Comment engager une transition vers une recherche sans animaux?

Les eurodéputés français Pascal Durand et Younous Omarjee ont organisé un colloque à la représentation permanente du Parlement européen à Paris le 18 octobre dernier. Ce colloque s’intitulait « Comment accompagner la transition vers une recherche scientifique sans expérimentation animale ? » Des chercheurs, des juristes, des professionnels du secteur des méthodes alternatives et des politiques ont livré leurs points de vue.

À l’ouverture du colloque, Younous Omarjee et Pascal Durand ont exprimé leur intérêt pour un sujet complexe qui pose des problèmes d’éthique. Pour M. Omarjee, l’expérimentation sur des animaux est un sujet universel qui doit être traité comme tel, tandis que M. Durand a indiqué le rôle indispensable de l’Union européenne en la matière, comme le prouve l’interdiction de tester les cosmétiques sur animaux et de commercialiser des produits testés sur animaux. Laurence Parisot, vice-présidente de l’institut de sondage Ifop, s’est chargée d’introduire le sujet. Pour elle, il y a deux niveaux pour progressivement mettre un terme à l’utilisation des animaux dans la recherche :

Niveau 1 : améliorer par la loi les conditions des animaux utilisés en sensibilisant les politiques pour qu’ils se saisissent du sujet.

Niveau 2 : faire en sorte que le secteur des méthodes alternatives soit attractif pour tous les acteurs du domaine, y compris les fonds d’investissement.

Elle suggère que les pouvoirs publics se fixent une date limite : dans 20 à 40 ans maximum, il ne devra plus y avoir d’animaux utilisés en expérimentation.

Les méthodes alternatives se développent

La première table ronde s’intitulait « Les freins, les opportunités et les perspectives vus par les scientifiques ». Le Dr Christophe Mas a présenté son entreprise, OncoTheis, qui développe des modèles in vitro pour la recherche sur le cancer. L’entreprise réalise des modèles tissulaires humains, fabriqués à partir de « déchets opératoires », en substitution aux modèles animaux. Il a rappelé que lors des tests de médicaments, il y a un taux d’échec de 95 % au passage de la souris vers l’humain.

Après lui, Jens Schwamborn, professeur en biologie cellulaire et développement à l’université de Luxembourg et spécialiste des maladies neurodégénératives, a expliqué comment fonctionnent les organoïdes cérébraux qu’il développe pour étudier la maladie de Parkinson. L’avantage de ces organoïdes est qu’ils permettent de développer un modèle propre pour chaque individu. Le but est de parvenir à développer des modèles qui seraient aussi complexes que le cerveau humain.

Ensuite, le Dr Emmanuel Roy, président et directeur scientifique de la société Eden Microfluidics, est intervenu pour présenter son entreprise. Elle a pour but de miniaturiser des fluides pour les contrôler. Cela permet d’intégrer toutes les réactions du corps humains sur un organe-sur-puce pour aller plus loin et plus rapidement dans la recherche sans animaux. Enfin, Kévin Fournier, responsable ventes et applications in vitro de la société Poietis, a expliqué que l’entreprise pour laquelle il travaille fait de la bio-impression en 3D et en 4D afin de créer des tissus cellulaires à partir de cellules. Poietis travaille notamment avec des instituts publics, des législateurs, des entreprises de cosmétiques, des entreprises pharmaceutiques, un industriel et deux hôpitaux.

Les principales difficultés exprimées par ces quatre intervenants pour progresser plus rapidement vers une recherche sans animaux sont le financement des méthodes alternatives, qui reste encore très limité et qui demande donc un véritable effort de recherche de fonds pour les scientifiques qui s’y intéressent, le changement d’habitude de la part de nombreux scientifiques qui ne conçoivent pas d’étudier autrement que sur des animaux, et la possibilité d’avoir accès facilement à des cellules humaines.

Les quatre intervenants évoquent tout de même des leviers permettant d’avancer plus rapidement vers une recherche sans animaux : une meilleure communication des chercheurs sur les innovations et les avancées scientifiques au sein de la communauté scientifique (à travers des conférences, congrès, etc.) ainsi qu’auprès des décideurs, et imposer aux industriels, via une réglementation, d’utiliser et de chercher des méthodes alternatives à l’expérimentation animale. Il conviendrait également de réorienter les subventions publiques qui sont plus facilement allouées à la recherche avec animaux.

Le rôle de la réglementation pour engager cette transition

La seconde table ronde traitait des « facteurs de blocage et leviers envisagés sous l’angle de la législation, de la réglementation et de l’éthique ». Philippe Hubert, directeur des risques chroniques chez Ineris et directeur de la Plateforme nationale pour le développement des méthodes alternatives en expérimentation animale (Francopa), a ouvert cette table ronde en expliquant que de nombreuses méthodes alternatives existent mais ne peuvent pas être utilisées systématiquement car elles ne sont pas reconnues sur le plan réglementaire (voir l’article « Existe-t-il une liste des méthodes alternatives à l’expérimentation animale ? » dans la revue n° 99).

Ensuite, Jean-Pierre Marguénaud, professeur agrégé de droit privé à l’université de Limoges, a évoqué la mauvaise foi institutionnelle, selon lui, de la Commission européenne, qui ferait des fausses interprétations de la directive européenne sur la protection des animaux à des fins scientifiques. Le professeur fait référence au rapport examinant la directive publié en novembre 2017 qui ne serait pas à la hauteur car il ne reconnaitrait pas que la directive pourrait être améliorée.

Après lui, Valentin Salamone, étudiant à l’université de Strasbourg, titulaire d’un Master en éthique animale et membre du comité d’éthique régional de Strasbourg, a expliqué le fonctionnement d’un comité d’éthique en expérimentation animale, dont les établissements de recherche doivent obligatoirement disposer et auxquels les projets d’expérimentation doivent être soumis pour avis. Il évoque plusieurs problèmes liés à ces comités d’éthique, tels que le manque de membres compétents en matière de méthodes alternatives, l’absence de représentation des animaux par des ONG de défense des animaux, les problèmes de conflits d’intérêt et de financement (des projets peuvent être soumis à un accord de financement par un établissement avant d’avoir reçu un avis du comité d’éthique, on se doute de l’avis de ce dernier…).

Enfin, Raphaël Larrère, ingénieur agronome et sociologue, directeur de recherche à l’Institut national de recherche agronomique (INRA), a donné un aperçu du rapport de l’INRA sur la conscience des animaux qui vient d’être publié en version française. De la conclusion du rapport, qui indique qu’il n’y a pas de raisons que les animaux n’aient pas une forme et un contenu de conscience (voir article « Qu’est-ce que la conscience ? » dans la revue n° 94), il en tire la conséquence qu’il faut respecter l’intégrité des animaux de laboratoire.

Certains intervenants ont identifié des freins à la progression vers une recherche sans animaux, comme :

  • le coût extrêmement élevé de la validation par l’Union européenne des méthodes alternatives,
  • le fait que trouver une méthode alternative ne se décrète pas, cela arrive souvent par hasard, même s’il serait possible d’imposer aux chercheurs d’en chercher,
  • les problèmes liés au fonctionnement des comités d’éthique, qui devraient en théorie permettre de réduire l’expérimentation animale.

Des leviers ont également été identifiés :

  • définir des objectifs de réduction du nombre d’animaux utilisés par type d’usage (test de produits phytosanitaires, test de médicaments, tests de produits vétérinaires, etc.),
  • inclure des ONG de défense des animaux qualifiées dans les comités d’éthique des établissements de recherche,
  • faire correctement appliquer la règle des 3R. En effet, comme le rappelle Raphaël Larrère, la règle des 3R établit une priorité : il faut d’abord remplacer les animaux, puis si cela est impossible, réduire au minimum le nombre d’animaux utilisés, et améliorer les conditions de détention, d’expérimentation et de mise à mort des animaux.

Conclusion du colloque

Pour conclure, MM. Omarjee et Durand ont à nouveau pris la parole. M. Omarjee a constaté que de nombreux experts réclament de l’action de la part du monde politique. M. Durand a insisté sur le retard de ce dernier par rapport à la société, qui selon lui supporte de moins en moins l’expérimentation sur des animaux. Ils ont tous les deux porté un message d’espoir, invitant à penser que la société tout entière va prendre les responsabilités qui lui incombe en la matière, qu’il s’agisse des entreprises, des scientifiques, des banques d’investissement, de la société civile et des pouvoirs publics, pour qu’un jour, la recherche se passe totalement de l’utilisation des animaux.

Nikita Bachelard 

Article publié dans le numéro 100 de la revue « Droit Animal, Éthique & Sciences »

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