Réforme de la PAC, filières animales et bien-être animal

Il est très peu probable qu’une nouvelle politique agricole commune (PAC) soit validée avant l’installation du prochain Parlement européen (après mai 2019), mais les préparatifs et l’agitation des lobbies battent leur plein. Cet article voudrait apporter quelques informations et réflexions, notamment en vue des élections européennes. Il faudra tant soit peu entrer dans la technicité et le jargon de l’usine à gaz PAC pour bien saisir à quel point chaque élément a ses ambiguïtés permettant d’en faire des usages d’intérêt très inégal.

 

Depuis mai, la Commission européenne (COM) a dévoilé le document de base pour la nouvelle PAC : c’est la Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles régissant l’aide aux plans stratégiques devant être établis par les États membres dans le cadre de la politique agricole commune et financés par le FEAGA (Fonds européen de garantie) et le FEADER (Développement rural). Après l’échec cuisant du « verdissement » de l’actuelle PAC (1) la COM affiche vouloir garantir plus d’efficacité au niveau environnemental avec plus de subsidiarité. Ainsi chaque État membre (EM) devra construire son Plan stratégique relevant de la PAC et établir ses propres objectifs et indicateurs de suivi chiffrés en matière d’environnement (climat, biodiversité, nutriments, émissions…) et de développement rural, afin que les objectifs généraux de l’Union européenne (UE) (qui sont encore loin d’être chiffrés !) soient atteints.

Dans les objectifs généraux (article 6), le bien-être animal apparaît en dernier :

  • améliorer la façon dont l’agriculture de l’Union fait face aux nouvelles exigences de la société en matière d’alimentation et de santé, y compris une alimentation sûre, nutritive et durable, les déchets alimentaires et le bien-être des animaux.

Choisir comme référence les exigences sociétales plutôt que les normes minimales (totalement insuffisantes) est une bonne chose. Il est bon aussi que le bien-être animal soit traité comme un objectif autonome qui ne se dissout pas dans l’environnement. Les liens entre bien-être animal et environnement sont complexes et parfois illusoires. Des progrès d’ordre agronomique (par exemple des techniques relevant de l’agroécologie ou l’enfouissement des lisiers après épandage) ou énergétique (par exemple la méthanisation ou des ventilateurs plus économes en énergie) ne changent strictement rien pour les animaux dans un bâtiment d’élevage. Par ailleurs l’élevage de ruminants ne tient pas ses promesses en matière de biodiversité au vu de l’intensification des prairies. Aussi, l’UE reste empêtrée dans des objectifs contradictoires. Compétitivité des élevages par augmentation des performances et conquête de marchés à l’export s’articulent mal avec environnement et bien-être animal. Des réductions des impacts environnementaux sont prévues, à la marge. Elles ne répondent pas à la gravité des enjeux du climat, de la pollution diffuse et de l’effondrement de la biodiversité : tout est lié ! Une réduction très significative des activités d’élevage au niveau européen et mondial (2) est incontournable. Ce message pourtant rationnel et cohérent dérange ; les yeux de l’UE et des EM restent encore rivés sur les balances commerciales. Or la volatilité des marchés, l’effondrement des prix et la détresse des éleveurs sont liés à des surproductions bradées.

Dans ce contexte cet article explore en première partie les opportunités et les risques du projet de la COM pour le bien-être animal. La deuxième partie présente des exigences ou propositions pour que l’amélioration du bienêtre animal devienne réelle et significative. Les réflexions intègrent l’idée innovante de créer plus de revenus en élevant moins d’animaux au lieu de produire plus pour moins de revenus (ce qui est actuellement à tort considéré comme un résultat de « performance » (3)).

OPPORTUNITÉS ET RISQUES POUR LE BIEN-ÊTRE ANIMAL DANS LE PROJET DE RÉVISION DE LA PAC

L’architecture de la future PAC définit trois niveaux d’exigences pour l’environnement et le climat ; le bien-être animal suit ce schéma. Diverses autres interventions d’ordre économique sont maintenues.

Le premier niveau d’exigences est la conditionnalité (Article 11, 12). Ce sont les règles que l’agriculteur doit respecter pour toucher (sans pénalité) les paiements directs attribués par hectare de terre agricole ; ce sont des aides au revenu. La future conditionnalité comporte les exigences réglementaires en matière de gestion (ERMG) c’est-à-dire le respect des lois, et les bonnes conditions agricoles et environnementales des terres (BCAE) qui vont au-delà des normes minimales. La COM les veut plus ambitieuses que par le passé, mais rien n’est encore précisé.

La bonne nouvelle est que les États membres doivent inclure dans leurs Plans stratégiques relevant de la PAC un système de conditionnalité relatif au bien-être animal. La mauvaise nouvelle est dans l’Annexe III qui en définit les règles : il n’y a aucune avancée. Les directives de protection des poules pondeuses et des poulets n’en font toujours pas partie ! Aussi, la COM ne propose pour le moment aucun équivalent de BCAE pour le bien-être animal. Toutefois il est spécifié que les EM peuvent définir des normes supplémentaires dans les domaines énoncés. Il faudra être très vigilant pour obtenir des BCAE sincères.

Le deuxième niveau est celui des programmes volontaires pour le climat et l’environnement (ecoscheme en anglais) (article 28) qui donneront droit à un paiement annuel à l’hectare en complément du revenu ou en compensation d’un manque à gagner suite aux engagements consentis.

La bonne nouvelle est que le bien-être animal y figure. Les engagements doivent aller au-delà des exigences minimales légales. Ceci semble être une obligation très intéressante pour les Plans stratégiques des EM qui pourrait aller de pair avec des labels « bien-être animal ».

Le troisième niveau est celui des interventions pour le développement rural (articles 64 à 72). Le développement rural comporte entre autres des paiements annuels (sur la base de contrats portant sur 5 à 7 ans) indemnisant des engagements en faveur surtout de l’environnement mais aussi du bien-être animal (pas en France !) (4) et des aides aux investissements. Ce dernier créneau est particulièrement sollicité pour les bâtiments d’élevage.

La bonne nouvelle est que l’article 65 5. (b) cite explicitement le bien-être des animaux.

La mauvaise nouvelle est que ni les aides climatiques et environnementales ni les investissements ni le soutien aux jeunes agriculteurs ni la gestion des risques ni la coopération ni l’échange de connaissances n’obligent à prendre en compte le bien-être animal. Les ONG devront être extrêmement vigilantes quant aux critères d’éligibilité et de sélection que les EM mettront en place.

Parmi les autres interventions, les aides couplées sont (contrairement aux aides à l’hectare) liées à une production, tel que le nombre de vaches allaitantes, d’ovins, de chèvres, de vaches laitières… Elles n’intègrent aucune obligation environnementale ou de bien-être animal, idem pour les interventions sectorielles (article 39), au titre desquelles les EM sont autorisés à aider des filières. Un danger majeur est la mise en avant des appellations d’origine et des indications géographiques protégées ou des labels de qualité nationaux (articles 6 et 59 f), ces démarches pouvant être pitoyables en matière de conditions d’élevage (par exemple le jambon de Bayonne, la saucisse de Morteau). La COM devrait sérieusement se pencher sur les cahiers des charges et réviser ses politiques en matière de qualité et de promotion des produits agricoles.

La COM accorde beaucoup d’importance au cadre de performance (article 115) définissant l’évaluation des Plans stratégiques des EM par rapport à des valeurs cibles et des valeurs intermédiaires. Le seul indicateur que la COM propose (5) pour le bien-être animal est la part des unités de gros bétail couvertes par des mesures visant à améliorer le bien-être animal et recevant une aide, sans contenu qualitatif concernant l’impact.

EXIGENCES, PROPOSITIONS ET ESPOIRS POUR DES PLANS STRATÉGIQUES NATIONAUX RESPECTUEUX DES ANIMAUX

D’abord, il y a des exigences d’ordre général à défendre au niveau européen et national :

  • L’aspect obligatoire et ambitieux de l’amélioration du bien-être animal dans le cadre des Plans stratégiques nationaux doit être renforcé, avec des objectifs et indicateurs précis et significatifs par espèce telle que la part du cheptel bénéficiant de l’abandon des cages (y compris pour les truies et les veaux), de l’augmentation de surface par animal, de litière, d’accès au plein air, d’enrichissement du milieu permettant aux animaux d’exprimer leurs comportements naturels, d’une vitesse de croissance saine pour les volailles, d’abandon des mutilations, d’un âge de sevrage reculé, de l’abandon de l’anémie des veaux pour leur donner accès à l’herbe et au foin, etc.
  • Ces indicateurs doivent évaluer les progrès réalisés sur l’ensemble du cheptel et donc la cohérence et la transversalité des aides PAC, pas seulement les dépenses et le nombre de bénéficiaires pour une seule mesure.
  • La valorisation du bien-être animal par des prix rémunérateurs pour l’éleveur doit être un objectif suivi par un indicateur. • La réduction du nombre d’animaux doit être un objectif suivi par un indicateur pour répondre aux objectifs environnementaux et climatiques et assurer une triple performance environnement-climat-bien-être animal (6).
  • Le développement de l’agriculture biologique doit être suivi par un indicateur.
  • L’amélioration du bien-être animal doit devenir un critère d’éligibilité et de sélection pour tout projet touchant l’élevage (qu’il s’agisse d’aides couplées, aides sectorielles, installation, méthanisation, etc.).
  • Les organisations non-gouvernementales (ONG) spécialisées doivent participer à la définition des critères d’éligibilité et de sélection, aussi au niveau régional.
  • Un budget minimal doit être dédié obligatoirement au bien-être animal pour les programmes volontaires et pour le développement rural.

Ce sont de grands espoirs ! Il y a lieu de s’interroger sur l’acceptabilité des stratégies pour le bien-être animal par les acteurs professionnels. Ils ont élaboré, à la demande du gouvernement à la suite des États généraux de l’Alimentation, leurs Plans de filière où ils affichent vouloir créer un socle pour les modes d’élevage intensif dits conventionnels, travailler sur le bien-être animal et par ailleurs développer les produits biologiques et labellisés. Mais les critères précis manquent. Aussi, l’exportation reste leur objectif. Il faut donc que les Plans stratégiques nationaux apportent ambition et viabilité économique à des Plans de filière revisités, alors que les filières agricoles ont toujours préféré obtenir des aides sans contraintes. Il faudra convaincre de l’intérêt du bien-être des animaux en termes d’acceptabilité sociale de l’élevage et de valorisation des produits. Il sera plus utile de travailler sur des prix justes et d’obliger la grande distribution et la restauration à informer les consommateurs, que d’aider des fermes usines à casser les prix. Les éleveurs seront plus heureux.

Au titre de la conditionnalité, toutes les directives européennes concernant les animaux d’élevage sans exception doivent être appliquées au titre des ERMG. Il faudrait même inclure les Recommandations du Conseil de l’Europe (qui sont contraignantes). Au-delà des ERMG, les BCAE liées au bien-être des animaux pourraient converger avec les bonnes pratiques annoncées dans les Plans de filière. Une évaluation régulière des résultats avec une démarche de progrès est déjà à l’ordre du jour. Toutefois une réduction des densités sera un enjeu fort. Pour les porcs, l’apport de matériaux manipulables et l’abandon de la section des queues correspondent aux ERMG ; les BCAE pourront définir les bonnes solutions de mise aux normes (en opposition aux mauvaises) (7). Enfin, des cages ne peuvent pas être des BCAE. Des délais de transition sont envisageables.

Au-delà, les programmes volontaires pourraient rémunérer des systèmes plus favorables au bien-être : le pâturage des ruminants, les volailles en plein air… Les critères sont à définir espèce par espèce. Il y a lieu de s’inspirer des labels « bien-être animal » existant dans les pays voisins. Certains ont plusieurs niveaux. Le premier niveau du label néerlandais Beter leven ou de l’allemand Tierschutzgeprüft aurait sa place dans les BCAE. Le niveau supérieur semble bien adapté à un programme volontaire. Les améliorations doivent porter sur les surfaces disponibles et la liberté de mouvement, le confort (litière), l’ambiance, l’enrichissement comportemental, l’accès au plein air (pâturage, parcours), l’abandon des mutilations… Cela s’approche du niveau de l’agriculture biologique. Une variante consiste à s’inspirer du modèle suisse (éprouvé par l’expérience) et à construire deux sous-programmes cumulables : l’un définissant des systèmes de stabulation particulièrement respectueux des animaux, l’autre les sorties régulières en plein air.

Le modèle suisse montre qu’il n’est pas nécessaire que l’État porte le label « bien-être animal ». Si l’UE et l’État assurent des aides crédibles, fiables et transparentes pour un bien-être supérieur qui soit contrôlé et qu’ils aident à la construction de filières, des acteurs privés pourront intégrer ces critères dans le cahier des charges de leurs marques et même l’améliorer pour se différencier sur le marché. Une diversité stimulante est préférable à un État peu ambitieux qui fige le progrès.

Les interventions du développement rural seraient dès lors destinées à des avancées qui nécessitent un encouragement financier plus conséquent et bien ciblé pour surmonter des freins au changement et pour indemniser des coûts plus élevés. Par exemples : introduire pour les truies des cases de maternité sans cages de fixation et avec surface supérieure ; abandonner les mutilations des volailles ; pour les porcs, passer du caillebotis intégral à du caillebotis partiel avec de la litière dans la zone de couchage ; remplacer l’engraissement intensif des bovins par un engraissement à l’herbe ; former aux pratiques de l’anesthésie et analgésie dans les interventions douloureuses (écornage, castration, etc.). D’autres projets expérimentaux avant-gardistes nécessiteraient d’être financés : laisser des veaux laitiers avec leurs mères ; pratiquer l’abattage à la ferme…

Le couplage du financement du changement de système de production avec une réduction du nombre d’animaux est d’importance planétaire mais aussi régionale, par exemple dans le contexte des marées vertes en Bretagne.

Quant aux investissements, les aides aux bâtiments d’élevage doivent être réservées aux bâtiments qui correspondent au niveau des programmes volontaires ou de l’agriculture biologique.

Il est toujours primordial de mettre en œuvre un double accompagnement des éleveurs avec, premièrement, un conseil agricole pertinent (en commençant avec la formation des formateurs sur les programmes volontaires et les pratiques à encourager), et deuxièmement, les interventions du développement rural qui permettent de soutenir et de rendre viables des filières valorisant le bien-être animal. Cela doit être fait en veillant à ne pas créer d’injustices envers ceux qui ont déjà spontanément adopté les pratiques les plus vertueuses.

CONCLUSION

Pour conclure citons ce que Paul Auffray, président de la Fédération nationale porcine, a dit au sujet de la nécessité vitale d’étoffer le cahier des charges du Porc Français : « Si nous ne le faisons pas, ce sont les ONG qui le feront » (8). Nous, du côté des ONG, affirmons que les cahiers des charges doivent répondre aux exigences sociétales et que la PAC n’est rien d’autre que l’argent du contribuable en droit d’exiger des contreparties. Nous ne voulons pas être gouvernés par les lobbies. Quant à l’élevage nous exigeons MOINS et MIEUX, pour les animaux, pour la planète, pour nous. Quant à l’avenir de l’Europe la question se pose de savoir ce qui prime : est-ce la libre concurrence sur un marché unique, ou les impératifs environnementaux et sociaux ? Face à cette question, les paysans ont tout à perdre, s’ils ne sont pas solidaires du bien-être de leurs animaux.

Anne Vonesch,
vice-présidente d’Alsace Nature, pilote agriculture pour France Nature Environnement Grand Est, référente élevage au directoire agriculture de France Nature Environnement, représentante du Bureau européen de l’Environnement dans les Groupes de dialogue civil Productions animales, animatrice du Collectif Plein Air
(http://collectifpleinair.eu/).

  1. Cour des Comptes européenne, Rapport spécial n° 21/2017 : Le verdissement : complexité accrue du régime d’aide au revenu et encore aucun bénéfice pour l’environnement.
  2. Anne Vonesch, Scénarios d’avenir : pourquoi produire MOINS d’animaux d’élevage ?
  3. Rapport annuel de mise en œuvre France – Rural Development Programme (Regional) – Alsace 2016 page 59 : Judgment criteria : Agricultural output per annual working unit of supported agricultural holdings has increased.
  4. Dans la PAC actuelle des aides annuelles pour un bien-être animal supérieur aux normes minimales sont en cours pour 1,5 milliard d’euros (2014-2020) au titre de la mesure 14, mais la France ne fait aucun usage de cette mesure.
  5. Article 7 et annexe I.
  6. Ces indicateurs environnementaux se trouvent en Annexe I sous R 13, 19, 20, 21.
  7.  DOCUMENT DE TRAVAIL DES SERVICES DE LA COMMISSION sur les meilleures pratiques en matière de prévention de l’ablation de la queue sur une base de routine et de fourniture de matériaux d’enrichissement aux porcs accompagnant le document : RECOMMANDATION DE LA COMMISSION sur l’application de la directive 2008/120/CE du Conseil établissant les normes minimales relatives à la protection des porcs en ce qui concerne des mesures visant à diminuer la nécessité de l’ablation de la queue
  8. RéussirPorc n° 261 septembre, page 8.

Article publié dans le supplément du numéro 99 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

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