Transparence en recherche animale : les informations restent très opaques

Alors que les principaux acteurs de la recherche française ont signé une charte pour s’engager à plus de transparence sur l’utilisation des animaux dans les laboratoires, le premier rapport d’évaluation de cette charte révèle une marge de progression importante.

Depuis février 2021, le Groupe interprofessionnel de réflexion et de communication sur la recherche (Gircor), organisation promouvant l’expérimentation animale et rassemblant de nombreux centres de recherches publics et privés, a édicté une charte de transparence à l’attention de ses membres et plus largement des acteurs de l’expérimentation animale. Le but de cette charte, pour les signataires, est de s’engager à respecter quatre principes qui permettraient, selon le Gircor, une plus grande transparence sur l’utilisation des animaux à des fins scientifiques. En effet, l’expérimentation animale reste un domaine très opaque et il n’est pas évident d’obtenir des informations claires et précises sur ce que pratique réellement les acteurs des tests sur animaux. Lancée depuis un peu plus d’un an, la charte requiert une évaluation annuelle de la progression des acteurs engagés dans le domaine de la transparence. Le Gircor a ainsi rendu son premier rapport d’évaluation en juin 2022 pour l’année précédente. Sans surprise, la marge de progression est grande.

Une charte pour s’engager à être transparent

Les quatre principes énoncés dans la charte sont les suivants :

  1. Expliquer les raisons et conditions du recours aux animaux pour des fins scientifiques et réglementaires : il s’agit d’informer le public, ainsi que le personnel des établissements concernés, sur l’expérimentation animale pratiquée et de préciser la part des méthodes avec et sans animaux dans l’avancée de la science.
  2. Diffuser l’information auprès du grand public et des médias : ce principe vise à rendre l’information intelligible et accessible au plus grand nombre.
  3. Faciliter les échanges d’information avec le grand public et les médias : cela consiste à être proactif dans la diffusion de l’information auprès du grand public et des médias.
  4. Produire chaque année un document sur les progrès en matière d’information du public : il s’agit du rapport d’évaluation de la progression de la transparence mentionnée en introduction.

Cette charte, initiée par le Gircor et soutenue par le ministère de la Recherche et les Académies des sciences, de médecine et vétérinaires, a été signée à ce jour par 38 organisations, parmi lesquelles des centres de recherche publics (CNRS, CEA, Inrae…), des centres de recherches privés (Institut Pasteur…), des sociétés de recherche contractuelles (Biotrial…), des universités (Sorbonne, Strasbourg, Aix-Marseille…), des entreprises pharmaceutiques ou biotechnologiques (Bayer, Servier, Sanofi…), des associations professionnelles (Association française des sciences et techniques de l’animal de laboratoire), des fournisseurs d’animaux, etc.

Résultats du rapport sur la première année de mise en œuvre de la charte

L’évaluation de la progression de la transparence a été réalisée par le Gircor à l’aide d’un questionnaire envoyé aux signataires entre décembre 2021 et février 2022. Le taux de réponse au questionnaire est de l’ordre de 84 %. On apprend dans le rapport que près de 60 % des répondants n’ont pas de page faisant référence à l’utilisation d’animaux dans la recherche sur leur site Internet. Pour la moitié, cette page serait en construction.

On en apprend également plus sur les attentes des signataires de la charte. Quatre-vingt-huit pour cent des répondants jugent comme une priorité absolue le fait de permettre au grand public de comprendre l’intérêt de l’utilisation des animaux et, pour les autres (12 %), il s’agit d’une priorité (non absolue). À noter que la charte exige d’« expliquer les raisons et les conditions de l’utilisation des animaux », et non pas l’« intérêt » de leur utilisation. Sous le terme de transparence, on lit alors clairement l’objectif à peine dissimulé de convaincre le public de l’intérêt de l’expérimentation animale.

Un autre objectif prioritaire (94 %) est d’améliorer l’image de la recherche. Pour 50 % des répondants, la charte doit aussi permettre de réduire la pression des activistes, qui cherchent à obtenir des informations sur le sujet.

Engagement 1 : expliquer les raisons et les conditions du recours aux animaux

Parmi les organismes scientifiques ayant répondu au questionnaire, 69 % déclarent rendre compte des espèces animales utilisées lorsqu’ils témoignent de résultats ou avancées scientifiques. En revanche, seuls 25 % informent, en dehors du cadre d’un projet de recherche, sur le nombre et les espèces des animaux utilisés. En outre, seuls 31 % donnent des exemples de projets scientifiques en expliquant les besoins et conditions du recours aux animaux. Quant aux détails sur le degré de gravité des procédures imposées aux animaux, ils sont révélés par seulement 6 % des répondants. Enfin, seuls 22 % donnent des informations sur les méthodes alternatives à l’utilisation des animaux.

Pour ce qui est de l’information visuelle, 50 % des répondants proposent des images internes sur l’hébergement des animaux et 37 % ne proposent aucun visuel ; 31 % proposent des images internes d’animaux soumis à des expériences et 59 % ne proposent aucun visuel.

Enfin, sur leurs sites Internet respectifs, les organismes répondants sont près de 41 % à ne pas proposer d’exemples de travaux ayant recours aux animaux.

Engagement 2 : diffuser l’information auprès du grand public et des médias 

Les organismes de recherche s’engagent pour la transparence, mais pas trop. Ils restent prudents sur la communication auprès des médias. En effet, 44 % des répondants répondent rarement, voire pas du tout, aux sollicitations des médias sur l’utilisation des animaux à des fins scientifiques, 25 % ne sont jamais sollicités et 31 % répondent tout le temps ou souvent favorablement.

En ce qui concerne les moyens de diffusion de l’information sur le recours aux animaux, 59 % des organismes répondants déclarent utiliser leur site Internet ; 41 % publient des articles scientifiques et communiqués de presse ; 16 % utilisent les réseaux sociaux ; 13 % publient des articles grand public spécifiques sur la recherche ou le principe des 3R ; enfin, la même proportion déclare ne pas communiquer sur le sujet.

Lire aussi: « Création d’un centre national sur les 3R en expérimentation animale », revue n°112 (janvier 2022)

Engagement 3 : faciliter les échanges d’information avec le grand public et des médias

Les échanges avec le grand public restent limités. Les organismes scientifiques répondants sont plus enclins à communiquer sur le recours aux animaux auprès de la communauté scientifique, via des activités organisées par d’autres acteurs du monde scientifiques, tel que le Gircor (seuls 20 % ne le font jamais et 13 % ne sont pas concernés), des événements au sein d’établissements d’enseignement supérieur (seuls 25 % ne le font jamais et 13 % ne sont pas concernés), des congrès scientifiques (seuls 28 % ne le font jamais et 9 % ne sont pas concernés). En revanche, quand il s’agit de communiquer auprès du public, 44 % ne participent jamais à des événements du type Téléthon ou Fête de la science et 50 % ne proposent pas de journées portes ouvertes. Un seul organisme déclare avoir organisé des journées portes ouvertes en 2021, et 8 ont organisés des visites virtuelles. Il faut le reconnaître, les restrictions sanitaires n’ont pas aidé à l’organisation de tels événements.

Un répondant estime qu’il est plus difficile de communiquer sur certaines espèces qui sont considérées comme « une cible pour les activistes » (probablement les primates et les chiens). D’autres notent qu’il faut trouver un « langage adapté pour ne pas heurter la sensibilité du public et des médias ».

Engagement 4 : produire chaque année un document sur les progrès en matière d’information du public

Si cet engagement a été respecté, le taux de répondants parmi les signataires n’est néanmoins pas de 100 %, alors qu’il s’agit du quatrième engagement de la charte de transparence. Le Gircor parle de « tolérance exceptionnelle » pour la première année. L’évaluation pourra sans doute être plus poussée dans les prochaines années. Il faudra que l’ensemble des signataires soient évalués d’une manière ou d’une autre et pas seulement sur la base du déclaratif.

Conclusion

Ces données montrent que le monde de la recherche française a encore des progrès à faire en matière de transparence sur les tests sur animaux. Parmi les 32 organismes scientifiques ayant répondu au questionnaire, 59 % estiment que la peur de l’exposition aux détracteurs de l’expérimentation animale et la peur de mauvaises interprétations sont des difficultés pour mettre en œuvre les principes de la charte. La peur de la fuite d’information sensibles et la défiance de l’opinion publique sur la recherche sont aussi vues comme des difficultés. Le monde de la recherche à longtemps estimé que sur ce sujet, pour vivre heureux, il fallait vivre caché. Pourtant, la transparence est encouragée par la législation européenne sur la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques. L’opacité et la mauvaise communication alimentent les rumeurs et la méfiance du public. La transparence objective est un principe éthique indispensable, qui permet une vigilance de la société sur les actes et les progrès du monde scientifique en matière d’utilisation des animaux pour la recherche.

Nikita Bachelard

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