Conclusion par Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture (2020)

Conclusion par Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture dans le cadre du colloque « Le bien-être animal et l’avenir de l’élevage » organisé par la LFDA le 22 octobre 2020 au Grand Amphithéâtre de la Sorbonne.

 


© Michel Pourny
Télécharger les actes du colloque au format PDF.

Merci beaucoup Mme Parisot, Monsieur le Président Schweitzer, Monsieur le Député européen, Monsieur le Député Villani, Monsieur le Député Dombreval, Mesdames et Messieurs les membres du comité d’honneur.

D’abord, je voudrais vous remercier pour votre invitation à débattre, à échanger aujourd’hui. Je pense que c’est toujours très important d’avoir ces moments d’échanges et de confronter des points de vue dans la noblesse et la beauté d’un tel endroit, plutôt que de manière interposée sans réussir à véritablement comprendre les arguments des uns et des autres. Je voudrais aussi vous remercier parce que, comme vous l’avez dit, ce sont des moments qui sont parfois trop rares de pouvoir échanger de la sorte de manière collaborative avec l’ensemble des acteurs, l’ensemble des points de vue, l’ensemble des parties prenantes. Et je voudrais vraiment vous remercier parce que vous avez permis à la LFDA de le faire, et je crois que cette journée en est un très beau témoin. Donc un grand merci à vous pour l’organisation et la tenue d’un tel colloque.

Je voudrais également, dans mes propos, vous dire à quel point, au-delà des positions des uns et des autres, le sujet aujourd’hui est important ; la question du bien-être – et d’ailleurs de l’avoir lié à la question de l’avenir de l’élevage – c’est un sujet extrêmement important. C’est un sujet extrêmement important parce que c’est un sujet de société, parce que c’est un sujet de court terme mais surtout de long terme – et les questions de tout à l’heure m’ont été posées avec beaucoup de justesse – et c’est un sujet aujourd’hui qui anime énormément et qui, à mes yeux, mérite justement d’avoir de tels moments d’échanges, avec cette volonté de le faire dans une certaine forme de sérénité comme vous l’avez proposé Mme Parisot. Je voudrais au final vraiment assurer le fait que, que vous soyez éleveurs, que vous soyez producteurs, que vous soyez associations, que vous soyez parlementaires, que vous soyez ministres, il y a d’abord une volonté collégiale d’avancer sur ces sujets. Ce n’est pas parce qu’on n’est pas d’accord sur la façon qu’on a d’avancer qu’il y a une opposition sur le fait que le sujet ne serait pas un sujet d’actualité et un sujet d’importance dans notre société. La façon même que vous avez eue d’intituler ce colloque le montre et je voudrais vraiment commencer en le disant.

Et puis je voudrais partager avec vous un certain nombre de convictions que j’ai, trois précisément. La première conviction c’est qu’on est face à un sujet d’une extrême complexité et – je le dis tel que je pense et ce n’est pas un jugement de valeur, c’est une parole de responsables politiques – il faut faire attention à ce que ce sujet ne soit pas traité uniquement sous le sceau de l’émotion mais avec beaucoup de raison. Je le dis avec un profond respect mais je le dis en tant que responsable politique, parce que la bonne politique n’est jamais une politique de l’émotion. La bonne politique est une politique de la raison et je crois que c’est très important à dire. C’est d’autant plus important quand le sujet est extrêmement complexe, parce que oui, on a un sujet qui est très complexe.

Il est d’abord complexe parce que dès lors qu’on évoque le bien-être animal – et je crois que toutes les tables rondes de la journée l’ont montré –, il y a des sujets qui viennent s’entrechoquer, des visions, des positionnements, que certains qualifieraient de philosophiques, d’autres qualifieraient de scientifiques, d’autres qualifieraient de morales, d’autres de vertueuses ou de pas vertueuses. En tout état de cause, il y a des convictions qui viennent parfois s’opposer les unes aux autres.

Deuxièmement – c’est ce que j’ai essayé de dire tout à l’heure – c’est un débat de société dans lequel – et vraiment j’insiste dessus – la sincérité des uns et des autres est probablement totale, ce qui rend le débat d’autant plus compliqué, et je crois que les échanges l’ont bien montré. Donc certaines personnes disent dans leur plein de sincérité : « moi je considère que tels actes relèvent de la maltraitance ou n’est pas suffisamment du bien-être », et parfois – et ça je pense qu’il faut faire très attention – pointent du doigt celles et ceux mêmes qui, par exemple aujourd’hui, sont éleveurs. Parce que c’est une réalité et que ces mêmes éleveurs qui, dans la même réalité – et je le dis, je l’assène, je le signe – les éleveurs aiment les animaux. Un éleveur qui n’aime pas un animal n’est pas un éleveur. Certains vont dire : « ce n’est pas possible », mais si, les éleveurs, ils aiment leurs animaux. Certains, dans leur pleine légitimité et sincérité, disent : « je ne suis pas d’accord avec ce qu’ils font », l’éleveur lui, dans sa pleine sincérité et de manière légitime, va passer son temps à se défendre en disant : « mais si, mais si, regardez ce que je fais », et il se sent attaqué. Donc on arrive à un débat qui, très souvent, s’électrise, avec les uns disant : « mais vous savez, moi j’aime mes bêtes et je fais ce que je peux », et d’autres disant : « faites plus, faites plus, faites plus ». C’est ça la réalité de la société dans laquelle on est. Et il faut faire très attention quand on a un tel débat de société.

Le troisième volet qui rend la situation très complexe est que – pour reprendre ce que disait Mme Parisot tout à l’heure – nous ne sommes pas face à un sujet de construction, de production industrielle, mais face à un sujet qui emporte la nature. La nature par définition est incroyablement complexe. On a un sujet qui vient confronter des aspects naturels. Ce qui veut dire que lorsque, très concrètement, on parle de bien-être – et vous l’avez dit tout à l’heure M. Marie de la Fondation Brigitte Bardot, le bien-être animal est clairement défini : on a les cinq axes du bien-être animal –, parfois il vient se confronter à d’autres réalités. C’est une réalité mais qui relève de la complexité de la nature. Vous savez, quand vous prenez un organe de contrôle sanitaire, il préfère un élevage qui soit plutôt fermé qu’un élevage qui soit plutôt ouvert. Regardez ce qu’il se passe en ce moment avec la peste porcine africaine. Quelle est la réponse à la peste porcine africaine ? C’est de faire surtout en sorte qu’on n’ait pas un sanglier – alors ce n’est pas en France mais en Allemagne – qui vienne toucher un cochon d’un élevage. Donc là vous êtes à une dualité purement naturelle qui est de se dire : comment concilie-t-on les deux ?

Et puis quatrième complexité supplémentaire, au-delà du sanitaire, c’est la question de l’aménagement du territoire qu’on évoquait tout à l’heure avec la décision individuelle : une poule en cage ou une poule pas en cage versus l’aménagement du territoire avec les 40 millions de poules. Vous l’avez peut-être dit tout à l’heure – si demain vous mettez tous les porcs dehors, il faudra un département, et contrairement à ce qui est dit, la taille d’un élevage de porcs en France est incroyablement plus petite que la taille des élevages de porcs à l’international.  C’est cela qu’il faut prendre en comparaison.

Face à cette complexité, comment faut-il agir ? Je pense que vous connaissez cette phrase du Gal de Gaulle : « Vers l’Orient compliqué, je volais avec des idées simples ». Je pense qu’il faut, avec cette question compliquée, avancer avec des idées un peu simples. Quelles sont les premières idées ? J’ai bien conscience, au vu des questions-réponses, que certains ne les partageront pas de toutes. Je pense que la première chose c’est justement d’éviter l’amalgame entre la maltraitance et le bien-être. Je pense que c’est très important parce que notamment – ce que j’ai indiqué tout à l’heure –, quand vous dites à un éleveur qu’il fait un acte de maltraitance ou quand vous dites à un homme ou une femme qui travaille dans un abattoir – et on a fait le test tout à l’heure, personne ici dans cette salle ne souhaiterait aller lui-même ou elle-même travailler dans un abattoir – que, en plus l’acte qu’il est en train de faire, c’est un acte de maltraitance, alors que cet acte permet de nourrir la population, cela ne marche pas. Et je pense que ce n’est d’ailleurs absolument pas conforme à la réalité. Donc il nous faut séparer la maltraitance et le bien-être.

Je voudrais saluer des travaux notamment faits par mes amis parlementaires, que ce soit M. Dombreval ou M. Villani, sur le sujet des animaux domestiques, très cher à beaucoup d’entre vous. On a encore tant à faire sur la question de la maltraitance, qui doit être condamnée. Sur l’abandon des animaux, beaucoup de travaux ont été faits ces derniers temps ; il faut aller beaucoup plus loin sur la lutte contre l’abandon des animaux et d’ailleurs l’abandon des animaux est un acte de maltraitance reconnu par le code pénal que j’évoquais tout à l’heure.

La deuxième idée qui est très importante c’est que la maltraitance se combat, et le bien-être s’accompagne. C’est la grande différence. Le bien-être s’accompagne : moderniser un élevage, investir dans un abattoir. Cela ne peut en aucun cas résulter uniquement d’une injonction. Cela ne marche pas. Ce qu’il faut vraiment reconnaître – et je comprends que vous l’avez eu dans les débats depuis ce matin – c’est que le bien-être animal c’est au final une question de transition, et qu’une transition a un coût. La réalité est là. Une transition a un coût. Précisément, cette transition qui a un coût on doit l’accompagner. Alors comment fait-on pour l’accompagner ? Il y a la question des rémunérations des éleveurs et de la rémunération des abattoirs. J’évoquais tout à l’heure les abattoirs et j’ai indiqué qu’un abattoir aujourd’hui ne gagne rien. C’est précisément pour cela que Louis Schweitzer en son temps et moi aujourd’hui, nous avons investi et nous sommes en train d’investir massivement dans les abattoirs (parce qu’aujourd’hui, ils n’ont pas la capacité d’investissement). Donc on peut passer notre journée à dire avec une injonction aux abattoirs : « vous devez, vous devez, vous devez, vous devez », si la personne n’a pas la capacité d’investissement parce qu’il n’y a pas la juste répartition de la valeur dans toute la chaîne, cela ne marche pas.

Le deuxième point est que, vous savez, en 2012, il y a eu les premières grandes modifications notamment sur les normes d’éleveurs de volailles. Aujourd’hui, au moment où je vous parle, il reste un milliard d’euros en cours de remboursement à porter par les éleveurs de volailles. Un milliard. 83 % des éleveurs n’ont toujours pas remboursé les emprunts qu’ils avaient contracté en leur temps. Donc, même combat, on peut se dire : « ce n’est pas grave, on va dire aux éleveurs de volailles ‘vous n’avez qu’à faire ça, ça, ça, ça, ça’ », mais avec quelle conséquence ? Qu’ils ferment et que demain, on mange du poulet ukrainien. Je dis ça parce qu’il nous faut réaliser – et je n’ai rien contre l’Ukraine – qu’une transition a un coût et donc on doit adresser ce sujet du coût si jamais on veut évoluer rapidement sur la question du bien-être animal. C’est essentiel et l’État peut compenser ou peut faire le pont lorsque c’est nécessaire mais l’État ne peut pas tout évidemment sur cette question du coût.

Autre idée, je pense que, définitivement, sur ce sujet-là, nous sommes tous des acteurs : évidemment le producteur, parce qu’il y a cette question de la répartition du coût des uns avec les autres pour justement améliorer la rémunération des éleveurs ou de l’abattoir ; évidemment le consommateur, parce que celui qui, à la fin, achète la viande, cela reste quand même le consommateur. C’est celui qui, au moment de l’achat de la viande, se dit : « est-ce que je suis prêt à rémunérer plus pour permettre à cet éleveur d’aller encore plus loin ? » – parce qu’encore une fois je l’assène, je le signe, un éleveur aime ces animaux. L’éleveur est le premier à vouloir plus de bien-être mais il faut qu’il ait les moyens de le faire. Cela n’est pas du tout être dans une position économique qui viendrait opposer le bien-être, c’est juste une réalité : une transition a un coût. Le troisième acteur, ce sont les pouvoirs publics et les responsables politiques qui doivent donner une vision et accompagner.

La deuxième grande conviction que je voulais partager avec vous c’est la question de la transition. Certains diront : « ça ne va pas assez loin » et encore une fois je le respecte ; d’autres diront : « vous nous mettez déjà une grosse pression ». La transition, ce qui est sûr, c’est qu’il y a un mouvement aujourd’hui, et ça je crois qu’il faut le reconnaître aussi pour évaluer d’où nous partons et jusqu’où nous voulons aller. Il y a un mouvement, c’est indéniable, il faut le reconnaître, même pour ceux qui critiquent. Le premier mouvement c’est avec les plans de filières. Vous savez, ces fameux plans de filières auxquels beaucoup d’entre vous ont participé dans le cadre des ateliers des états généraux de l’alimentation. Prenez les poules pondeuses : en 2008, nous étions à 19 % de poules pondeuses en élevages alternatifs, en 2016 33 %, en 2018 42 % et en 2020 53 %. Vous voyez l’écart, la rapidité avec laquelle les choses évoluent. Cela veut dire qu’il faut continuer, mais toujours en ayant conscience des réalités de terrain, confère ce que je vous disais tout à l’heure sur les « recours sur recours sur recours ». Et là, il ne suffit pas de donner une injonction à l’éleveur. L’éleveur quand il se prend des recours et qu’il met trois ans pour essayer d’ouvrir un élevage, il n’y est foncièrement pour rien. C’est une sorte d’injonction paradoxale sociétale, mais cela existe dans notre pays. C’est un charme français, diraient certains.

Donc la question est de savoir comment nous faison pour aller encore plus vite sur ce sujet. Alors il y a des dispositions réglementaires ou législatives qui peuvent être utiles pour accélérer la transition. Je pense notamment à ce que nous sommes en train de faire sur la castration à vif des porcelets qu’on doit arrêter avant fin 2021. On est justement en train d’accompagner toutes les filières sur ce sujet très important. Ceci dit en passant : qui demande la castration à vif des porcelets ? Qui demande de castrer les porcelets ? C’est le consommateur. N’oubliez jamais cela. C’est le consommateur. Parce que le consommateur se dit : « moi, si j’ai un bout de jambon qui ne sent pas bon, je ne le prends pas ». Cela ne sert à rien d’incriminer l’éleveur. Il ne le fait pas parce que cela l’amuse. Un éleveur a d’autres loisirs que de faire cela, je vous le garantis. Il le fait parce qu’à la fin, le consommateur le lui demande. Quand je vous disais tout à l’heure que nous avons tous une responsabilité collégiale, cette responsabilité elle est là, elle est devant nous. Alors ce n’est pas que le consommateur, c’est le producteur entre les deux qui pourrait aussi se dire : « comment fait-on pour améliorer la chose ? ».

C’est aussi la fin annoncée du broyage à vif des poussins mâles. On s’est fixé la même échéance – et je vous le dis parce qu’on en a reparlé encore dernièrement – on a beaucoup avancé au sein du couple franco-allemand en mettant en place un comité en commun sur ce sujet

Il y a la question du transport des animaux. C’est un sujet auquel je sais que vous êtes très attachés. Nous avons a pris un arrêté en juillet 2019, donc il y a un an. Il faut le faire respecter, il faut continuer à faire des contrôles dessus. Il y a deux sujets sur lesquels aujourd’hui, nous devons prendre position. La première question c’est une harmonisation au niveau européen. Parce qu’il y a aujourd’hui un énorme trou dans la raquette sur ce sujet. On en a pris conscience et on en a parlé pas plus tard qu’il y a un mois avec tous les ministres européens pour voir comment harmoniser et notamment, vous savez dans les pays tiers, comment faire des véritables vérifications pour savoir comment cela se passe une fois que le camion est sorti des frontières européennes. Et puis le deuxième sujet, c’est la question maritime, qui je sais là aussi concerne beaucoup d’entre vous. Sur ce volet réglementaire – et là je voudrais aussi le dire clairement –, cela ne pourra pas marcher si on n’arrive pas être beaucoup plus allant sur la question du marché commun, et vous êtes plusieurs à l’avoir soulevée de tout à l’heure.

Aujourd’hui – c’est ce que je vous disais –, 80 % de la volaille hors domicile c’est de la volaille importée en France. Et aujourd’hui, si dans un supermarché on sait déterminer d’où vient la viande, dans la restauration hors domicile, c’est très compliqué voire impossible. Dès lors qu’il s’agit d’un produit transformé, vous n’avez pas l’obligation de le déterminer. Donc moi, je me bats farouchement sur ce sujet. L’objectif que je vous dis et vous me direz si j’ai réussi à le tenir, c’est qu’il y a un décret qu’on doit prendre pour nous permettre d’imposer l’origine des aliments dans la restauration hors domicile, notamment lorsque c’est un aliment transformé, pour savoir qui de la saucisse ou du cordon bleu vient de telle région de France d’Europe ou de l’extérieur de l’Europe, pour informer le consommateur. On a un sujet de discussion avec la Commission européenne et mon objectif est de sortir enfin ce décret au début de l’année prochaine pour pouvoir le mettre en place. C’est pour moi un sujet essentiel parce que le marché commun ne peut pas être d’un côté : « je demande plus et on va accélérer la transition déjà en cours » et de l’autre se dire : « je laisse, sous le facteur d’une concurrence déloyale, imposer et entrer d’autres marchandises ».

Autre élément – j’ai déjà eu l’occasion de le dire mais je le redis –, la France s’oppose au Mercosur. Le poulet brésilien, je pourrais vous raconter des anecdotes dessus mais je m’en passerais parce que tout est filmé. Quoi qu’il en soit, nous nous opposons à l’accord de libre-échange avec le Mercosur.

Autre point, c’est ce que je disais tout à l’heure en réponse à madame sur la politique agricole commune. C’est très technique mais c’est très politique. Toutes les décisions prises au sein de la politique agricole commune ont des énormes incidences en termes de politiques nationales. Donc ce que nous avons décidé dans la nuit de mardi à mercredi, c’est de faire en sorte que sur tous les paiements directs, il y ait maintenant une conditionnalité d’avoir 20 % de ces paiements directs à l’échelle de l’État qui soient soumis à des normes environnementales, et nous y avons inclus le volet bien-être animal. Comme je disais à Mme Parisot, nous devons continuer à discuter dans les prochains mois jusqu’à cet été pour voir comment décliner cela dans notre plan stratégique national. C’est tout nouveau, nous l’avons fait il y a 24 heures. C’est une sacrée avancée parce qu’il s’agit d’une question de la souveraineté des systèmes agroalimentaires français et européens. C’est faire en sorte qu’il y ait véritablement cette convergence qui s’applique au sein de tous les pays.

Et puis dernier point sur cette transition, moi je pense qu’il faut aussi que notre enseignement agricole se l’approprie pleinement. Je ne rentre pas dans le détail mais cette transition dans l’enseignement agricole est évidemment quelque chose de très important.

Ma première conviction c’est donc la complexité. Il faut avancer simple malgré la complexité. Ma deuxième conviction c’est que, face à cela, nous avons une transition, que cette transition est déjà en cours et que la question de savoir comment nous pouvons l’accélérer c’est d’abord régler le sujet du coût du revenu, de régler le sujet de la protection de nos produits (c’est ce que je dis sur l’aspect réglementaire versus l’entrée d’autres produits ne respectant pas ces aspects règlementaires) et de créer cet accompagnement chacun dans sa responsabilité.

Je voudrais terminer sur une dernière conviction qui est, je pense, qu’il est possible au regard de tout ce que je viens de vous dire de continuer à avancer rapidement. Je voudrais partager très rapidement avec vous quelques points là-dessus. Je pense qu’un des premiers sujets est la question du contrôle. La confiance n’exclut pas le contrôle comme dirait l’autre. Le contrôle c’est important parce que précisément, dès lors qu’on contrôle et qu’on sanctionne là où il faut que la sanction tombe, on ne jette pas l’opprobre sur les autres et précisément on arrive à ne pas faire une politique de l’émotion mais une politique de la raison. Donc moi, en tant que ministre de l’Agriculture, je dis : « oui il faut aller faire les contrôles », mais par contre – je le dis très clairement – celui qui est responsable des contrôles, c’est moi, celui qu’il faut critiquer, c’est moi, ce n’est pas l’éleveur. Ce n’est pas en allant chez l’éleveur en pleine nuit qu’on fait un contrôle dans notre pays. C’est moi le responsable des contrôles, enfin mon institution et donc moi personnellement. Et je le dis très clairement, il faut continuer à avancer sur ces contrôles. On en fait 23 000 aujourd’hui, tous contrôles confondus, et on a quand même 1 700 personnes dans les abattoirs. Mais il faut qu’on voie comment continuer à avancer sur ces sujets-là, cela me paraît extrêmement nécessaire.

Le deuxième sujet, qui ne vous étonnera pas, c’est la question de la rémunération. Il faut qu’on aille plus loin sur la rémunération des éleveurs et de l’abattoir si on veut avancer plus rapidement. Alors, ça fait longtemps qu’on cherche comment faire pour augmenter la rémunération ; on travaille beaucoup dessus mais c’est une équation ô combien compliquée. Ce qui est sûr – ne l’oubliez jamais – c’est que plus on augmentera la rémunération et donc les capacités d’investissement, plus vite on améliorera le bien-être animal. Ce n’est pas mercantile que de dire cela, c’est une réalité. Toute personne travaillant dans une entreprise privée ou dans un commerce le sait très bien. Un éleveur c’est le premier encore une fois vouloir faire du bien-être mais s’il n’a pas la capacité d’investissement, l’injonction ne sert à rien dans ce cas-là. Une injonction qui ne peut pas être suivie d’actions ne sert à rien. Sauf qu’on a un problème dans notre pays c’est qu’on a une injonction paradoxale. On n’a d’abord une injonction de la société qui dit : « on veut plus de bien-être, plus de bien être, plus de bien-être ». C’est totalement respectable, mais par contre, l’action des mêmes (je prends la société de manière globale) vis-à -vis de la rémunération et du paiement des produits n’est pas du tout en conformité. Donc aujourd’hui, la rémunération des produits de la viande continue à être en déflation, c’est-à-dire que les prix d’achat continuent à diminuer dans notre pays. Ce qui est d’autant plus compliquée que dans le moment économique qu’on vit, on voit d’ores-et-déjà le panier moyen, c’est-à-dire l’acte d’achat dans les supermarchés, commencer à diminuer et donc ça rend l’équation encore plus difficile dans la période.

Au même moment, on voit aussi quand même beaucoup plus de Français se dire : « je reconnais que l’acte de l’alimentation est quelque chose d’essentiel parce que ça m’apporte d’un point de vue nutritionnel, c’est-à-dire sur ma propre santé ». Je pense qu’il faut le mettre en avant de manière essentielle. L’acte de nourrir est le premier des impacts sur votre santé. Hippocrate disait : « que ton aliment soit ta seule médecine ! ». Aujourd’hui, on voit que beaucoup prennent de plus en plus en compte cela dans l’acte de nutrition. Donc c’est un facteur de création de valeur in fine ou en tout cas de mise en avant de la valeur de nos productions françaises. Parce que, qu’on se le dise clairement, l’impact nutritionnel d’un poulet venant d’Amérique du Sud ou d’un poulet en France, quelle que soit la vision et la conception que chacun d’entre vous peut avoir d’un élevage, ce n’est pas la même, mais le prix n’est pas le même non plus. Donc la question de savoir comment on accompagne cela est essentielle. On travaille beaucoup sur ce sujet-là. On a notamment missionné encore dernièrement Serge Papin qui avait fait tout le travail dans le cadre des états généraux de l’alimentation sur ce sujet de la répartition de valeur pour essayer de trouver des moyens d’aller encore plus loin. Vous l’aurez compris mon souhait est d’aller le plus loin possible à propos de cette rémunération.

Puis le troisième volet, c’est le rôle du consommateur. Sur le rôle du consommateur, je pense qu’il y a effectivement la question de l’information légitime du consommateur. Je connais et je voudrais saluer tout le travail fait par la Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences sur le volet de l’étiquetage. Je pense que – vous avez vu à quel point je dis que c’est une responsabilité collégiale – le rôle du consommateur est important. Le consommateur, si on veut qu’il ait un rôle, il doit être éclairé, définitivement, sinon il ne peut pas assumer ce rôle-là. Donc il y a la question de savoir si on peut mettre en place un étiquetage venant lui dire tel type d’élevage, tel type de production, telle filière, répond à telle caractéristique. Vous aurez compris que je suis un profond défenseur de l’information. Je pense juste qu’il faut qu’on continue à travailler parce qu’il y a certains écueils dans lesquels il ne faut pas tomber. Il y a d’abord un premier écueil qui est que trop d’informations tuent l’information. Je ne sais pas si on est champion du monde du labeling et de l’étiquetage en France, on ne doit pas en être loin je pense, et donc il faut faire en sorte que toutes les initiatives soient bien coordonnées – on en a parlé avec le président Louis Schweitzer – et qu’à la fin ce soit simple et compréhensible. Je crois que c’est très important.

Le deuxième écueil c’est la question de savoir s’il faut que ce soit obligatoire ou pas. C’est un peu la différence entre un label et un étiquetage. Je vais vous dire là aussi de manière très franche ma pensée là-dessus. Je pense qu’il faut faire attention à un point qui est que, dans le marché commun aujourd’hui – ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas le faire évoluer –, si vous importez un poulet venant de je ne sais où, lui il n’a pas d’étiquetage dans beaucoup de points de vente, sauf s’il est transformé. La question de rendre obligatoire cet étiquetage, c’est que vous pourriez vous retrouver avec des productions françaises qui soient étiquetées D ou E, qui restent bien meilleures à une production qui vient d’Amérique du Sud ou autre, sauf que cette même production d’Amérique du Sud ou autre, elle n’a pas d’étiquetage. Ça c’est un très gros sujet, parce que quand vous n’avez pas d’informations, vous vous dites que c’est peut-être moins pire que l’information qui est un E avec un rouge vif. C’est pour ça que moi, sur ces sujets d’étiquetage, je me bats pour une harmonisation d’abord européenne de la chose et ensuite, sur la question du commerce international. Ça veut dire que moi je suis plutôt favorable à minima, dans un premier temps, à ce qu’on continue à travailler sur un volet de label plus que d’étiquetage obligatoire, ou d’étiquetage volontaire plus que d’étiquetage obligatoire. Ça veut dire que tant que je peux avoir sur nos étals, deux blancs de poulet – et malheureusement il n’y a rien qui ressemble plus à un blanc de poulet qu’un autre blanc de poulet – et que j’ai d’un côté une étiquette rouge vif et de l’autre côté pas d’information, alors que celui qui est produit en France reste bien meilleur que celui sur lequel je n’ai pas d’information, je crée en fait un système qui n’est pas un bon système d’information pour le consommateur.

Le troisième écueil c’est que je pense qu’il faut faire attention à un point que j’ai vécu au niveau des ministres européens il y a quelques semaines, qui est que dès lors que vous dites : « on fait un truc obligatoire », il faut faire attention à un point : souvent, on tire vers le bas l’objectif. Le sens de l’histoire est d’avoir quelque chose harmonisé a minima au niveau européen puisqu’on a un marché commun. Mais quand vous faites une harmonisation au niveau européen d’un label, d’un étiquetage plutôt, obligatoire, à ce moment-là, la réaction assez naturelle de beaucoup est de dire : « au lieu d’être au niveau supérieur, on va se mettre au niveau moyen, ce sera une première étape vous verrez », vous connaissez la chanson. Cela représente un vrai sujet parce que je crois qu’au contraire, si on va dans une telle démarche, c’est pour créer de la valeur et dire au consommateur : « regardez, si on fait ça, c’est au contraire parce que c’est très intéressant » et que l’éleveur par son comportement d’avoir investi, il va créer de la valeur. Il faut donc plutôt que ce soit quelque chose qui soit ambitieux dans ce cas-là et volontaire, que quelque chose qui soit très dégradé et contraignant. J’en ai eu une intime conviction.

Enfin, je terminerais juste pour dire qu’il faut avoir en tête que dans notre pays en ce moment se joue un débat qui m’inquiète, qui est une opposition de plus en plus forte entre les urbains et les ruraux, parfois entre les ruraux et les néo-ruraux comme on les appelle, et que souvent, cette question de l’élevage, de l’abattoir, est un des visages de cette opposition qui est de plus en plus forte et qui doit trouver ses sources dans les convictions légitimes des uns et des autres que j’évoquais tout à l’heure. La vision de la gestion de l’élevage d’une poule en plein centre de Paris n’a juste rien à voir avec la gestion et la vision que vous pouvez avoir d’une poule lorsque vous habitez dans les ruralités. La vision de celles et ceux qui vivent autour d’un élevage et qui voient comment ça se passe tous les jours n’est pas la même que celles et ceux qui ont comme information des images d’abattoir sur les réseaux sociaux. Moi j’ai eu l’occasion de travailler dans une porcherie où j’ai fait de l’insémination de truies.  Je ne sais pas si d’autres que moi ont déjà fait une insémination de truie dans la salle ? Ah bah voilà, je ne suis pas seul, merci. Pour savoir si une truie est en chaleur vous appuyez sur son dos. Une truie fait déjà beaucoup de bruit mais alors quand vous lui touchez le dos pour savoir si elle est en chaleur, elle fait énormément de bruit. Et ce n’est pas l’éleveur qui est en cause. L’éleveur il pose sa main, il teste. C’est la nature, c’est comme ça que fait le verrat. Vous êtes quelqu’un qui n’y connaissez rien, vous passez à côté et vous voyez l’éleveur faire ça, vous vous dites : « qu’est-ce qu’il est en train de faire à cette pauvre truie ? ». Vous voyez par cette image que j’ai vécue moi – très personnelle, je vous demande de ne pas la répéter – qu’il y a parfois des décalages de conception qui sont très fort.

Cette opposition qui commence à naître entre les ruraux et les urbains, parfois elle est inquiétante. Quand un éleveur, toute la journée, se voit critiqué alors qu’il veut avancer, que parfois il fait cette transition et va déposer au service de la mairie le dépôt pour faire un élevage de poules en plein air et qu’il se prend des recours, à la fin il ne comprend pas. Et quand l’éleveur, à la fin, il dit : « mais moi je suis prêt à le faire mais par contre la réalité c’est que je gagne 8 à 10 000 euros par an » – parfois plus mais enfin parfois c’est ça –, certains lui disent : « mais il faut investir ». Il serait le premier à le faire, il en rêverait, mais il ne peut pas. J’ai la conviction que chacun d’entre nous, nous devons de comprendre les difficultés des uns et des autres et surtout arrêtons de pointer du doigt les uns et les autres et d’être chacun sur la défensive. Quand je vous dis : « les premiers à vouloir le bien-être animal c’est les éleveurs », certains vont dire : « oui il dit ça parce qu’il est ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, il veut soutenir les éleveurs ». Non, c’est une réalité.

C’est une anecdote ça aussi que je donne souvent. Loïc Dombreval et Cédric Villani ont énormément travaillé sur la maltraitance des animaux domestiques. L’abandon touche 100 000 animaux domestiques. J’ai vu beaucoup de chiens et de chats abandonnés sur les routes, je n’ai jamais vu un cochon abandonné au bord d’une route. Aujourd’hui, cette dynamique-là, il faut la prendre en compte, il faut la respecter. La question finale que vous avez évoquée c’est : quel est l’avenir de l’élevage en France ? L’avenir de l’élevage en France c’est d’abord se nourrir. On peut ne pas accepter cela, mais enfin on est beaucoup à considérer que manger de la viande c’est en fait un principe assez naturel quand vous êtes un Homme. Je le dis avec ma sincérité et je ne demande à personne de me suivre mais je le dis, je l’assène. Par contre, en tant que ministre, je dis aussi qu’aujourd’hui, nous avons des vrais sujets d’apports nutritionnels en fonction d’un certain nombre de nouveaux aliments qui sont mis sur le marché et qu’il faut l’affronter en face car c’est un sujet extrêmement important.

Sur cet avenir de l’élevage, au-delà de cette première priorité qui est de nourrir, il y a une deuxième priorité qui est incroyablement importante qui est que ces éleveurs, ces femmes, ces hommes, cette agriculture, font vivre nos territoires. C’est trop facile de dire : « j’adore montrer à mes enfants des vaches dans un pré » et l’autre partie de la journée, je me dis : « ce n’est pas grave, on peut tout arrêter ». Quelle est une partie de notre identité sur cet élevage ? Un monde qu’on laisse à nos enfants où un steak est un steak de laboratoire fait avec des cellules souches (une cellule souche c’est une cellule vous pouvez lui faire tout ce que vous voulez, y compris un steak) ? C’est ça la société qu’on veut laisser à nos enfants ? Ou au contraire, c’est une société où nous sommes tous responsables, où nous comprenons les contraintes des uns et des autres et puis se disons : « oui c’est aussi une part de notre identité » dans le respect de la sincérité des uns et des autres.

Voilà Mesdames et Messieurs les quelques convictions que je voulais partager avec vous, en m’excusant d’avoir été trop long, mais en vous remerciant infiniment d’avoir permis ces échanges et je souhaite vraiment pouvoir les continuer dans le même état d’esprit avec vous. Nous ne sommes pas d’accord sur tout, mais nous sommes avant tout d’accord sur le fait que c’est un sujet sur lequel il faut avancer, donc voyons comment nous pouvons trouver ces chemins en commun. Un grand merci à toutes et tous.

Lire les autres interventions :

ACTUALITÉS