Du concept de chiens dangereux à celui de risque de morsure de chien

L’Agence nationale de sécurité sanitaire alimentation, environnement, travail (Anses) émet un rapport et un avis sur les risques de morsure de chien. La race de l’animal n’est pas considérée comme un facteur de risque en soi, prenant le contre-pied de la loi actuelle sur les chiens dangereux datant de 1999.

Le 8 février, l’Agence nationale de sécurité sanitaire alimentation, environnement, travail (Anses) a publié un rapport et un avis, déjà prêts le 30 octobre, à la suite d’une saisine de la Direction générale de l’Alimentation du ministère de l’Agriculture en 2015. Il était notamment demandé à l’Anses une expertise en évaluation de risque au regard de l’appréciation de la dangerosité des chiens et de la pertinence des mesures de catégorisation par race, celles adoptées depuis la loi du 6 janvier 1999.

Il a certes fallu du temps à l’Anses pour produire son avis mais il faut souligner que le travail accompli est considérable et de grande qualité. En 2015, nombre d’éléments n’étaient pas réunis pour répondre de façon aussi complète. Disons-le d’emblée, cet avis remet en cause les mesures adoptées à la fin des années 1990 dans un contexte émotionnel, sinon passionnel, celui de chiens dressés pour attaquer ; de chiens utilisés comme des armes ; et de chiens qui, à l’époque, pour satisfaire à un effet de mode, étaient caractérisés par un morphotype massif et musclé.

Un bref historique

À cette époque, la France, reprenant des dispositions adoptées ailleurs dans le monde, avait considéré, nonobstant la voix, alors inaudible, de quelques éthologues et vétérinaires isolés, que certains chiens étaient par nature dangereux, que le danger était lié à certaines races et à certains morphotypes et qu’il fallait, sinon les éliminer, au moins encadrer et réglementer leur détention et leur utilisation. Des contraintes s’abattirent sur les maîtres de ces pauvres chiens dont beaucoup savaient déjà qu’ils n’étaient pas forcément plus dangereux que d’autres et que le danger se situait sans doute beaucoup plus probablement à l’autre bout de la laisse, c’est-à-dire du côté du maître plutôt que du côté du chien. Mais on sait bien aussi, depuis des milliers d’années maintenant, qu’il est au fond tellement plus facile pour Homo sapiens de s’en prendre à un animal domestique qu’à des voyous et des pervers au sein de sa propre espèce ! La démagogie, aidée par le concert médiatique, avait suffi pour achever de manipuler une opinion déjà bien réceptive. À la décharge des politiques qu’il ne faut pas toujours accabler, les connaissances en éthologie animale, qui ont considérablement progressé entre les années 1990 et aujourd’hui, n’étaient pas non plus fortement assises à l’époque.

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Enfin, à titre très personnel, je ne peux m’empêcher de penser que ce genre de démarches concernant des animaux n’est pas dépourvu de tout lien avec celles qui, au sein de l’espèce humaine, ont longtemps cherché et persistent encore parfois à mettre en avant les différences entre les cultures et morphotypes humains pour en tirer des lois générales tendant à hiérarchiser les hommes afin que certains puissent en dominer d’autres.

L’Anses entre en rupture

Loin de ces débats philosophiques et sociologiques, l’Anses, constatant l’échec des mesures prises pour enrayer le risque de morsure canine, dit en effet en substance que « le maintien de dispositions réglementaires différenciées basées sur une catégorisation par la race ou le type racial des chiens n’est pas scientifiquement fondé ».

C’est, pour les vétérinaires de France, une confirmation de ce qu’ils étaient nombreux à percevoir intuitivement et qu’ils ont tous eu maintenant le temps de constater et de vérifier.

Il faut, cette fois, reprendre le problème sur des bases scientifiques. C’est une belle leçon. Celle selon laquelle les faits sur lesquels on raisonne pour établir des règles sociales doivent être d’abord, autant que faire se peut, scientifiquement établis. Il faut remettre de la science dans le débat politique, notamment quand les données acquises sont là et s’imposent.

C’est ainsi que l’opinion étant passée du concept de chiens susceptibles d’être dangereux à celui, dans les esprits, de chiens purement et simplement dangereux en vertu d’une appartenance raciale ou d’un morphotype, l’Anses remet les pendules à l’heure en parlant, d’une façon spécialement neutre qu’il convient de souligner, du risque de morsure de chien. Il faut en effet s’arrêter un instant sur le titre du rapport : « Risque de morsure de chien ». Le titre est en soi une leçon à méditer. Leçon de science, neutre par essence. Les mots y sont comptés. Le titre est fracassant dans le contexte. Fracas salutaire. Et, bien sûr – il ne pouvait en être autrement – le rapport distingue le danger du risque.

Le contenu du rapport

Le rapport distingue aussi, parmi les facteurs de risque, ceux qui sont des facteurs d’émission de ceux qui sont des facteurs d’exposition. Et il le fait en ayant la prudence de considérer que nombre de ces facteurs sont encore au stade d’hypothèses qu’il va falloir vérifier ou infirmer scientifiquement. L’Anses rejette la cause mono-factorielle, en l’occurrence la race. Elle n’identifie pas moins de vingt facteurs à considérer, répartis entre émission et exposition.

Plus exactement douze hypothèses de facteurs de risque d’émission ont été relevées, tout en observant que, sur les trois dernières (dont la race !), il n’était pas possible de conclure. L’Anses distingue ainsi :

  • le sexe,
  • l’âge,
  • les conditions de développement,
  • le bien-être de l’animal,
  • sa santé mentale,
  • sa santé physique,
  • sa relation à l’humain,
  • ses capacités émotionnelles et cognitives,
  • le type d’éducation reçue,
  • le tempérament,
  • le statut reproducteur,
  • la race.

À côté de cela, huit facteurs susceptibles de constituer des risques d’exposition au risque de morsure ont été relevés :

  • l’âge de la victime,
  • le genre de la victime,
  • les professions,
  • les personnes utilisant les chiens de fonction particulière (garde, défense),
  • les lieux de morsure,
  • le mode de vie du chien,
  • les capacités dans la reconnaissance des signaux,
  • l’émission de signaux inappropriés.

Le rapport s’est longuement intéressé à l’appréciation des conséquences de la morsure pour les humains, examinées sous différents angles. Enfin, avant de conclure et d’émettre des recommandations, les experts ont examiné avec attention et précision, tant à partir d’un examen de la littérature que d’une enquête auprès des vétérinaires évaluateurs français, la question de l’évaluation comportementale, en tant qu’outil de diagnostic et de pronostic.

Les conclusions et recommandations sont très éclairantes. D’abord les experts de l’Anses considèrent que la catégorisation de certaines races et types raciaux ne permet pas d’assurer une diminution des risques de morsure. Ces risques sont poly-factoriels. L’évaluation comportementale est considérée comme un bon outil, notamment pour l’évaluation des chiens mordeurs. Sa méthodologie mérite cependant d’être reprise et uniformisée. La formation des vétérinaires évaluateurs, quasi-généralisée, devra à l’évidence être rendue obligatoire. Des recherches scientifiques seront à conduire dans divers domaines précis tels que l’évaluation et la prédictibilité de l’agressivité, l’évaluation des outils disponibles pour l’évaluation comportementale, l’évaluation du bien-être du chien, l’impact des conditions de développement… Enfin, pour la prévention du risque de morsure, des actions de formation et de diffusion des connaissances doivent être entreprises auprès du grand public et des propriétaires et futurs propriétaires de chiens mais aussi auprès des éleveurs, des professionnels en contact avec les chiens et des acteurs de santé publique.

L’avis est un document de 25 pages ; le rapport, avec ses annexes est un pavé de 200 pages. C’est un beau et solide travail dont les vétérinaires et autres amis des chiens ne pourront que se réjouir.

Les suites qui se dessinent

Sans plus attendre, le député Loïc Dombreval, déjà auteur d’une première proposition de loi allant dans le sens de ce rapport, annonce son intention d’en déposer une nouvelle, tenant compte de cet avis.

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L’Amah (Association contre la maltraitance animale et humaine) a réagi en observant que le rapport, à propos du bien-être du chien ou à propos du mode de vie du chien, ne mettait pas suffisamment l’accent sur la maltraitance animale domestique dans le cadre de violences domestiques comme facteur de risque. On pourrait aussi admettre que cela va sans dire et en tout cas se déduit aisément de l’étude.

On notera entre les lignes que l’avis suggère de procéder par étapes. Il conviendra sans doute cette fois de ne pas surenchérir en matière de mesures adaptées et plutôt d’attendre, avant de prendre certaines, d’avoir obtenu les confirmations scientifiques nécessaires.

En tout cas, il est clair, depuis ce rapport et surtout cet avis de l’Anses, que la France ne peut pas continuer plus longtemps avec un dispositif réglementaire inadapté qui n’est plus aujourd’hui qu’une insulte à la science et à l’intelligence. Elle ne doit pas perdre de vue plus longtemps que les pays qui avaient adopté avant elle ce genre de législation et de réglementation l’ont déjà abandonné depuis un bon moment.

La LFDA, dont la devise est d’aller de la science au droit pour une meilleure relation entre les humains et les animaux, ne peut que se réjouir de l’avancée que constitue cet avis de l’agence.

Michel Baussier

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