Faune sauvage : protéger les individus et pas seulement les espèces

Depuis quelques décennies, les questions relatives au bien-être animal font réagir et sont de plus en plus souvent prises en compte par le droit. La loi française est malheureusement restée assez peu impliquée dans la protection de l’animal sauvage lorsque celui-ci vit à l’état de liberté naturelle.

@Corentin Perroux

L’animal sauvage libre n’est appréhendé que par le droit de l’environnement qui le protège dans le cadre de la préservation de la biodiversité : il ne bénéficie donc d’aucune protection individuelle et n’est protégé qu’en ce qu’il appartient à une espèce elle-même protégée. Pourtant, il se pourrait que la reconnaissance de la sensibilité de certaines espèces puisse avoir, au fil du temps, des conséquences inattendues sur la création d’un statut juridique propre à l’animal, et peut être même sur l’avenir de la chasse de loisir qui, sans disparaître du jour au lendemain, pourrait avoir de plus en plus de difficultés à être justifiée.

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Une préservation de la biodiversité favorable à l’animal sauvage libre mais qui lui accorde une protection malgré tout insuffisante

En France, l’animal sauvage libre est appréhendé par le droit de l’environnement et certaines espèces dont le nombre d’individus est en forte diminution sont dites « protégées », ce qui leur permet de bénéficier d’une protection particulière. En effet, ces espèces sont classées sur une liste juridique réalisée à partir d’un inventaire scientifique qui répertorie les espèces en déclin et qui est ensuite formalisée par un arrêté ministériel, cette liste n’étant pas figée et pouvant donc évoluer dans le temps. Toutefois, la réalisation de cet inventaire scientifique est assez difficile et demande un certain nombre de recherches, ce qui ne nous garantit pas que les mesures de protection nécessaires seront prises à temps pour effectivement protéger l’espèce menacée. C’est pourquoi il existe également des listes européennes et mondiales que la France se doit également de respecter.

D’ailleurs, l’Union européenne (UE) dispose d’une compétence non négligeable en matière de droit de l’environnement qui lui permet de protéger les animaux en tant qu’espèce, mais surtout de protéger les espaces dans lesquels ils habitent. En effet, le droit de l’environnement a cette particularité de pouvoir protéger de nombreux espaces naturels qui deviennent alors des réserves naturelles, des parcs naturels nationaux et régionaux, des aires marines, etc. Cette prise de conscience de la nécessité de protéger la biodiversité, qu’il s’agisse de la faune ou de la flore, fait suite à la perte de nombreuses espèces vivantes que le professeur d’écologie François Ramade décrit d’ailleurs comme un « génocide sans précédent des espèces vivantes dont le résultat ultime est de remplacer la variété par l’uniformité, la diversité par la dominance, la richesse spécifique par la rareté », ce phénomène étant de toute évidence lié à une dégradation importante des milieux naturels.

Pour protéger ces espaces naturels, il existe en particulier les sites « Natura 2000 » qui ont été imposés par la directive Habitats et la directive Oiseaux. L’idée de ce réseau est de désigner, dans chaque pays membre de l’UE, des sites naturels qui présentent un intérêt particulier soit pour la conservation des oiseaux, soit pour protéger spécialement telle ou telle espèce à travers un habitat naturel particulier. Ces sites mettent donc en place une sorte de maillage pour que l’animal sauvage libre qui erre puisse trouver des zones où il sera plus particulièrement protégé, sans pour autant enfermer la nature. De plus, la justice française et européenne a déjà condamné à plusieurs reprise l’État français pour ne pas avoir satisfait à ses obligations, comme par exemple dans une décision de 2009 dans laquelle le pays a été condamné à une amende de plusieurs millions d’euros pour ne pas avoir mis en place les mesures nécessaires à la protection du grand hamster d’Alsace.

En outre, la législation française tente également de protéger ce que l’on appelle les continuités écologiques puisque dans la mesure où l’animal migre, il faut également protéger les couloirs migratoires qu’il sera amené à emprunter. Ainsi, le Grenelle de l’environnement organisé en 2007 a permis la mise en place de la trame verte et bleue qui protège les réservoirs de biodiversité, c’est-à-dire les espaces dans lesquels la biodiversité est particulièrement riche et où les espèces vont nicher et se reposer, ainsi que les corridors biologiques, autrement dit les couloirs qui vont permettre à cette biodiversité de migrer. Cette rencontre politique a également instauré la trame noire dont l’objectif est d’éliminer les barrières lumineuses à la migration de certaines espèces nocturnes, même si la mise en place de celle-ci s’avère bien plus difficile que celle de la trame verte et bleue.

Malheureusement, cette protection de la biodiversité n’est pas suffisante pour protéger l’animal sauvage libre, c’est pourquoi il est aujourd’hui plus que nécessaire de procéder à son individualisation. En effet, cette évolution lui permettra ainsi d’être protégé même lorsqu’il se trouve en dehors de tout espace naturel protégé, mais surtout d’acquérir un certain respect de son intégrité de la part de l’Homme. Cette nouvelle protection pourrait d’ailleurs ouvrir une première porte vers la création d’un statut juridique de l’animal.

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La mise en place d’une protection individuelle de l’animal sauvage libre comme fondement du statut juridique de l’animal ?

Depuis déjà plusieurs dizaines d’années, les animaux domestiques ou les animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité bénéficient d’une protection individuelle qui a été mise en place dans leur unique intérêt, et non pas dans celui de l’Homme. Les animaux sauvages n’ont malheureusement pas cette chance et il est essentiel d’unifier le droit en la matière et de mieux protéger toutes les espèces capables de ressentir la douleur afin de leur éviter des souffrances inutiles, peu importe les rapports que celles-ci peuvent entretenir avec l’Homme.

Néanmoins, et puisque nous parlons ici de souffrance, cette protection individuelle peut parfaitement différer en fonction des espèces et de leur sensibilité, mais également évoluer en fonction des découvertes scientifiques sur le sujet. Bien que cette protection évolutive de l’animal puisse paraître difficile à mettre en œuvre au premier abord, elle ne l’est finalement pas tellement lorsque l’on essaie de se donner la peine de réfléchir à la question. Le droit a parfois la possibilité de s’adapter aux situations auxquelles il est confronté.

Ainsi, parallèlement à cette idée selon laquelle chaque animal pourrait se voir octroyer un certain degré de protection, nous pouvons prendre pour exemple la manière dont le droit appréhende le statut juridique accordé aux personnes et la manière dont la personnalité juridique normalement octroyée à tout être humain peut parfois être adaptée en fonction des circonstances. En effet, il existe une summa divisio fondamentale en droit qui distingue d’une part les personnes, et d’autres part les biens, en sachant que seules les personnes peuvent être des sujets de droit et donc avoir une aptitude générale à être titulaires de droits et d’obligations. En conséquence, tous les êtres humains ont la personnalité juridique, et ils sont les seuls à pouvoir l’avoir.

Pourtant, il existe des incapacités d’exercice résultant de dispositions expresses de la loi, ainsi que des incapacités de jouissance qui sont des exceptions rares dans lesquelles l’individu se voit privé de son aptitude à être titulaire de certains droits. Cette privation de droits a notamment été mise en place dans l’objectif de protéger la personne incapable des autres comme d’elle-même et concerne donc principalement les mineurs ainsi que les majeurs incapables d’assumer la gestion de leurs biens en raison de leur état physique ou mental. Le majeur incapable sera alors généralement placé sous tutelle ou sous curatelle et devra parfois obtenir l’approbation de son tuteur ou de son curateur pour consentir à certains actes, même lorsqu’il s’agit d’actes de la vie courante.

En conséquence, et mêmes si toutes les personnes peuvent en théorie être titulaires de droits et d’obligations, il existe certaines exceptions à ce principe qui permettent de protéger les personnes considérées comme étant les plus vulnérables.

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Si le droit peut traiter de manières différentes des situations différentes et ainsi priver certaines personnes de leurs droits dans une certaine mesure, en quoi serait-ce plus compliqué d’instaurer un régime de protection des animaux qui pourrait varier d’une espèce à l’autre et même être amené à évoluer au gré des découvertes scientifiques ? Si l’on accepte de concéder la personnalité juridique à certaines personnes dont les droits et les devoirs sont limités à cause de leur âge ou de leurs facultés physiques ou mentales, pourquoi la refuser aux animaux sous prétexte qu’ils ne peuvent pas avoir d’obligation ? Toutes ces questions sont légitimes et au regard du droit actuel, il n’y a rien qui empêche cette protection de l’animal si ce n’est les consciences qui peinent parfois à s’ouvrir et à s’éveiller.

En attendant, et sans qu’il soit question d’accorder la personnalité juridique aux animaux, il est tout à fait possible de créer une catégorie un peu à part pour que l’animal soit définitivement sorti du régime des biens. Celui-ci pourrait alors acquérir certains droits comme le droit de ne pas être blessé ou tué sans que cet acte ne soit expressément autorisé par la loi. Chaque espèce aurait alors un degré de protection différent en fonction des rapports qu’elle entretient avec l’Homme mais également de sa sensibilité, ce qui permettrait ainsi d’assurer un minimum de protection à tous les êtres vivants capables de ressentir la douleur. Cette nouvelle prise en considération du bien-être de l’animal pourrait alors constituer un premier pas vers la résolution de la problématique de la chasse qui, outre le fait qu’il est totalement injustifiable moralement de considérer l’action de tuer comme un loisir, utilise parfois des méthodes cruelles qui pourraient parfaitement être interdites.

Charlotte Grefe

Cet article est extrait d’un rapport de stage réalisé à la LFDA.


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