CR: Sociologie de la cause animale, de Carrié, Doré & Michalon (2023)

Fabien Carrié, Antoine Doré, Jérôme Michalon. Éditions La Découverte. Collection « Repères », 2023, 128 pages (11 €)

Depuis quand existe le mouvement pour la protection des animaux ? Quelles formes prend-il ? Comment a-t-il évolué ? Qui sont les militants qui le composent ? Quelles actions utilisent-ils pour faire valoir leur cause ? Ce sont autant de questions auxquelles tentent de répondre les auteurs de cet ouvrage.

Fabien Carrié, maître de conférences spécialiste des relations entre idées et mobilisations, Antoine Doré, sociologue spécialiste des rapports aux vivants, et Jérôme Michalon, sociologue spécialiste des relations humains-animaux, dressent un portrait au poil de la cause animale.

L’émergence du mouvement au XIXe siècle

Le mouvement de la protection animale a vu le jour en Grande-Bretagne avec la naissance de la Royal Society for the Prevention of Cruelty to Animals (RSPCA – Société pour la prévention de la cruauté envers les animaux) en 1824. En France, la Société protectrice des animaux (SPA) est la première organisation de protection animale à voir le jour en 1845. Au début, il ne s’agit pas tant de protéger les animaux pour eux-mêmes que de réprimer les comportements violents exercés à leur encontre – particulièrement les animaux de trait, notamment les chevaux. Heurtées par la violence dont sont victimes ces animaux, les classes bourgeoises veulent éduquer les classes populaires à la bonté envers les animaux. En France, cela se traduit, en 1850, en l’adoption de la loi Grammont, qui réprimande les actes de cruauté envers les animaux exercés en public.

À la fin du XIXe siècle, avec le développement de la physiologie expérimentale impliquant la vivisection, des mouvements antivivisectionnistes voient le jour. La militante Marie Huot (1846-1930) mènera quelques actions violentes, comme l’agression avec une ombrelle d’un scientifique en train de pratiquer la vivisection sur un singe, en 1883. C’est aussi l’époque de l’apparition des refuges pour animaux afin de faire face aux populations de chiens errants.

Le développement de la cause animale au XXe siècle

Au milieu du XXe siècle, le mouvement de la protection animale « se scientifise ». Les militants font appel à l’expertise pour défendre les animaux sujets d’expérimentation dans les laboratoires ou exploités de plus en plus intensivement dans les élevages. En 1964, l’ouvrage Animal Machines de Ruth Harrison décrit et dénonce l’intensification à outrance de l’élevage des animaux en Grande-Bretagne. En France, un ouvrage fera de même en 1982 : Le Grand Massacre, écrit par les fondateurs de la LFDA, Alfred Kastler et Jean-Claude Nouët, ainsi que le journaliste Michel Damien. De plus, la lutte commence à se « sectorialiser » : des organisations s’attaquent par exemple aux conditions d’élevage, d’autres, à la chasse.

Lire aussi: « Le Grand Massacre fête ses 40 ans » (revue n°111)

En 1973, l’universitaire Peter Singer publie Animal Liberation (Libération animale). Il développe le concept de l’antispécisme, antonyme du « spécisme » développé trois ans plus tôt par Richard Ryder. Le spécisme, par analogie au racisme et au sexisme, désigne « les discriminations infligées en fonction de critères d’appartenance à une espèce donnée » (p. 36). L’antispécisme de Peter Singer consiste donc à ne pas discriminer en fonction de l’espèce. Émerge à cette période des organisations antispécistes britanniques, en parallèle du déclin de la RSPCA qui soutient la chasse à courre. Les nouveaux militants se mettent à organiser des manifestations.

Les années 1970 correspondent aussi à l’émergence des « Animal studies », dont l’ambition des académiques militants est de « produire des connaissances sur les relations humains-animaux qui soient utiles à l’amélioration de la condition animale » (p. 42).

Le mouvement à l’époque contemporaine

Depuis les années 1980, la sectorialisation de la cause s’est accrue. Animaux d’élevage, de laboratoire, chassés, de compagnie… Chaque catégorie voit des organisations spécialisées les défendre (par exemple, le Rassemblement des opposants à la chasse, Welfarm pour les animaux d’élevage, Antidote Europe pour l’expérimentation animale, etc.).

Les actions évoluent. Comme en Grande-Bretagne et aux États-Unis, les caméras cachées dans les élevages apparaissent, notamment avec L214. D’autres organisations utilisent aussi des caméras : c’est le cas d’Abolissons la Vénerie Aujourd’hui (AVA), qui traque les chasseurs à courre à l’aide de caméras Go-Pro. Campagnes « choc » avec des militants exposés nus, procédures juridiques systématisées dès qu’un acte de cruauté est rendu public, sondages réguliers… sans oublier l’information des consommateurs, à travers l’étiquetage. Les auteurs rappellent l’action de la LFDA et de l’OABA en faveur de l’étiquetage du mode d’élevage des poules pondeuses, puis l’Étiquette Bien-Être Animal développée avec CIWF France, l’OABA et Casino (p. 97). Bref, la cause innove.

L’évolution des politiques publiques et du droit en faveur des animaux, y compris au niveau européen, montre l’ampleur du mouvement. Les auteurs rappellent aussi la contribution de la LFDA à la reconnaissance de la sensibilité des animaux dans le code civil en 2015 (p. 94). La création du Parti animaliste français est aussi un signe de politisation de la cause.

Lire aussi: « Impacts de la LFDA: Régime juridique de l’animal »

Les militants de la cause animale

L’ouvrage dresse le portrait des militants de la cause animale. D’abord bourgeois, savants, et plutôt masculins, les militantes prennent finalement l’avantage, mais accèdent toutefois moins aux rôles décisionnaires. Les causes de l’attrait des femmes pour la défense des animaux relèvent de diverses hypothèses, telles que le conditionnement de genre dans l’enfance ou l’analogie de l’oppression des animaux avec celle des femmes par le patriarcat. Politiquement, la cause est globalement transpartisane, même si elle tire vers la gauche et connaît des rapprochements avec les milieux écologistes.

Conclusion

Petit, fin, et malgré tout très bien documenté, l’ouvrage de Carrié, Doré et Michalon renseigne sur l’évolution du mouvement pour la défense des animaux. Il passionnera sans nul doute les militants de la cause animale, et plus largement les sympathisants de la cause, qui découvriront comment, depuis plus de deux siècles, des personnes portent la voix des animaux.

Nikita Bachelard

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