place de nouvelles filières économiques pour la valorisation d’animaux actuellement considérés comme des non-valeurs économiques ; d’éviter la naissance d’animaux qui ne pourront être maintenus en vie dans des conditions acceptables, en particulier en zoos ; de promouvoir l’utilisation de critères de sélection des phénotypes des animaux d’élevage ou de loisirs qui ne favorisent pas les hypertypes ; de promouvoir des campagnes d’identification et de stérilisation des animaux pour limiter leur prolifération et leur abandon dans les refuges ; d’accroître l’offre de solutions de replacement des animaux dont l’état de santé ou l’impact sur la santé publique ne justifie pas l’euthanasie ; de tenir à la disposition des vétérinaires une information actualisée sur les méthodes et les molécules pour l’euthanasie d’animaux des différentes espèces ; de développer la formation des vétérinaires à l’éthique professionnelle et aux bonnes pratiques en matière d’euthanasie ; de mettre en place une cellule d’écoute et d’aide aux vétérinaires faisant face à des situations où la notion de nécessité de l’euthanasie est difficile à apprécier ; enfin de mettre en place un dispositif d’alerte à la maltraitance et au chantage à la souffrance pour justifier une euthanasie. Tout cela naturellement pour aboutir à diminuer le nombre de situations d’euthanasie.

Comme guidé par les préceptes de la médecine vétérinaire, le comité d’éthique, pour un premier apport à la profession, ne se contente pas de traitement des cas mais il s’engage aussi très nettement sur le terrain de la prévention de ces situations.

Dans un communiqué du 12 octobre 2020, rebondissant sur l’avis du comité d’éthique, le CNOV propose une définition de l’euthanasie animale comme acte vétérinaire (encadré 1). Gageons qu’elle puisse trouver sa place dans la réglementation. Le CNOV reprend à son compte le cheminement de la démarche éthique proposé par le comité en affirmant notamment que l’intérêt général doit primer sur l’intérêt individuel et l’intérêt de santé publique sur les autres intérêts généraux. Il liste enfin sept recommandations ordinales (encadré 2).

Ainsi donc, cette nouvelle instance consultative qu’est le comité d’éthique Animal, Environnement, Santé, en déclenchant une dynamique constructive hautement favorisée par son positionnement extérieur, son indépendance et sa situation d’impartialité objective, pour un coup d’envoi a su faire un coup de maître.

Michel Baussier

Euthanasie vétérinaire : « L’euthanasie animale est un acte vétérinaire consistant à provoquer la mort d’un animal par voie parentérale en entrainant une perte de conscience rapide et irréversible garantissant un minimum de douleur et de détresse, réalisé conformément aux bonnes pratiques professionnelles. Le vétérinaire procède à l’euthanasie animale après avoir évalué sa nécessité et obtenu le consentement éclairé du détenteur. L’acte d’euthanasie animale peut être justifié par une raison médicale (un état de santé, une souffrance intense ressentie par l’animal ou son entourage), par une raison règlementaire, par une raison impérieuse d’intérêt général sanitaire ou environnementale. »

S’appuyant sur l’avis relatif à l’euthanasie d’animaux non justifiée par des raisons médicales rendu par le Comité d’éthique Animal, Environnement, Santé, le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires formule les recommandations suivantes à destination des vétérinaires et des ministères concernés, en particulier celui en charge de l’agriculture :

  1. Inscrire dans la partie législative du code rural et de la pêche maritime la définition susvisée de l’euthanasie animale et préciser les règles déontologiques attendues des vétérinaires en situation de réaliser l’acte d’euthanasie animale, dans le code de déontologie.
  2. Mettre en place un conseil éthique de médecine vétérinaire dont l’objet est d’aider les vétérinaires dans leur prise de décision lorsqu’ils sont confrontés à des situations juridiques complexes d’euthanasie animale. Il pourrait être composé de deux vétérinaires désignés par le CNOV et du délégué interministériel à la protection animale ou son représentant, poste que le Conseil national de l’Ordre suggère au gouvernement de créer.
  3. Responsabiliser les détenteurs professionnels ou particuliers face à l’euthanasie animale en tant que les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité.
  4. Renforcer la sensibilisation et la formation des vétérinaires et des étudiants vétérinaires à la pratique éthique de l’acte d’euthanasie animale ainsi qu’à la maîtrise des paramètres qui entourent la réalisation de l’acte, notamment les fortes incidences émotionnelles.
  5. Appeler à court terme à créer et à promouvoir des circuits de valorisation des animaux d’élevage considérés comme des non-valeurs économiques pour lesquels la mise à mort ou l’euthanasie sont actuellement la seule issue, et à moyen terme à adapter les filières de production pour qu’elles réduisent drastiquement la naissance de ces animaux, voire les préviennent.
  6. Réguler les populations animales par le contrôle des naissances pour limiter leur prolifération et les abandons et ainsi prévenir les conditions de vie incompatibles avec le bien-être de ces animaux.
  7. Accroître l’offre de solutions d’hébergement et de replacement des animaux surnuméraires, en fin de vie, abandonnés ou en voie d’abandon, ou maltraités. 

Composition du Comité d’éthique Animal, Environnement, Santé.

  • Président : M. Louis SCHWEITZER, président d’initiative France, premier réseau français d’aide à la création d’entreprises, président de la Fondation droit animal éthique et sciences (LFDA)
  • Arnaud BAZIN, Docteur vétérinaire, Sénateur du Val d’Oise, Vice-président du groupe d’études « élevage » en charge de la thématique « animal et société », Président du Comité de déontologie parlementaire du Sénat
  • Eric BIRLOUEZ, ingénieur agronome et sociologue, consultant dans les secteurs de l’agriculture et de l’alimentation
  • Sonia DESMOULIN-CANSELIER, chargée de recherche au CNRS, rattachée au laboratoire Droit et Changement Social (UMR 6297 Université de Nantes/ CNRS)
  • Loïc DOMBREVAL, Docteur vétérinaire, Député de la 2ème circonscription des Alpes-Maritimes, Président du groupe d’études « Condition animale » de l’Assemblée nationale
  • Alain ESCHALIER (MD, PhD, PharmD, Pharmacologue, Psychiatre), Professeur des Universités-Praticien hospitalier jusqu’en 2018, président de la Fondation Institut Analgesia
  • Pascal GENÉ, Docteur vétérinaire, directeur commercial pour la France de l’entité Watson Health d’IBM France
  • Christiane LAMBERT, Présidente de la FNSEA
  • Luc Mounier, Docteur vétérinaire et docteur d’université, coordinateur de la chaire bien-être à VetAgro Sup
  • Agnès RICROCH, Docteure en sciences, maître de conférences à AgroParisTech, secrétaire de la section Sciences de la vie de l’Académie d’agriculture de France
  • Céline SISSLER-BIENVENU, directrice IFAW France et Afrique francophone
  • Agnès Christine TOMAS LACOSTE, Présidente de l’Institut National de la Consommation
  • Isabelle VEISSIER, Docteur Vétérinaire, a initié la création d’un comité d’éthique en expérimentation animale sur le site INRA de Theix
  • Cédric VILLANI, mathématicien, titulaire 2010 de la Médaille Fields et lauréat 2014 du prix Doob, député de l’Essonne, président de l’Office Parlementaire d’Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques

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