Nourrir les animaux d’élevage avec des protéines animales : quels enjeux ?

La réintroduction des farines animales dans l’alimentation des animaux, interdites dans l’Union européenne depuis la crise de la vache folle, présente des risques sanitaires, mais comporte aussi des avantages environnementaux.

La crise de la vache folle dans les années 1980 a réveillé les consciences sur la façon dont on nourrit les animaux d’élevage. Des farines animales d’origine bovine infectées et données aux bovins ont provoqué une grave épidémie d’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), maladie à prion transmise à l’humain. L’interdiction de l’utilisation des farines animales en a résulté. Plus de 30 ans après, l’interdiction est partiellement levée.

Vache folle et farines animales

La crise de la vache folle

Le débat sur l’utilisation de produits d’origine animale dans l’alimentation des animaux d’élevage destinés à la consommation humaine puise ses origines dans une crise majeure qui est venue fortement marquer la population européenne, la crise dite de la « vache folle ». Elle trouve ses origines dans les années 1980. Le premier cas d’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) fut identifié en Grande-Bretagne en 1986. Des études postérieures indiquent que la maladie s’est développée à la suite de l’incorporation dans la nourriture des bovidés de farines animales, constituées de sous-produits animaux dont de bovins, non parfaitement décontaminées lors de leur production.

À la suite de la découverte du premier cas d’ESB, deux ans plus tard, Londres décide d’interdire l’alimentation des bovins avec ces farines. Pour autant, les Britanniques ne vont pas interdire son exportation. L’Union européenne (UE), d’une part, et la France, d’autre part, vont adopter des mesures pour prévenir le risque de propagation au-delà de la Manche. Malheureusement, cela ne suffira pas, le premier cas français de la maladie étant détecté chez un bovin le 28 février 1991.

L’encéphalopathie spongiforme transmissible

L’ESB est une infection dégénérative du système nerveux des bovidés capable de franchir la barrière des espèces. C’est une maladie à prion de la famille des encéphalopathies spongiformes transmissibles (EST). Ces maladies sont majoritairement connues pour les bovins, les petits ruminants (ex : tremblante du mouton), certains cervidés sauvages et l’Homme (ex : maladie de Creutzfeldt-Jakob).

Les prions sont différents des agents biologiques « classiques » (bactéries, virus, parasites, moisissures). La maladie résulte de l’accumulation dans le cerveau de la protéine prion normalement exprimée mais mal conformée (repliée de façon anormale). Elle est capable de transmettre son anomalie aux protéines prion normales. Les prions sont particulièrement résistants aux procédés classiques d’inactivation des agents microbiologiques, comme la température.

La transmission à l’Homme est due à la consommation de tissus nerveux contaminés. De plus, les EST sont caractérisées par une longue période d’incubation d’en général plusieurs années, pouvant aller jusqu’à 40 ans chez l’homme. Cette maladie est mortelle et aucun traitement n’existe encore à ce jour.

Les farines animales et les protéines animales transformées

Dans son considérant 14, le règlement (UE) n° 2021/1372 explique l’un des intérêts de l’utilisation de protéines animales pour nourrir les animaux d’élevage : « Du point de vue nutritionnel, les protéines animales transformées constituent une excellente matière première pour l’alimentation des animaux, avec une forte concentration de nutriments hautement digestibles tels que des acides aminés et du phosphore, et une teneur élevée en vitamines. »

Les farines animales, source de l’infection d’ESB, sont produites à base de parties non consommées de carcasses bovines ou d’autres animaux et impropres à la consommation humaine. Elles regroupent les farines de viande et d’os, de sang… Les protéines animales transformées (PAT) sont, elles, issues de parties propres à la consommation humaine mais qui ne trouvent pas de débouché à la vente (pièces non nobles comme les pattes, etc.).

Une prise de conscience de la condition animale et du cannibalisme induit

Malgré l’apparition du premier cas au début des années 1990, ce n’est qu’en 1996 que la situation a été révélée au grand public par les médias. C’est à ce moment-là que l’épizootie va devenir une crise. Celle-ci va revêtir différents aspects. Tout d’abord, elle va entrainer des conséquences économiques majeures en raison de la chute importante de la consommation de viande bovine et des nouvelles mesures mises en place. Ensuite, la crise va faire naître une prise de conscience des consommateurs (1.1.d) sur les conditions d’élevage et de production, et notamment sur des usages en vigueur comme l’utilisation de farines animales pour l’alimentation des animaux. Certains consommateurs iront jusqu’à affirmer que l’« on a transformé des herbivores en carnivores » (La crise de la vache folle : « psychose », contestation, mémoire et amnésie, 2003).

La pratique par laquelle l’Homme va introduire dans la nourriture des animaux des composantes issues d’animaux de la même espèce (cannibalisme) est prohibée dans l’UE depuis cette crise (l’article 11 du règlement (CE) n°1069/2009).

Les mesures législatives et règlementaires adoptées

La France a, dans un premier temps, adopté diverses mesures règlementaires visant à interdire l’utilisation de farines animales dans l’alimentation des bovins à partir de 1989. Du fait d’un manque de rigueur dans leur application et de contaminations croisées observées entre les filières d’alimentation bovines et d’autres espèces, ces mesures ont été par la suite étendues aux autres espèces animales (Annexe 4). Des mesures ont également été mises en place quant aux tissus présentant le plus de risque d’infection qui sont retirés et détruits à l’abattage (cerveau, moelle épinière…).

Pour les bovins, l’abattage des troupeaux dans lesquels un animal malade a été observé est systématique s’ils sont d’un âge proche du cas détecté et ont potentiellement reçu la même alimentation contaminée. Ces mesures sont prévues par l’arrêté du 3 décembre 1990.

Des mesures de surveillance et de prévention des EST ont été ajoutées, avec notamment l’établissement d’un dépistage systématique de la maladie en abattoir. Cependant, à la suite de la baisse drastique des cas détectés du fait des mesures mises en place, l’UE (règlement du Conseil de l’UE n° 2009/719/CE) a décidé d’alléger ces mesures. En conséquence, depuis le 1er janvier 2015, les animaux nés à partir de janvier 2002 ne sont plus systématiquement testés.

Les règlementations nationales s’avérant insuffisantes pour contenir la zoonose, le règlement du Conseil de l’UE n° 999/2001, dénommé Feed Ban, est venu fixer des règles quant à l’alimentation des animaux d’élevage. Il a notamment interdit l’utilisation de protéines animales dans l’alimentation des animaux d’élevage, posant toutefois quelques dérogations aux interdictions. Il est intéressant de noter que l’usage de protéines animales transformées de poisson est autorisé pour tous les monogastriques (non ruminants). Par la suite, en 2013 et 2017, de nouveaux allégements ont été adoptés dans l’alimentation aquacole, sur l’utilisation, respectivement, de PAT de porcs et de volailles – par le règlement (UE) n° 56/2013, auquel la France et l’Allemagne étaient les deux seuls pays à s’opposer – et après cela, de PAT d’insectes (règlement (UE) n° 2017/893). L’utilisation de protéines piscifères pour les poissons reste prohibée afin de ne pas franchir la barrière d’espèce (page 20) (interdiction du cannibalisme ou « recyclage intraspécifique »).

Une interdiction réexaminée par l’Anses

Depuis quelques années, les cas d’ESB, ou maladie de la vache folle, sont devenus extrêmement rares en Europe, conduisant à l’ouverture d’un débat au sein de l’UE sur un potentiel allègement des mesures du Feed Ban. La France a donc demandé à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) de fournir un rapport sur le sujet.

En 2011, un rapport de l’organisme sur le sujet avait considéré le risque comme trop important pour une réintroduction des PAT. Toutefois, le rapport soutenait que ce danger pourrait disparaître si certaines conditions étaient respectées.

Dans son rapport de 2021, l’Anses vient rappeler que la baisse des cas identifiés d’ESB est en partie due à la moindre réalisation de tests permettant de déceler la maladie. De plus, elle note l’importance d’un risque de contamination des sous-produits animaux par des espèces en apparence non-porteuses ou dont les symptômes ne se sont pas encore déclarés.

L’Anses conclut cependant que le danger associé à une réintroduction des PAT est faible, même s’il n’est pas nul. Elle relève que les risques peuvent se voir limités grâce à des contrôles réguliers, la mise en place d’une séparation des filières de production, le respect des procédures de production… Pour conclure, une réintroduction peut être envisagée si des mesures réglementaires viennent l’encadrer.

Décision de l’Union européenne sur l’allègement du Feed Ban

Considérations en faveur d’un allègement du Feed Ban

L’allègement du Feed Ban permet une limitation des déchets des filières de production agroalimentaire en les recyclant pour l’alimentation animale.

De plus, à la suite de la mise en place du Feed Ban en 2001, les farines animales se sont vues substituées par des protéines d’origine végétale et des sources minérales de calcium et de phosphore. Ces molécules sont un peu moins bien assimilées par les animaux non-ruminants, en particulier les volailles, que les protéines animales.

À l’heure actuelle, la production européenne de protéines végétales ne permet pas une autosuffisance pour toutes les légumineuses, surtout celles principalement utilisées pour l’alimentation animale. En premier lieu, le soja représente la majorité de la consommation (pour son meilleur apport en protéines).

Par ailleurs, le soja provient surtout de l’importation de pays producteurs latino-américains (point 2). La réintroduction des protéines animales, si elles sont produites dans l’UE, présente potentiellement un réel avantage d’un point de vue environnemental. Elle permettrait de réduire considérablement l’empreinte carbone grâce à la baisse des importations de protéines végétales, ainsi que la déforestation « importée ».

Autorisation des protéines animales transformées

L’UE a donc décidé le 17 août 2021 d’adopter l’allègement des mesures du Feed Ban. Son règlement (UE) n° 2021/1372 autorise ainsi l’utilisation des protéines animales transformées d’origine avicole et porcine dans, respectivement, l’alimentation des porcs et des volailles. Les PAT dérivées d’insectes ont également été autorisées dans l’alimentation des deux espèces précitées.

Toutefois, cet allégement n’est pas fait sans conditions. Le règlement prescrit l’exécution de prélèvements réguliers, par la suite analysés, afin d’éviter tout risque. Ces mesures s’ajoutent à la législation européenne en vigueur imposée aux États membres sur la mise en place de contrôles officiels. L’Union n’impose pas la séparation stricte des circuits comme l’a recommandé l’Anses. Or, il est à noter que les filières de productions ne vont sûrement pas la mettre en place par elles-mêmes.

Limites de l’allègement

Malgré sa décision d’alléger le Feed Ban, l’Union maintient deux limites en interdisant le cannibalisme et en ne levant pas l’interdiction d’utilisation de PAT d’origine bovine. Elle conserve ces limites pour rassurer le consommateur et éviter les contaminations croisées. Si l’UE condamne le cannibalisme, ce n’est pas forcément le cas des pays tiers. Ainsi, notamment, le Canada est soumis à une réglementation sur les protéines animales mais n’interdit pas l’utilisation de protéines animales contenant des produits d’animaux de la même espèce. Cette question concerne l’UE puisqu’elle a conclu un traité de libre-échange avec le Canada (Ceta). Ce traité permettant l’exportation de viandes canadiennes vers les pays membres de l’Union est partiellement entré en vigueur le 21 septembre 2017.

Les protéines végétales sont-elles une alternative ?

Au vu de sa dépendance en protéines végétales importées, il serait intéressant pour l’UE d’étendre sa production de légumineuses pour nourrir les animaux. D’une part, cela permettrait d’améliorer la qualité des sols de production, les légumineuses étant essentielles à la gestion durable des sols et aux cycles des éléments nutritifs grâce à leur capacité à fixer l’azote de l’air, réduisant le besoin en engrais. D’autre part, elles peuvent également être bénéfiques pour la biodiversité. Elles attirent les abeilles, constituent des refuges pour les insectes, réduisent l’utilisation des pesticides…(point 4). D’un point de vue économique et environnemental, elles sont liées à une meilleure production des sols, la baisse des importations, de l’utilisation d’herbicides…

Diverses mesures (aide financière, invitation législative, programmes de recherches, renforcement du partage de connaissance…) ont été mises en place, au niveau national et européen, afin de favoriser le développement du marché des protéagineux au sein de l’UE. Ces mesures portent des objectifs tant économiques qu’environnementaux. De plus, le développement des protéagineux pourrait contribuer à remplir les objectifs de la politique agricole commune (PAC). Néanmoins, ce développement va prendre du temps, ne permettant pas une autosuffisance à court terme.

Pratiques d’élevage et considération animale

La réintroduction des PAT est-elle la meilleure option ? Même si les études nous indiquent que la probabilité de transmission d’un virus est très faible, elle n’est pas nulle. Or il est possible de remarquer que le rapport que l’Homme a développée vis-à-vis de l’exploitation animale a généré de nombreuses zoonoses (grippe aviaire, peste porcine, maladie de Creutzfeldt-Jakob…). Dans l’hypothèse où un animal infecté est repéré dans une exploitation, ce sont tous les animaux de celle-ci, voire au-delà, qui sont abattus. Cette solution, déjà adoptée lors de la crise de la vache folle, est encore en vigueur aujourd’hui.

À titre d’exemple, le 27 novembre 2021, un foyer d’infection de la grippe aviaire a été découvert. Par la suite, celle-ci s’est répandue dans le reste de la France, engendrant une épizootie. Pour y faire face, des milliers d’animaux ont été confinés ou abattus, puis jetés comme déchets dangereux, alors que la grande majorité de ces animaux, étaient sains (voir l’article « Abattage préventif : une pratique controversée » dans la revue n° 110). L’abattage préventif est une conséquence de la crise de la vache folle. Il est pratiqué en France, mais également à l’étranger, comme au Danemark, comme on a pu le voir avec l’abattage de plus de 15 millions de visons pour 12 cas humains d’un variant du Covid-19 soupçonné d’origine animale.

En conclusion, nous avons vu que la réintroduction des PAT présente quelques avantages sur le plan économique et environnemental. Mais ne revient-elle pas à prendre un risque pour notre sécurité et la vie de nombreux animaux ? Ne serait-il pas plus judicieux de se porter vers le développement d’alternatives ? Et surtout revenir à un élevage moins intensif ? En attendant, beaucoup feront le choix de diminuer voire éliminer toute consommation de viande.

Maya Castagné

Source annexes :

https://www.techno-science.net/glossaire-definition/Crise-de-la-vache-folle.html

https://www.huffingtonpost.fr/entry/25-ans-de-la-crise-de-la-vache-folle-les-farines-animales-reviennent-par-la-petite-porte_fr_60536616c5b6fce6ee965cd0

https://www.oie.int/fr/maladie/encephalopathie-spongiforme-bovine/

ESB : le contexte réglementaire européen (PDF)

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