Des lapins mal lotis

La filière cunicole française abat 31,6 millions de lapins par an (2015). Malgré un nombre important d’animaux, les français sont généralement peu informés sur les pratiques d’élevage de la filière, comme le montre une récente étude de l’Ifop pour FranceAgriMer et l’interprofession du lapin. Afin d’éclairer nos lecteurs sur cette filière peu connue, nous contextualiserons le sujet avec des informations économiques et sur la consommation de viande de lapin, puis nous aborderons les conditions d’élevage des lapins en France, avant d’évoquer la législation quasiment inexistante ainsi que les alternatives peu développées.

Quelques données économiques

Comme dans de nombreux secteurs de l’élevage, la France est sur le podium européen de la production de lapin pour la viande, avec 44 000 tonnes équivalent carcasses (tec) (1) de lapins abattus en 2015, derrière l’Espagne (63 000) et devant l’Italie (32 260). La France est autosuffisante et produit plus de viande de lapins qu’elle n’en consomme. Elle exporte 5 693 tec et a un solde excédentaire de 2 727 tec. Selon l’interprofession du lapin (Comité lapin interprofessionnel pour la promotion des produits – CLIPP), la filière française représente environ 8 000 emplois directs et indirects en France. Son chiffre d’affaires annuel est de 600 millions d’euros.

Point sur la consommation de viande de lapin

Les consommateurs sont de moins en moins friands de viande de lapins. Si 8 Français sur 10 déclarent manger du lapin, peu en consomment régulièrement, et la consommation de viande de lapin a baissé de 42 % entre 2000 et 2015. Les raisons invoquées sont d’abord le prix, car la viande de lapin est chère, mais aussi le fait que l’animal est de plus en plus perçu comme un animal de compagnie et non comme un animal d’élevage dont la chair peut être consommée. D’après l’étude de l’Ifop, les conditions d’élevage des lapins ne sont pas spécialement remises en cause par les consommateurs ; et pour cause, 47 % d’entre eux pensent que les lapins sont élevés en extérieur en plein air ou dans des clapiers !

Cette étude de l’Ifop conseille aux professionnels de ne pas trop révéler les conditions d’élevage des lapins  : « Si certaines informations relatives au mode d’élevage sont susceptibles d’intéresser les consommateurs et d’offrir une image positive de la filière cunicole […], la présentation d’images d’élevages professionnels peut s’avérer délicate et contre-productive. Cela tient […] aux impressions négatives suscitées par le confinement des lapins en bâtiment et leur concentration au sein des cages, évoquant la recherche première de productivité ». En effet, au même titre que pour la baisse de la consommation de viande en général, qui peut notamment être imputable aux vidéos récemment diffusées sur les conditions de vie des animaux élevés pour la production de viande, la consommation de viande de lapins risquerait d’être encore davantage négativement impactée. Car il est vrai que la grande majorité des lapins sont élevés en cage, dans des conditions ne respectant pas nombre de leurs besoins biologiques. Alors que les consommateurs sont de plus en plus soucieux du bien-être des animaux, ils risquent de ne pas apprécier les conditions de vie des lapins.

Les conditions d’élevage des lapins et les problèmes de bien-être associés

La plupart des élevages de lapins en France sont « naisseur-engraisseur », c’est-à-dire qu’ils s’occupent à la fois de la reproduction et la naissance des lapins ainsi que de l’engraissement des lapereaux jusqu’à ce qu’ils atteignent le poids désiré pour l’abattage. En moyenne, entre 560 et 580 lapines reproductrices sont hébergées par élevage (2015). Elles sont hébergées en cage individuelle, pour respecter le comportement naturel de la lapine (elle s’isole peu de temps avant la mise-bas), selon le CLIPP. Dans les élevages, les lapines reproductrices sont en effet élevées dans des cages isolées de leurs congénères. Quand leurs petits naissent, elles sont en permanence avec eux pendant 34 jours avant le sevrage. Ce que l’interprofession n’explique pas en revanche, ce sont les comportements naturels des lapines. Les lapins sont des animaux grégaires qui vivent en groupe. Les femelles s’isolent uniquement au moment de la mise-bas. Elles ne peuvent donc pas effectuer de comportements sociaux propres à leur espèce, tels que le toilettage mutuel, le repos avec un contact physique, etc. S’éloigner de leurs lapereaux est également un comportement naturel pour les mères. Elles cachent leurs petits dans des terriers et s’en éloignent, pour n’y retourner qu’une fois par jour pour les allaiter pendant 3 à 4 minutes. Ne pas pouvoir s’éloigner de ses petits crée un stress chez la mère.

Les lapines sont inséminées de manière artificielle tous les 42 jours. Leur gestation dure 31 jours. Elles ont entre 7 et 8 lapins par portée, qu’elles allaitent pendant 34 jours jusqu’au sevrage. Autour de l’âge d’un an, les lapines sont réformées et envoyées à l’abattage. Les raisons principales sont la baisse de productivité et la détérioration de leur état de santé. Pour cause, elles sont contraintes d’allaiter tout en étant gestantes, ce qui leur fait dépenser énormément d’énergie, et les fatigue au fur et à mesure des cycles de gestation.

Au sevrage, les lapereaux sont retirés à leur mère et hébergés dans des cages individuelles, dans lesquelles ils seront engraissés à base de granulés composé de luzerne, céréales, son de blé, tournesol et pulpe de betterave pendant 38 jours. Ainsi, au bout de 72 jours de vie, les lapins engraissés sont abattus à 2,47 kg en moyenne.

Sur leur site internet, le CLIPP met en avant le label « Lapin de France », associé au label « Viande de France », qui sont, selon lui, un gage du « respect […] du bien-être animal ». Et pourtant, 96 % de la production française de lapins provient d’élevage en cage. Les cages ne respectent pas les besoins biologiques des animaux, pour plusieurs raisons : d’abord, ces cages sont hors-sol et grillagées, afin que les excréments s’écoulent directement à travers. Non seulement cela blesse les pattes des animaux, mais en plus cela les empêche de manger leurs excréments, ce qui est un problème pour ces animaux caecotrophes, pour qui certains aliments doivent passer deux fois dans le tube digestif pour être correctement assimilés. Ensuite, les cages sont exiguës et ne permettent pas aux lapins de se lever sur leurs pattes arrières ou de se tenir debout correctement, ou encore de s’allonger de tout leur long, ce qui est pourtant indispensable pour réguler leur température (ils ne transpirent pas). Un lapin en fin de phase d’engraissement utilise environ 97 % de la surface au sol de sa cage en étant assis et aurait besoin de 142 % de cette surface pour s’allonger de tout son long. Ils sont en manque cruel d’exercice, ce qui entraine des problèmes de santé. De plus, les cages ne leur permettent pas de s’éloigner d’un congénère lorsqu’ils le souhaitent, en cas de conflit ou d’agression par exemple.

Les lapins d’élevage sont des gros consommateurs d’antibiotiques. Cela s’explique par leur sensibilité naturelle aux maladies, ainsi que par la pression infectieuse qui est généralement plus forte en bâtiment. De plus, les bâtiments ne sont pas toujours bien adaptés à l’élevage de lapin en termes d’hygiène, ce qui favorise la propagation des maladies. Toutefois, la filière a développé un plan de médication raisonnée depuis 2011, pour notamment améliorer les bâtiments et les pratiques d’hygiène. Entre 2010 et 2015, le niveau d’exposition des lapins aux agents antimicrobiens a baissé de 30 % dans les élevages français.

Le transport, qui dure 4 heures au maximum dans l’Union européenne, est très stressant pour les lapins. Plus le transport dure longtemps, plus le taux de mortalité augmente. Les lapins sont transportés dans des cages sur plusieurs étages. Ils ne sont plus nourris à partir du chargement dans le camion jusqu’à leur abattage qui survient parfois plus de 9 heures plus tard, et peuvent donc souffrir de la faim et de la soif, et de la perte d’énergie.

Avant d’être abattus, les lapins sont généralement étourdis par électronarcose, c’est-à-dire par courant électrique, directement sur la boîte crânienne. Cette étape, en principe indolore si elle est bien réalisée, est cruciale pour que le lapin soit inconscient et donc insensible à la douleur lors de la mise à mort. S’il est mal étourdi ou a repris conscience car l’abattage a été réalisé trop longtemps après l’étourdissement, la saignée lui procure une douleur intense et prolongée.

Une législation trop pauvre

Il n’existe pas de réglementation française ou européenne spécifique à la protection des lapins élevés pour leur viande. La directive 98/58/CE concernant la protection des animaux dans les élevages, transposée dans le droit français par l’arrêté du 30 mars 2000 modifiant l’arrêté du 25 octobre 1982 relatif à l’élevage, la garde et la détention des animaux s’applique, mais rien n’empêche les conditions de vie standard subies par la majorité des lapins en France. Seule une norme AFNOR NF V47.001 implique une densité maximale de 45 kg par mètre carré dans les élevages français (ce qui équivaut à environ 18 lapins de 2,5 kg par m², soit moins que la surface d’une feuille A4 par lapins – et ce ne sont pas des lapins nains  !). La directive européenne n’est pas respectée, puisqu’elle dispose au point 7 de son annexe que « la liberté de mouvement propre à l’animal, compte tenu de son espèce et conformément à l’expérience acquise et aux connaissances scientifiques, ne doit pas être entravée de telle manière que cela lui cause des souffrances ou des dommages inutiles ». Or les cages entravent la liberté de mouvement des lapins et causent des souffrances inutiles.

Les alternatives

Pourtant, des alternatives existent. Le Label Rouge, même s’il n’est pas parfait, prévoit l’hébergement des lapins en groupe de 25, dans des enclos ouverts sans restriction de hauteur, avec un maximum de 10 lapins par mètre carré. Les lapins ont droit à une litière de paille pendant les 15 derniers jours de leur vie. Ils sont également abattus un peu plus tard, à 90 jours. Cependant, cela correspond à un pourcentage extrêmement réduit du nombre de lapins élevés en France à ce jour.

Le label Agriculture Biologique prévoit l’hébergement des animaux en parcs mobiles sur de l’herbe ou en bâtiment avec l’accès à une aire d’exercice. La densité en parc mobile ne peut pas être supérieure à 3 lapins au mètre carré. Les antibiotiques ne peuvent pas être utilisés de manière régulière. Les lapins sont abattus à 100 jours minimum. La difficulté pour les éleveurs réside dans les problèmes de parasitisme et de gestion des aléas climatiques. À ce jour, l’élevage bio reste confidentiel (une vingtaine d’éleveurs répertoriés en 2016).

Mettre fin à l’élevage en cage

Dans l’Union européenne, des pays ont décidé d’interdire l’élevage en cage des lapins : c’est le cas de la Belgique, où les lapins doivent désormais être engraissés dans des parcs. Aux Pays-Bas, 50 % des lapins sont engraissés dans des parcs. S’ils ne sont pas optimaux pour respecter tous les besoins des lapins, les parcs à engraissement leur permettent d’effectuer des comportements (sociaux notamment) qu’ils ne peuvent pas effectuer dans des cages, ce qui améliore leur bien-être.

Une initiative citoyenne européenne a été lancée en septembre 2018 pour demander à l’Union européenne de mettre un terme à l’élevage des animaux en cage, y compris les lapins. Cette pétition, dont La Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences est partenaire, doit recueillir un minimum de 1 million de signatures pour que la Commission européenne se positionne officiellement sur le sujet. Cette pétition officielle pourrait avoir un énorme impact sur le devenir des lapins d’élevage.

Conclusion

L’élevage français de lapins reste majoritairement en cage et donc incompatible avec la majorité des besoins comportementaux de l’espèce. Il y a donc une grande marge de progression pour la filière. Les alternatives qui existent ont sûrement vocation à se développer dans le futur, avec l’aide des consommateurs lors de leur acte d’achat. De plus, l’initiative citoyenne européenne pour mettre fin à l’élevage en cage des animaux est un autre moyen utile pour le consommateur pour faire connaître son opinion sur les conditions de vie des lapins élevés pour la viande.

Nikita Bachelard

1. Unité employée pour pouvoir agréger des données en poids concernant des animaux vivants et des viandes sous toutes leurs présentations : carcasses, morceaux désossés ou non, viandes séchées, etc. (Agreste)

Article publié dans le numéro 100 de la revue « Droit Animal, Éthique & Sciences »

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