L’enjeu de la protection des animaux d’élevage à l’échelon régional

Les élections régionales des 20 et 27 juin 2021 ont enregistré des taux d’abstention record, soit de 66,7% au premier tour et de 65,7% au second. Pourtant, les régions disposent de multiples compétences parfois insoupçonnées et méritant d’être mises en lumière, notamment en matière de protection animale. Ce thème de l’action publique locale a d’ailleurs été mis en valeur lors des campagnes régionales par différentes associations et partis politiques.

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Les compétences des régions en matière de protection animale

Les régions disposent de compétences étendues leur permettant d’améliorer le traitement réservé aux animaux. Au fil des réformes, la région est devenue un échelon toujours plus important de l’organisation décentralisée de l’État. D’abord limitées au développement économique, leurs compétences se sont notamment élargies à l’enseignement, puisque les régions ont la charge des lycées, ainsi qu’à la formation professionnelle. Enfin, les conseillers régionaux se voient confier la gestion d’un instrument crucial de la mise en œuvre de la politique agricole commune (PAC) : les Fonds européens de développement régional (FEDER). Ces fonds peuvent être mobilisés en soutien à la transition agro-écologique et vers un modèle agricole davantage respectueux des animaux d’élevage et de la biodiversité.

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Activer le levier de la commande publique en restauration collective 

La restauration collective publique (les cantines scolaires, hospitalières et dans les maisons de retraite…) constitue un levier important de l’amélioration des modes de production en élevage. À ce propos, la question de la commande publique a récemment fait l’objet de débat chez les parlementaires français dans le cadre des discussions sur la loi Climat. Alors que l’Assemblée nationale avait voté la généralisation des menus végétariens hebdomadaires, le Sénat s’est positionné contre, préférant prolonger leur expérimentation, tels qu’avec la loi EGAlim de 2018.

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L’échelon régional permettrait d’aller au-delà des mesures nationales en faveur de la protection animale en élevage. En effet, les régions sont, elles aussi, en capacité d’orienter la commande publique dans le but de proposer une alimentation durable, saine et respectueuse des animaux. Les régions peuvent ainsi augmenter l’offre de menus végétariens ou/et véganes dans les restaurants à leur charge. De même, elles peuvent exclure les produits issus des méthodes de production les plus cruelles de la commande publique en s’appuyant sur les systèmes de certification (label rouge, label bio).

La politique de subventions agricoles pour le développement rural et économique

Mesures agro-écologiques et soutien à un meilleur traitement des animaux d’élevage

La PAC tire son financement de deux fonds différents : un premier fonds européen, qui finance les mesures dites du « premier pilier », et un fonds cofinancé par l’Union européenne (UE) et les États membres, qui subventionne les mesures dites du « second pilier ». Ce dernier regroupe en son sein des programmes destinés au développement rural et dont la gestion est confiée aux conseils régionaux.

Les mesures du second pilier visent la mise en œuvre d’initiatives allant au-delà de la législation minimale dans le but d’encourager le développement économique des zones rurales. Par voie de règlement, l’UE propose un « menu » de mesures obligatoires ou optionnelles. Chaque État membre définit ensuite ses priorités dans un programme de développement rural. La France a choisi de ne pas inclure la mesure de développement rural « paiements en faveur du bien-être des animaux » (mesure 14) dans son plan national. Par conséquent, les régions n’ont pas la possibilité de proposer des paiements spécifiques pour soutenir les agriculteurs adoptant des normes élevées de bien-être animal.

Cela dit, les régions peuvent contourner les orientations politiques au niveau national pour améliorer le traitement des animaux sur leur territoire. Par exemple, la région Alsace a pu faire usage d’une autre mesure du second pilier, celle concernant les investissements dans les exploitations (mesure 4), pour financer l’élevage en plein air, l’élevage biologique et l’élevage sur paille des cochons.

Mettre fin aux subventions aboutissant à soutenir l’élevage intensif

Les régions peuvent aussi agir au soutien de l’amélioration du sort des animaux en mettant un terme aux investissements renforçant l’industrialisation de l’élevage. Pour ce faire, elles peuvent mener des évaluations prenant en compte le traitement des animaux afin d’orienter les investissements vers les projets les plus vertueux. Une approche globale doit guider ces évaluations. En effet, certaines mesures peuvent être présentées comme favorables aux animaux alors qu’elles créent en réalité un cercle vicieux désincitant les exploitants à changer de modèle d’élevage et menant ainsi à la pérennisation de l’exploitation cruelle des animaux. C’est le cas notamment des investissements visant l’installation de systèmes de ventilation dans les hangars de volaille. Or, si l’air devient moins toxique grâce à ce procédé, ces investissements ont pour effet de conforter les modes d’élevage sans accès au plein air, ni même à l’air libre. Similairement, la méthanisation est présentée comme un moyen de lutter contre le réchauffement climatique, mais il est à craindre que cette technique incite à la concentration des animaux, afin de produire davantage d’énergie, et à un mode de production en claustration, pour récupérer le lisier. Rentabiliser encore davantage les élevages industriels au détriment des exploitations plus respectueuses des animaux et perpétuer le mythe d’un modèle agricole intensif soutenable n’est pas une solution optimale. En prenant davantage en compte les intérêts des animaux, les régions peuvent agir à la source des pollutions, en soutenant des modes de production alternatifs aux « fermes-usines » et à la production massive de denrées d’origine animale.

Développer les filières végétales locales et l’entrepreneuriat alimentaire

Les régions peuvent encourager le développement de filières d’innovation, telles que les filières végétales locales, et l’entrepreneuriat alimentaire (« Food Tech ») à travers des subventions du second pilier cumulées avec les aides aux entreprises de la région. Le marché des protéines végétales pourrait par exemple être encouragé. Une telle politique contribuerait au dynamisme économique des régions, d’autant que, dans son rapport sur le développement des protéines végétales dans l’UE, la Commission européenne affirme que ce marché connaît une « croissance à deux chiffres ».

Les régions assurent, par ailleurs, la gestion du foncier agricole et peuvent flécher les aides à l’installation des agriculteurs, telles que des fonds de la PAC dédiés ou la Dotation jeune agriculteur (DJA), vers des installations plus respectueuses des animaux.

Enfin, les collectivités chargées de la promotion des produits et territoires ruraux peuvent décider de mettre en exergue des produits d’origine végétale, comme les légumineuses, excellentes pour la santé, l’environnement et dont certaines productions bénéficient de signes de qualité en France.

Ainsi, les régions ont à leur disposition différentes compétences pouvant contribuer à une nette amélioration de la condition animale. Cette opportunité doit être saisie, notamment en vue de l’entrée en vigueur de la nouvelle PAC à partir de 2023. L’enjeu est que les candidats identifient ces leviers de changement dans leurs programmes, un défi tant les réglementations agricoles sont complexes. Néanmoins, ils peuvent trouver matière à développer ces aspects de leurs programmes dans les chartes des associations de protection animale, dont les actions militantes se multiplient dans le cadre des élections en France depuis près d’une décennie.

La condition animale, un sujet désormais politisé : focus sur les élections régionales de 2021

Les Français considèrent de plus en plus que l’action publique doit se saisir de la question animale. Ainsi, un sondage Ifop du 25 janvier 2021 pour la Fondation 30 millions d’amis révèle que « plus de deux tiers [des français estiment] que les politiques ne défendent pas suffisamment bien les animaux » et que 68 % d’entre eux « considèrent que le gouvernement ne prend pas suffisamment en compte la protection animale dans sa politique ».

Le milieu associatif a bien identifié le niveau régional comme levier potentiellement puissant de l’intégration de la question animale aux politiques publiques. À titre d’illustration, l’association L214 a invité les candidats à s’engager sur tout ou partie des 25 mesures de la charte « Une région pour les animaux », récoltant ainsi les signatures de 39 candidats tête de liste sur 155 au total. Parmi eux, 18 ont été élus, permettant de ce fait à 11 régions de compter au moins un candidat signataire dans leur conseil régional. Par ailleurs, le site Politique et Animaux de l’association référence les prises de position des personnalités politiques s’agissant de protection animale, permettant par ce biais d’informer les électeurs sensibles à la cause. Les candidats sont en outre notés par l’association, laquelle utilise un algorithme leur attribuant une note sur 20 en fonction de leurs prises de parole et de leurs engagements[vii].

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L’association Paris Animaux Zoopolis a emboîté le pas à L214 en établissant une charte à destination des candidats « pour des régions exemplaires en matière de condition animale ». Le parti politique d’Europe Écologie Les Verts (EELV) n’a pas attendu les suggestions des associations : la Commission condition animale du parti a aussi mis en place 65 propositions pour les animaux dans le cadre des élections régionales et départementales. Quant au Parti Animaliste, il a fait le choix de ne pas former de liste mais de soutenir le programme des partis de gauche plus traditionnels, en témoignent ses alliances formées avec La France Insoumise en Île-de-France et EELV en Nouvelle-Aquitaine et en Provence-Alpes-Côte d’Azur.[viii] Si les associations et le programme d’EELV ont bien identifié les perspectives qu’offrent l’échelon régional, les candidats, individuellement, ne semblent pas faire de la protection des animaux d’élevage un axe fort de leur campagne. Certains candidats soutenus par EELV abordent ce sujet sous le prisme de la restauration collective dans les lycées, élément pertinent de la politique régionale mais qui demeure insuffisant. On ne peut que le regretter, au vu du fort soutien populaire dont bénéficie la cause animale en France. 

Ilyana Aït Ahmed

Étudiante à l’École de Droit de Sciences Po Paris et stagiaire à Animal Law Europe

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