CR: L’apocalypse des insectes

Oliver Milman, préface d’Allain Bougrain-Dubourg, éd. Dunod, 320 pages (19,90 €)

La mégafaune charismatique (éléphants, pandas…) a pour elle de nous émouvoir d’un clignement d’œil mouillé et d’attirer notre intérêt instantanément. Les petites bestioles rampantes ou volantes ont plutôt un effet répulsif, voire terrifiant. Pourtant, leur rôle écologique est indispensable au maintien de la vie sur Terre telle que nous la connaissons.

L’auteur de ce livre remarquable est un journaliste britannique. Spécialiste de l’environnement, Oliver Milman écrit au Guardian. Le titre original de son ouvrage, The Insect Crisis (« la crise insecte ») est un peu plus sobre que sa traduction française. Pourtant, ce qui y est décrit semble parfois plus proche de l’apocalypse, mais pas nécessairement pour les insectes : ils finiront par s’adapter, mais pas forcément les humains. « Nous aurions plus à gagner que les insectes si nous nous préoccupions de leur situation. » (p.97)

Le titre français et la couverture rouge vif peuvent effrayer le lecteur. Et il y a certainement de quoi. Les premiers chapitres nous rappellent les chiffres que l’on entend de plus en plus dans les médias : on observe une brutale et inédite diminution du nombre d’insectes. Abeilles, papillons, coléoptères… Les conducteurs depuis longtemps adultes se rappelleront le rituel du lavage de pare-brise, après un trajet plus ou moins long, pour cause de collisions multiples avec la petite faune volante. Aujourd’hui, on peut traverser la France de part en part sans s’en soucier.

Bon à savoir: Les insectes font partie des arthropodes, ces animaux aux « pattes articulées ». Leur squelette est externe : leurs organes sont protégés par une cuticule composée de chitine. Les insectes ont la particularité de posséder un corps composé de trois parties : la tête, le thorax qui porte trois paires de pattes, et l’abdomen. Ainsi, les araignées, arthropodes à quatre paires de pattes et un céphalothorax fusionné, ne sont pas des insectes !

Les insectes sont pourtant résistants et résilients, et jusqu’alors peu affectés par les crises. « Il ne s’agit pas de la sixième extinction de masse des insectes ; en réalité, cela pourrait devenir leur première » (p. 273). Les causes du déclin actuel sont connues : perte d’habitats, monocultures, pesticides…

Lire aussi: « Insectes : une hécatombe à endiguer », revue n° 101 (avril 2019)

Ce phénomène ne concerne pas toutes les espèces d’insectes, mais un effet en cascade est attendu dès que les premiers piliers des écosystèmes disparaîtront (bourdons et abeilles sauvages notamment). Il n’y a finalement que les « golden retrievers des insectes, ceux qui cohabitent le plus facilement avec nous, comme les cafards et les punaises » (p. 268) qui ont un avenir prospère assuré.

Oliver Milman remet l’espèce humaine à sa place. « La disparition des insectes provoquerait un Armageddon environnemental ; en revanche, si l’humanité toute entière venait à s’éteindre, c’est à peine si les animaux non domestiqués remarqueraient notre absence, écrit-il. Même nos poux trouveraient de meilleurs foyers […]. Comme le rappelle la célèbre citation de Thomas Eisner : ‘les insectes n’hériteront pas de la Terre – ils la possèdent déjà’ » (p. 98).

Ces constats étant faits, l’ouvrage remet en cause certaines préconceptions bien ancrées. L’une concerne pourtant l’un des symboles de la protection des insectes. Les abeilles domestiques sont très importantes pour les cultures humaines. Elles encaissent actuellement des coups très violents (pesticides, maladies…). Certes, mais elles entrent en compétition avec les insectes pollinisateurs sauvages. Elles peuvent quelquefois en précipiter le déclin. L’auteur et les scientifiques interrogés jugent d’ailleurs sévèrement, d’un point de vue écologique, le placement de ruches en ville pour les abeilles domestiques. Gloutonnes, elles empêchent leurs homologues sauvages de contribuer parfois plus efficacement à l’écosystème urbain. En voulant bien faire, nous aggravons sans le savoir la situation.

Qui s’accrochera à cette lecture sera récompensé d’un grand nombre de connaissances nouvelles et d’une meilleure compréhension de la situation des insectes aujourd’hui. De plus, l’auteur est pragmatique. Il suit des principes de réalité et se garde d’utopisme. Un retour à un état antérieur n’est pas possible, mais il nous expose les pistes pour créer de nouveaux écosystèmes sains. Il apparait même un peu optimiste, ce qui est précieux pour conserver force et motivation sur ce sujet.

Brillamment écrit, scientifique mais accessible, cet ouvrage fait du bien en ce qu’il nous éclaire et nous oriente vers ce qui compte vraiment.

Sophie Hild

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