L’Union européenne à la pointe de la lutte contre le trafic d’animaux sauvages

L’Union européenne s’est dotée d’un cadre législatif ambitieux pour lutter contre le commerce illégal d’animaux sauvages. C’était nécessaire, car elle se révèle être une plaque tournante pour ce trafic.

L’Union européenne (UE), en tant que membre de la CITES, s’est dotée d’un cadre législatif ambitieux encadrant le commerce d’espèces sauvages. C’était nécessaire, car elle constitue une plaque tournante du trafic d’animaux sauvages. De plus, elle a dû adapter sa législation à sa spécificité de marché unique. Ces raisons l’ont poussé à adopter un ensemble de règlements appelés « EU Wildlife Trade Regulations » (règlements de l’UE sur le trafic d’espèce sauvages).

L’Union européenne, plaque tournante des trafics d’animaux sauvages

L’Union au centre du trafic d’espèces sauvages

Un rapport [PDF] rédigé par l’ONG International Fund for Animal Welfare (IFAW) met en avant le rôle central de l’UE dans le trafic d’espèces sauvages. En effet, l’Europe est considérée comme une plaque tournante du trafic : les spécimens transitent souvent de l’Afrique vers l’Asie par l’Europe et particulièrement par Paris. L’UE est aussi un marché important. IFAW la considère comme le troisième importateur d’espèces sauvages illégales au niveau mondial.

La Commission européenne résume assez bien le rôle de l’Union dans le trafic d’espèces sauvages : « l’Europe est, elle aussi, directement concernée et touchée. Des espèces de reptiles menacées sont proposées à la vente dans l’Union européenne, des essences d’arbres protégées et de l’ivoire arrivent dans nos pays par les ports et des civelles européennes en danger critique se retrouvent commercialisées en Asie. »

Le commerce international d’espèce sauvages de faune et flore protégée est règlementé par la Convention internationale sur le commerce des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), ou Convention de Washington, rédigée en 1963 à la suite de l’adoption d’une résolution par l’assemblée générale de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). La Convention n’a pas pour vocation d’interdire le commerce d’espèces sauvages mais plutôt de le réguler, de l’encadrer et d’assurer qu’il ne nuise pas à la conservation des espèces. Ses normes sont contraignantes mais doivent être transposées dans le droit de chaque État partie pour être réellement effectives.

Les moyens européens de lutte contre le trafic

Pour faire face à ce fléau, l’Union s’est dotée d’un arsenal juridique ambitieux et adapté au contexte du marché intérieur européen. Parallèlement, elle mène des actions de terrain qui sont regroupées dans le plan d’action de l’Union européenne contre le trafic d’espèces sauvages pour les années 2016-2020. Ces actions visent principalement à réduire la demande de produits d’espèces sauvages. L’Union mène pour cela des campagnes de sensibilisation ; elle renforce la coopération avec les secteurs d’activité concernés (entités pratiquant le commerce d’espèces sauvages ou utilisant des produits issus de telles espèces ou d’entités fournissant des services destinés à ce commerce). Elle mène aussi des actions de lutte contre la cybercriminalité, en partenariat avec les pays d’origine du trafic, etc. Ce plan d’action de l’UE devrait être révisé d’ici la fin de l’année 2022.

Un contexte particulier : le marché intérieur européen

Le marché intérieur européen est une union douanière qui supprime tous les obstacles à la libre circulation des biens. Les quotas sont supprimés, ainsi que les droits de douane entre les États membres de l’Union. De ce fait, les restrictions quantitatives aux échanges sont interdites. Le principe même du marché commun semble être en contradiction avec l’encadrement du commerce d’espèces sauvages entre États membres.

Toutefois, cela ne veut pas dire que tout peut être échangé librement et sans contrôle. Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) a prévu des exceptions à l’interdiction des restrictions (article 36 TFUE). « Les dispositions des articles 34 et 35 ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d’importation, d’exportation ou de transit, justifiées par des raisons de moralité publique, d’ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux (…). » La protection de la vie des animaux apparait donc comme une justification à l’instauration de restrictions au commerce entre États membres.

Les règles de la CITES ont dû être adaptées au contexte du libre-échange. Ainsi, l’UE a dû se doter depuis 1982 d’un arsenal juridique majoritairement composé de règlements, directement applicables par les États membres (expliqués ci-après). Cette règlementation répond à l’impératif d’harmonisation des législations. Entre autres, cela permet d’éviter les situations de concurrence déloyales.

Le degré d’ambition de la règlementation européenne, nettement supérieur à celui de la CITES, est un moyen de compenser, grâce à des normes plus strictes communes aux 27 États membres de l’UE, l’absence de contrôles à l’intérieur des frontières de l’union douanière. Le cadre juridique européen s’est par la suite étoffé avec l’adoption de plusieurs règlements, constituant ce que l’on appelle l’« EU Wildlife Trade Regulations » (règlements de l’UE sur le trafic d’espèce sauvages).

Règlements de l’UE sur le trafic d’espèce sauvages

Un niveau d’ambition élevé

Plusieurs règlements composent la règlementation européenne. Le règlement 338/97 pose le cadre général ; le règlement 865/2006 porte les mesures d’applications du précédent ; le règlement « Annexes » 1332/2005 modifie les annexes du règlement 338/97, listant les différentes espèces protégées ; le règlement « Ban » 1037/2007 liste les espèces dont l’introduction au sein de l’Union est suspendue. En effet, le règlement 338/97 prévoyait la possibilité pour la Commission européenne d’imposer des restrictions voire des interdictions d’introduire certaines espèces sur le territoire de l’UE. C’est chose faite pour une vingtaine d’espèces inscrites en ses annexes A ou B. Cette limitation est permise après évaluation d’un comité scientifique. En l’occurrence, le comité avait considéré que l’état de conservation de ces espèces « serait gravement menacé si l’introduction de ces espèces dans la Communauté́ à partir de certains pays d’origine n’était pas suspendue ».

Règlement (CE) n° 338/97 : cadre général de la règlementation européenne

Le règlement (CE) n° 338/97 du Conseil du 9 décembre 1996 relatif à la protection des espèces de faune et de flore sauvages par le contrôle de leur commerce est actuellement le texte de base de la réglementation européenne dans le domaine. Il constitue le cadre normatif de référence applicable à l’Union.

Ce règlement 338/97 reprend assez largement la structure de la CITES. Il est lui aussi composé d’annexes, qui sont au nombre de quatre :

  • l’annexe A reprend toutes les espèces inscrites à l’Annexe I de la CITES ainsi que certaines espèces inscrites aux Annexes II ou III de la CITES, voire certaines espèces non prises en charge par la Convention ; il s’agit des espèces dont la survie est la plus compromise ;
  • l’annexe B reprend toutes les espèces restantes de l’annexe II de la CITES. D’autres espèces peuvent y être inscrites : les espèces présentes à l’annexe I sur lesquelles il a été émis des réserves, certaines espèces de l’annexe III et les espèces considérées comme envahissantes ; il s’agit des espèces qui ne sont pas menacées d’extinction mais qui pourrait le devenir si leur commerce n’était pas réglementé ;
  • l’annexe C comprend globalement les espèces de l’annexe III qui n’ont pas été inscrites en annexes A ou B ; il s’agit des espèces dont au moins un État qui en réglemente déjà le commerce souhaite la coopération des autres parties pour empêcher l’exploitation illégale ou non durable ;
  • l’annexe D diffère de la CITES. Elle comprend quelques espèces de l’annexe III de la CITES pour lesquelles certains États ont émis des réserves, ainsi que des espèces non inscrites aux autres annexes qu’il convient de surveiller.

La règlementation européenne prend donc en compte plus d’espèces que le cadre législatif international.

La mise en œuvre de la règlementation européenne

La particularité de la règlementation européenne est l’attention portée sur le contrôle de la mise en œuvre du règlement 338/97. Cette mise en œuvre est d’ailleurs facilitée par l’instauration de procédures communes de délivrance de documents d’autorisation d’importation, d’exportation ou de réexportation, qui sont prévues par le règlement (CE) 865/2006.

Un groupe « Application de la règlementation », constitué des représentants des autorités compétentes de chaque État membre, est chargé de veiller à la bonne application du règlement. De plus, les États ont un rôle d’enquête et peuvent initier des actions en justice. En effet, si les autorités compétentes des États membres ont des raisons de penser que la règlementation européenne n’est pas respectée, elles peuvent « prendre des mesures nécessaires pour imposer le respect desdites dispositions ou entreprendre une action en justice » (article 14 du règlement 338/97). Il n’est pas précisé quelles mesures les autorités compétentes sont habilités à prendre.

L’intégration de considérations de la protection animale

Une des particularités de la législation européenne par rapport à la CITES est l’intégration de considérations de protection animale. En effet, la règlementation européenne prévoit qu’une des conditions cumulatives pour que soit délivré un certificat d’importation par l’État de destination est que « l’autorité scientifique compétente s’est assurée que le lieu d’hébergement prévu sur le lieu de destination d’un spécimen vivant est équipé de manière adéquate pour le conserver et le traiter avec soin » (article 4 du règlement 338/97). De ce fait, un État peut refuser d’introduire un animal sur son territoire pour seule raison que les conditions d’hébergement prévues ne sont pas adaptées à ses besoins. La même condition est requise au sein de l’UE en cas de circulation d’un animal vivant inscrit à l’annexe A. Les conditions de transport doivent également être contrôlées pour éviter les risques de blessures, de maladies, etc. Le but de ces obligations est d’assurer la survie des individus de ces espèces pendant mais aussi après le transport. Cela relève d’une vision différente de celle de la CITES qui se contente de règlementer les flux d’échanges entre États. Ici, aucun aspect du transport ne doit nuire à l’état de conservation des espèces, ce qui induit une meilleure prise en compte des besoins et du bien-être de l’animal. Toutefois, dans le cadre du commerce illégal, les animaux sont souvent transportés dans des conditions catastrophiques, certains mourant au cours du voyage.

Conclusion

L’UE a dû adapter sa réglementation en matière de trafic d’espèces sauvages pour se conformer à la Convention de Washington, tout en prenant en compte le contexte particulier de l’UE et son marché intérieur unique. Les dispositions de la règlementation européenne sont directement applicables par les États sans qu’il soit nécessaire de les transposer. De ce fait, tous les États membres ont pour obligation de respecter les mêmes standards en matière de commerce d’espèces sauvages. Cependant, considérant la réglementation européenne toujours insuffisante, certains États membres, comme la France, ont décidé, ainsi que le permet le droit européen, d’adopter des mesures nationales encore plus protectrices.

Marie Combes

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