Un cas d’école: évolution du statut et de la protection des tortues

Dans les années 1970, les tortues étaient largement exploités, commercés, vendus, ou traités comme des produits de consommation. En 1988, a été créé le tout premier Village des Tortues, en Provence, suivie par d’autres, chargés de recueillir les tortues abandonnées, les soigner, dispenser de l’éducation, former de futurs naturalistes, et faire comprendre au grand public qu’il ne faut pas acquérir ces reptiles, ni les maltraiter, ni les vendre ou les placer en captivité. Soutenue par la LFDA, l’association SOPTOM se bat pour que ces animaux cessent d’être maltraités, exploités, et parfois consommés, et pour qu’ils retrouvent leur dignité ancestrale, et leur statut d’animaux sauvages.

Les premières actions en faveur des tortues

Dès la création de la SOPTOM (Station d’Observation et de Protection des Tortues et de leurs Milieux), en novembre 1986, notre association ne pouvait qu’être en accord avec la LFDA et son intitulé : « La reconnaissance et le respect des droits fondamentaux des animaux ». Une des premières actions de la Ligue, d’ailleurs, dans les années 1970, a été de faire interdire la vente de tortues dans les poissonneries (oui, cela existait encore en 1970 !), en avançant, à la suite d’analyses, qu’elles pouvaient être porteuses de salmonelles ! Mais peu de naturalistes, dans ces années-là, et peu de scientifiques, pour ne pas parler du grand public, se préoccupaient du sort des tortues, en France comme dans le reste du monde. Ces animaux étaient largement exploités, commercés, vendus, ou traités comme des produits de consommation. On vendait encore en France, dans les années 1970-1990, plus de 2 millions de tortues de terre et aquatiques chaque année, pour amuser les enfants ou garnir des terrariums ou des bacs en plastique. La voix de la SOPTOM, s’est immédiatement affirmée : « Les tortues sont des animaux sauvages, et non des animaux domestiques. Elles doivent être protégées dans leur habitat naturel ». Nous avons donc immédiatement combattu la vente des Testudo graeca d’Afrique du Nord dans les animaleries, à la fois pour une raison éthique, mais également pour des raisons biologiques et écologiques. L’importation massive de ces espèces dans des pays plus froids et plus urbanisés était mortelle pour ces espèces, et leur déversement en Europe pouvait menacer les tortues autochtones, comme la Testudo hermanni. Nous avons d’ailleurs constaté plus tard que les tortues d’Afrique du Nord ont transmis deux affections qui ont profondément touché les Chéloniens de notre pays : une Herpesvirose et une Mycoplasmose. Une campagne s’est alors mise en place, largement animée par la LFDA et Jean-Claude Nouët, soutenue par le WWF, la SPA et la SHF*, pour réduire drastiquement ces importations, et faire évoluer la législation afin d’en contenir l’invasion. Plusieurs années furent nécessaires, pour que la vente de ces tortues d’Afrique du Nord cesse, et plusieurs années encore furent indispensables pour ralentir l’impact des deux pathogènes importés.

La création des Villages des Tortues

C’est cet afflux de tortues étrangères qui nous poussa, en mai 1988, à créer un Village des Tortues, en Provence, à Gonfaron, pour à la fois éviter que des animaux exotiques soient relâchés dans la nature, et soigner les espèces locales. Au fil des années, la SOPTOM a créé d’autres Villages des Tortues, à Moltifao en Corse, à Noflaye au Sénégal, et à Mangily à Madagascar. Ces centres peuvent ainsi recueillir les tortues abandonnées, les soigner, dispenser de l’éducation, former de futurs naturalistes, et faire comprendre au grand public qu’il ne faut pas acquérir ces reptiles, ni les maltraiter, ni les vendre ou les placer en captivité. Ces Villages des Tortues sont des outils extrêmement efficaces pour contribuer à réduire les trafics, à éviter des lâchers intempestifs dans la nature, à contenir la maltraitance animale, et faire évoluer les mentalités. Car notre message essentiel, toujours répété, est : « Les tortues sont des animaux sauvages, qui n’ont rien à faire en captivité. Ce ne sont pas des produits de consommation, ni des jouets, ni des animaux domestiques. Il faut les laisser vivre DANS LEUR MILIEU NATUREL ».

La lutte contre les ventes et les importations

Dans les années 1990, un autre problème devint inquiétant : celui de l’invasion des tortues dites « de Floride » (Trachemys, Graptemys, Chrysemys), importées par millions dans toute l’Europe, la plupart du temps comme juvéniles, et devenues des sortes de « jouets pour enfants » ou de « lots de loteries », et finissant dans les égouts, les WC, ou les ruisseaux, lacs et rivières de nos pays. Ces tortues américaines abandonnées en masse dans la nature ont envahi les écosystèmes aquatiques, et ont affecté la flore et la faune locale, dont la Cistude d’Europe Emys orbicularis. Sept années furent nécessaires, et un combat acharné, pour faire évoluer les lois et règlements afin de stopper ce commerce néfaste. La LFDA, une fois encore, fut au premier rang de ces combattants en faveur du respect et du droit animal. Et c’est en montant à Bruxelles, en faisant le siège des bâtiments de l’U.E., que nos associations parvinrent à faire bouger les lignes. En 2006, un règlement européen interdit enfin l’importation de la tortue Trachemys scripta, dans toute l’Europe.

Dans les années suivantes, les animaleries tentèrent de vendre d’autres « produits chéloniens », aquatiques ou terrestres, comme les tortues des steppes Agrionemys horsfieldii, les tortues des Balkans, Testudo boettgeri, les tortues africaines Kinixys, ou des tortues d’eau africaines Pelusios. Mais les mentalités changent. Grâce à la SOPTOM et aux Villages des Tortues, l’image de ces animaux se transforme peu à peu et le grand public comprend que les Chéloniens n’ont rien à faire en captivité. Le plus grand succès sans doute de ces campagnes contre le commerce des tortues d’Afrique du Nord, ou celles « de Floride », a été de redonner un statut « d’animal sauvage » à ces très vieux vertébrés nés il y a 230 millions d’années, à la place de cette image de « tortues de jardin » qu’elles avaient auparavant.

De nos jours, nous constatons encore beaucoup de maltraitance, de commerces, ou d’exactions, envers les tortues, moins en Europe sans doute qu’autrefois, mais partout ailleurs dans le monde. Mais nous remarquons aussi que grâce à nos associations de conservation, et à des structures comme l’UICN, la CITES, la LFDA et le WWF, des lois plus contraignantes ont été mises en place, des Parcs et Réserves ont été créés, et les tortues sont en principe moins exploitées, moins détruites, et moins menacées qu’aux siècles derniers. Nous notons une avancée dans les mentalités des pays occidentaux. En France, par exemple, on ne vend plus de Testudo graeca, et le commerce des tortues « de Floride » s’est effondré. Il en est de même dans tous les pays européens. La Cistude elle-même, tortue aquatique typiquement paléarctique, est également protégée, et elle ne souffre plus de sa rivalité antérieure avec les tortues américaines. De beaux programmes essaient de conserver ses habitats, et même de réaliser des renforcements de populations ou des réintroductions.  Mais ne soyons pas naïfs : le combat doit se poursuivre !

Dans le reste du monde, après la publication d’un ouvrage qui recensait les souffrances et les exactions commises envers ces espèces (La Tortue Martyre, 1998, B. Devaux), de rudes combats ont été menés, souvent initiés par la SOPTOM et le Village des Tortues, pour protéger ces animaux et stopper leur exploitation, comme pour la Ferme St-Leu à La Réunion (transformée aujourd’hui en Musée des Tortues, Kélonia, plus respectueux de ces espèces), sur la Mary River en Australie, par l’abandon d’un barrage qui menaçait plusieurs espèces endémiques, ou sur l’atoll d’Aldabra, pour interrompre un projet stupide de constructions hôtelières. Nous constatons, lors de nos missions à l’étranger, que des pays qui autrefois ignoraient leurs tortues ou les exploitaient, ouvrent aujourd’hui de nombreux centres de sensibilisation et de conservation, lancent des programmes de protection, et surtout informent leurs populations sur un meilleur respect envers ces animaux à carapace. Au Mexique, par exemple, plusieurs tortues endémiques sont bien protégées. Et en Colombie, nous avons même été surpris de constater « qu’il était interdit d’avoir des tortues en captivité, au niveau national ». Ce que la France n’a pas encore été capable d’imposer.

Améliorer la conservation grâce à la connaissance

Si nous avons pu agir efficacement, c’est grâce aux Villages des Tortues que nous avons créés, et aux actions que nous avons pu mener. Car ces Villages des Tortues permettent de transmettre « la bonne parole », pour qu’elles soient partout mieux respectées, et mieux protégées. Ces centres ouverts au public permettent de financer des Congrès Internationaux, des études et recherches spécifiques, et permettent d’éditer de nombreux ouvrages, Encyclopédies et Monographies, et Revues (comme LA TORTUE, qui en est à son 102e numéro), qui sont des vecteurs importants de meilleure connaissance de ces espèces, et donc de leur meilleure conservation. En juin 2017, le centre de Gonfaron a été transféré à Carnoules, dans le Cœur du Var, et permet mieux encore une bonne information du public (les écoles y viennent nombreuses), un meilleur accueil des animaux abandonnés, de meilleurs soins pour les animaux blessés (mise en place d’une clinique vétérinaire où se relaient trois praticiens), un meilleur financement des programmes de conservation et des activités scientifiques, et une meilleur promotion de la sauvegarde de ces espèces autrefois vilipendées.

Il reste encore beaucoup à faire. Nous savons qu’il existera toujours des exploiteurs de faune, des trafiquants, des commerçants avides, et que dans certains pays, surtout en Asie, les tortues sont encore consommées. Mais l’une de nos forces, avec nos Villages des Tortues, est de servir d’exemple, et de prototype, pour la création ailleurs dans le monde de « Rescue Center » identiques aux nôtres, et d’améliorer ainsi, dans beaucoup de pays, la sauvegarde des Chéloniens locaux. C’est ainsi que des naturalistes ont ouvert des sortes de « Villages des Tortues » au Brésil, en Afrique du Sud, en Australie, et même au Vietnam ou au Myanmar, afin de protéger leur faune chélonienne locale. Des structures ou des associations se sont également créées, parfois sous l’égide de l’UICN, afin de poursuivre mondialement ce grand travail d’amélioration du sort des chéloniens, comme British Chelonia Group, Turtle Conservancy, Turtle Survival Alliance, et tant d’autres. Nous nous apercevons également qu’aujourd’hui, les nouvelles générations s’intéressent au monde animal et à l’écologie, et se tournent en grand nombre vers la nouvelle science utilitaire, la « Biologie de la Conservation ». En France comme dans beaucoup de pays, on voit les étudiants se passionner pour la protection animale. Et dans nos Villages des Tortues, nous avons formé en 32 ans plus de 3 500 bénévoles et éco-volontaires, Services Civils et stagiaires scientifiques, à cette nouvelle vision du monde animal. La terrariophilie de nos aïeux, qui consistait à mettre dans des bocaux les serpents ou les tortues trouvés dans la nature, a fait place à une science de terrain soucieuse de la sauvegarde de la biodiversité. Et nous voulons croire que notre association, et l’action coordonnée de tas de structures dynamiques, comme la LFDA, ou la LPO, ou encore l’ASPAS, y sont pour beaucoup.

La LFDA est désormais nommée Fondation Droit Animal, Ethique et Sciences, ce qui résume parfaitement ses objectifs : « faire évoluer les textes règlementaires et de loi en faveur des animaux à l’aide d’arguments scientifiques et éthiques ». Nous adhérons totalement à cette déclaration, et nous espérons toujours nous battre aux cotés de la Ligue afin d’améliorer le sort de nos collègues et amis les animaux, toutes espèces confondues. Nous soutenons par exemple les combats de la ligue contre les corridas, contre la souffrance éhontée dans les abattoirs, contre la chasse naturellement, et contre les vieux zoos concentrationnaires. Ces structures ont évolué, certes. Mais nous préférons qu’un animal mène une vie sauvage, soit considéré comme une partie de la nature sauvage et libre, et que les centres de détention ludiques n’existent plus.

Nous continuerons, dans cet esprit, à susciter des vocations de naturalistes, et à créer d’autres Villages des Tortues, pour que les Chéloniens cessent d’être maltraités, exploités, et parfois consommés, et pour qu’ils retrouvent leur dignité ancestrale, et leur statut d’animaux sauvages.

L’équipe du Village des Tortues

info@villagedestortues.fr / 04 89 29 14 10

* Société Herpétologique de France

Article publié dans le numéro 102 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences

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