Incertitudes autour de la révision de la législation européenne sur le bien-être animal

Alors que la révision de la législation européenne sur la protection des animaux est attendue, le Gouvernement a mené une concertation avec l’ensemble des acteurs intéressés par le sujet. Organisée entre mars et juin 2023, elle avait pour but d’influencer la position qui sera tenue par la France lors des négociations sur les textes qui seront proposés par la Commission européenne. Toutefois, les conclusions de la concertation ne sont pas à la hauteur des enjeux. Quant au contexte politique actuel sur la scène européenne, il laisse présager du pire pour la nouvelle réglementation en faveur du bien-être animal : un arrêt pur et simple du processus.

Cochons Révision de la législation européenne sur le bien-être des animaux d'élevage

Une concertation vite faite, mal faite

Méthodologie

Le ministère de l’Agriculture a donc lancé une concertation sur la révision de la législation européenne sur la protection des animaux (voir l’article « Amélioration de la protection des animaux d’élevage : la France, partisane du moindre effort ? » dans le numéro précédent) en présence de l’ensemble des acteurs concernés par le sujet : syndicats agricoles, interprofessions des filières d’élevage, instituts techniques de l’élevage, chambres d’agricultures, organisations de protection des animaux, etc. Quatre groupes de travail thématiques se sont réunis chacun deux fois : formation, conditions d’élevage, transport, accompagnement et valorisation (des productions plus vertueuses). Les réunions se sont tenues en visioconférence (sauf une), avec la participation d’environ 80 personnes à chaque fois. Entre les réunions, des contributions écrites ont pu être communiquées au ministère et à l’ensemble des participants. Une réunion de clôture en présence s’est tenue le 23 juin afin de présenter les rapports de synthèse de chacun des groupes de travail.

Résultats : demi-mesures et remise en cause de la science

Les rapports synthétisant les travaux des groupes ont tenté de dénicher des consensus entre l’ensemble des parties prenantes, ce qui était – il faut se l’avouer – peine perdue. Si des mesures comme l’instauration de normes équivalentes pour les produits importés semblent bel et bien faire consensus, d’autres en revanche, comme l’interdiction des mutilations aux animaux (castration, écornage, débecquage…), ne remportent pas l’assentiment de la plupart des professionnels.

Lire aussi : « CP : Échec de la concertation sur la révision de la législation sur la protection des animaux d’élevage »

Le ministre avait pris position pour une révision des normes de protection des animaux qui tiennent compte des dernières connaissances scientifiques en matière de bien-être animal. Les avis rendus par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), qui analyse l’état des connaissances sur les sujets, sont on ne peut plus clairs sur les pratiques délétères pour le bien-être des animaux : isolement et confinement (cage), mutilations, longs transports… Pourtant, cela n’empêche pas une partie des professionnels de remettre en cause les avis de l’Efsa et la science en général. Les marchands de doute ont le vent en poupe…

Mobilisation des associations pour la révision de la législation européenne sur le bien-être des animaux d'élevage
© CIWF France

Dans le communiqué de presse du ministère publié à la clôture de la concertation, les mesures données en exemple sont notamment « […] l’harmonisation des modalités de contrôle des transports entre États Membres et la création d’un observatoire des transports d’animaux au niveau européen ; le développement du volet formation dans l’accompagnement des éleveurs en difficulté ; le déploiement des mesures miroir applicables aux produits animaux importés de pays tiers ». Rien de mirobolant. Les propositions des ONG, basées sur les données scientifiques (arrêt progressif des cages, interdiction de l’exportation des animaux vivants hors de l’UE, étiquetage obligatoire du bien-être animal et du mode d’élevage, etc.), les seules permettant d’avoir un véritable impact sur le bien-être des animaux, ne semblent pas avoir retenu l’attention du ministère.

Un contexte politique qui fragilise la réforme

La Commission européenne sera informée des conclusions de la concertation en juillet, alors qu’elle finalise ses propositions de réformes législatives. Ces dernières devraient être présentées aux États membres et au Parlement européen à l’automne 2023.

Cependant, plusieurs obstacles risquent d’entraver la révision des normes européennes. D’abord, les propositions de la Commission ont reçu un premier avis négatif du Comité d’examen de la réglementation, un organe chargé d’évaluer la qualité des propositions de la Commission. En pratique, il a tendance à s’intéresser uniquement aux aspects économiques et à faire retarder l’adoption de nouvelles normes. La Commission ayant revu sa copie, le deuxième avis est finalement positif.

Ensuite, au nom de la sécurité alimentaire, le Parti populaire européen (PPE) s’élève contre une partie des réformes proposées par la Commission européenne dans le cadre de la stratégie du Pacte Vert. Le PPE ne voulait pas de la loi de restauration de la nature – finalement adoptée au Parlement européen à une courte majorité, mais tronquée –, ni du règlement sur l’utilisation « durable » des pesticides. Le Parlement a aussi rejeté l’évolution des normes d’émissions pour une partie des élevages lors du vote de la directive européenne sur les émissions industrielles (pollution de l’air, de l’eau et des sols). La révision de la législation sur la protection des animaux d’élevage fait aussi partie du Pacte Vert. Elle pourrait donc être la prochaine réforme à faire face au rejet d’une partie des eurodéputés.

Enfin, une partie des gouvernements européens ont rejoint la demande du PPE de faire « une pause réglementaire », pour des raisons économiques et sociales : inflation, coût de la vie et souveraineté alimentaire. La révision de la législation européenne sur la protection des animaux pourrait ainsi être reléguée après les élections européennes de juin 2024, et donc potentiellement renvoyée aux calendes grecques.

La LFDA et ses partenaires associatifs n’arrêtent pas pour autant de se mobiliser sur le sujet, bien au contraire. L’Union européenne et la France ne doivent pas passer à côté d’une opportunité unique d’améliorer la condition des animaux d’élevage.

Nikita Bachelard

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