Suppression des réserves parlementaires: doit-on s’en réjouir ou s’en offusquer?

Qu’appelle-t-on « réserve parlementaire » ?

Cette expression et son équivalent « dotation d’action parlementaire », désignent une enveloppe de crédit mise à la disposition des deux assemblées parlementaires par le Gouvernement afin de permettre aux députés et aux sénateurs de financer divers projets d’intérêt général, notamment dans leurs circonscriptions.

Ce dispositif autorise les parlementaires à décider de l’attribution de certains crédits à des collectivités territoriales, et notamment des communes (pour des raisons électoralistes évidentes compte tenu du nombre d’élus qui ont pu, tout au long de la Ve République, cumuler les mandats de maires et de députés).

Intérêt général

Dans une moindre mesure, ces subventions sont attribuées à des associations censées œuvrer localement pour l’intérêt général. Intérêt général ? Par essence, la réserve parlementaire devrait donc couvrir une masse d’intérêts individuels et procurer un certain bien être à tous les individus membres de notre société. Il serait intéressant de revenir sur l’interprétation de cette définition, et ses possibles dérives.

Seulement 20 députés sur 577 ont attribué en 2016 des subventions à des associations de protection des animaux de compagnie pour un total de 50 000 €.

Qui sont les autres bénéficiaires des crédits ?

La réponse est facile à trouver depuis la réforme Bartolone, la loi organique n° 2013-906 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique. La loi a instauré, dans un souci d’équité et de transparence, la publication de tableaux mis à jour annuellement et accessibles en ligne afin de retracer l’utilisation de la réserve parlementaire par les députés et par les sénateurs (Reserve_parlementaire/2016dotation d'action parlementaire).

Depuis janvier 2014, il est donc possible de consulter avec précision quelles associations sont soutenues, par quels parlementaires, et à quels montants. Le verdict est malheureusement sans appel. Par exemple en 2016, 46 députés ont subventionné la chasse pour un total de 171 500 €, en toute discrétion. Un sénateur a soutenu le festival international du cirque de Massy pour 105 700 €. Huit députés ont utilisé leur réserve au bénéfice d’associations pro-corridas pour un total de 54 500 €. La pêche aux électeurs était ouverte, avec plus de 330 000 € alloués à des associations pro-chasses, pro-corrida ou pro-cirque avec l’argent public.

« Confiance dans la vie politique »

Qu’on s’en réjouisse ou qu’on s’en offusque, cet ensemble de « subventions d’État » a été définitivement supprimé le 9 août dernier à la suite de l’adoption par l’Assemblée Nationale du deuxième volet de la loi sur la moralisation dit « confiance dans la vie politique ». Cette abrogation est l‘aboutissement de maintes revendications et autres élucubrations, d’un désaccord persistant entre les deux Chambres, de la saisine de la Commission Mixte Paritaire et de plus de cinq heures d’affrontement au sein de l’Assemblée nationale.

L’opposition du Sénat relative à cette suppression ne heurtera que peu les associations de défense des animaux. Il suffit en effet de taper le mot « chasse » dans la barre de recherche du tableau de distribution des dotations mis en ligne publiquement sur le site du Sénat pour connaître sa position à cet égard. Le Président du Sénat ne semble d’ailleurs pas s’offusquer de ce penchant cynégétique, compte tenu de ses déclarations publiques en faveur de la chasse à courre, à la glu (technique visant à enduire des branchettes de colle afin d'immobiliser les oiseaux s'y posant) ou encore au déterrage (pratique de chasse des animaux à terriers).

En toute hypothèse, et qu’on s’en réjouisse ou qu’on s’en offusque, c’est un peu plus de 130 000 € par an et par élu qui seront supprimés au 1er janvier 2024. Mais l’article 9 issu des travaux de la Commission Mixte Paritaire précise que l’extinction de la réserve parlementaire « sera progressive jusqu'au 1er janvier 2024, avec maintien du dispositif de transparence institué en 2013, pour les crédits engagés avant l'exercice 2018 ». Plus clairement dit, les distributions vont continuer, alors que ces sommes astronomiques devraient être utilisées à bien meilleur escient ! En attendant, libre aux contribuables de se renseigner en ligne année après année afin de connaître avec précision si leur argent continue à soutenir telle « amicale de chasseurs » ou tel « club taurin ».

Diane Ricaud et Jean-Claude Nouët

Article publié dans le numéro 95 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

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