Table ronde : Assurer le bien-être des animaux est-il rentable ? (2020)

Table ronde dans le cadre du colloque « Le bien-être animal et l’avenir de l’élevage » organisé par la LFDA le 22 octobre 2020 au Grand Amphithéâtre de la Sorbonne. Par Louis Schweitzer, président de la LFDA, en compagnie d’Hervé Guyomard, directeur de recherche à l’Inrae et président du laboratoire d’innovation territorial « Ouest Territoires d’Élevage » (LIT Ouesterel), Séverine Fontaine, directrice qualité filières animales chez Carrefour, et Loïc Hénaff, président du directoire du groupe Hénaff.


© Michel Pourny
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Louis Schweitzer

Le bien-être animal, souhaité par tous, a un coût. La question qui se pose est : est-ce que ce coût est pris en charge par les intermédiaires et par les consommateurs ? Et donc, est-ce qu’il est non seulement éthique mais aussi rentable d’améliorer le bien-être animal ? Pour traiter ce sujet, j’ai autour de moi trois personnalités remarquables avec qui j’ai le privilège d’avoir des relations de travail et de coopération. Hervé Guyomard est directeur de recherche à l’Inrae mais aussi président du laboratoire d’innovation territorial « Ouest Territoires d’Élevage » (LIT Ouesterel) qui rassemble des éleveurs, des ONG, des instituts techniques, et qui a une dimension économique autant que scientifique. Séverine Fontaine est directrice qualité filières animales chez Carrefour et est à l’interface entre les filières de production et les consommateurs, et voit donc si les consommateurs, qui disent qu’ils sont favorables au bien-être animal à 90 %, sont prêts à en assumer concrètement la conséquence, c’est-à-dire à prendre en charge le surcoût qu’implique le progrès du bien-être animal. Enfin, Loïc Hénaff est président du directoire du groupe Hénaff qui est en charge de production, notamment porcine, et qui est remarquable par le fait qu’il a mis en place des objectifs de responsabilité sociétale et environnementale ambitieux, et qui en mesure la réalisation de façon concrète. Loïc Hénaff est aussi un chef d’entreprise et a de ce fait une responsabilité économique et financière.

Hervé Guyomard

La question est importante évidemment, et difficile. Je n’ai pas la prétention de pouvoir y apporter une réponse définitive mais je vais essayer d’y apporter des éléments de réponse.

Le premier point est un rappel d’éléments que vous connaissez toutes et tous. Il y a une préoccupation croissante des citoyens dans les pays développés, dans l’Union européenne, en France, pour le bien-être animal, dans un contexte où, au mieux, il y a stagnation de la consommation individuelle de produits carnés. Par suite, la première question qu’on analyse en tant que chercheur en économie – ce que je suis – c’est de déterminer dans quelle mesure ces préoccupations concourent à la stagnation de la consommation, voire à sa diminution. Ce qui renvoie à des questions sur la compréhension des comportements d’achat – je laisserai Séverine parler mieux que moi de ce point – et de non-achat, et de détermination des consentements à payer des consommateurs pour des produits animaux qui seraient issus d’élevages plus respectueux et plus exigeants en matière de bien-être animal.

Le deuxième point que je souhaitais éclairer est que cette préoccupation est nettement moins présente dans d’autres pays, en particulier dans les pays les moins développés de la planète où la consommation de viande augmente, avec donc une évolution inverse de celle que nous connaissons. Va donc se poser la question pour l’élevage français et des pays développés de façon plus générale de servir simultanément plusieurs marchés de tendances différentes avec des risques de distorsion de concurrence de la part des pays exportateurs qui pourraient être moins-disant en termes de bien-être animal. Ce phénomène rejaillira sur le niveau global de bien-être animal, tous pays confondus.

Le bien-être animal est un bien public global. Il est insuffisamment pris en compte par les seuls marchés. Un bien public, de façon générale, c’est par exemple : si Louis mange un poulet étiqueté A en matière de bien-être animal et donc qui a été élevé, transporté et abattu dans de meilleures conditions de bien-être, moi, qui ne mange pas le même poulet, je serai néanmoins plus satisfait. C’est une externalité positive. C’est une externalité positive globale parce que Séverine également sera plus contente, et quelqu’un en Amérique du sud ou en Asie pourra aussi être plus content. En résumé, le bien-être animal est un bien public et un bien public global, ce qui implique qu’il faut tenir compte de l’intérêt des agents qui ne mangeront pas le poulet mais néanmoins accordent une valeur au bien-être animal. A cette première difficulté, pour un économiste, de détermination de la valeur du bien-être animal s’ajoute une seconde difficulté liée au fait qu’il est très difficile d’établir un lien clair entre la qualité du produit final et les conditions d’élevage et de bien-être, ce qui pose un problème de reflet de ces conditions dans le prix du produit.  Remédier à ces deux problèmes fait qu’il y a légitimité à une intervention des pouvoirs publics qui, aujourd’hui, passe essentiellement par la réglementation. Parce que c’est un bien public global, il y a une légitimité d’intervenir au niveau mondial, au minimum au niveau européen, non seulement pour des raisons économiques (pas de distorsions de concurrence) mais aussi pour des raisons de bien-être, pour ne pas avoir ce qu’on appelle des « fuites de bien-être » par augmentation d’importations de produits animaux en provenance de pays qui appliqueraient des règles de bien-être animal qui seraient plus faibles que les nôtres.

Le troisième point est donc qu’aujourd’hui, les pouvoirs publics, partout dans le monde ou presque, interviennent sous la forme de réglementations, de standards, de normes. La question est alors : est-ce que c’est suffisant et est-ce qu’il faut faire plus, y compris en utilisant d’autres instruments qui seraient plus efficaces ? La difficulté augmente, ceci parce que la science, plus spécifiquement la science économique, ne peut pas définir à elle seule ce qu’est le niveau de bien-être animal que désire la société, même si elle peut y contribuer. Aujourd’hui se développent, dans un nombre croissant de pays, des initiatives privées et publiques sous forme notamment d’étiquettes signalant des niveaux différenciés de bien-être animal. Faut-il aller encore plus loin, par exemple en intervenant via des taxes (pénalisant des pratiques jugées non admissibles) et des subventions (rémunérant des pratiques plus exigeantes) ?

Quatrième point sur lequel je souhaite attirer votre attention : si vous augmentez les conditions de bien-être, vous allez, dans la grande majorité des cas, augmenter les coûts (coûts fixes et/ou coûts variables) dans des proportions différentes selon les exigences en matière de bien-être animal. Aujourd’hui, se développent des initiatives privées qui essaient de valoriser le bien-être en compensant ces surcoûts. Ces initiatives ne posent pas de problème dès lors qu’elles trouvent leur marché. Néanmoins, d’un point de vue d’économie publique, de telles initiatives peuvent poser des problèmes auxquels il faut prendre garde. D’abord, il y a un risque de « régressivité » au sens où vous allez « servir » les consommateurs qui peuvent payer et ainsi, possiblement, défavoriser, voire évincer, les consommateurs les plus pauvres qui ne peuvent pas payer plus chère leur alimentation. Deuxièmement, comment répartir les surcoûts entre les différents maillons des filières ? Enfin, comment ces initiatives privées vont-elles modifier les réglementations publiques avec des conséquences différentes sur les différents acteurs, du producteur au consommateur, selon la vitesse et l’importance des révisions de la réglementation.

Ceci m’amène à mon cinquième et dernier point qui vise à fournir quelques principes à respecter pour traiter de toutes ces difficultés. En premier lieu, i faut intervenir à l’échelle globale, je le répète parce que c’est là un point essentiel. À défaut, si vous ne pouvez pas le faire, il faut appliquer des règles aux frontières identiques pour les pays tiers et y compris dans l’Union européenne vis-à-vis des autres États membres. En deuxième lieu, appliquons le principe « pollueur-payeur » et son corollaire, le principe « fournisseur-bénéficiaire ». En application du principe « pollueur-payeur », ceci requiert de définir, collectivement, un niveau minimal de bien-être animal sous la forme de critères que les acteurs des filières animales devront obligatoirement respecter.   La réglementation revient à appliquer ce principe de façon implicite car elle augmente les coûts de production La taxation explicite ne doit pas être exclue a priori ; son produit sera alors conservé à l’intérieur du secteur agricole pour récompenser les meilleurs élèves et inciter à l’innovation. Par ailleurs, il serait juste d’introduire des solidarités entre les maillons des filières, à l’exemple de ce qu’on appelle aujourd’hui dans l’agriculture les certificats d’économie de produits phytosanitaires. Certes, ce sont des dispositifs complexes – mais les acteurs concourent à ce qu’il en soit ainsi – mais ils obligent à ce que l’amont et l’aval des exploitations agricoles participent à l’effort. En troisième lieu, le principe « fournisseur-bénéficiaire » s’appliquera dès lors que vous faites des efforts au-delà des niveaux minima de la réglementation. C’est ici qu’il est possible de mobiliser la Politique Agricole Commune (PAC) qui peut apporter les ressources financières requises. Dans le cadre de la future PAC 2023-2027, il y aura la possibilité de subventionner des pratiques favorables au bien-être animal. C’est une très bonne chose ; reste à voir si la possibilité sera exploitée par les Etas membres. Dans cette perspective, il serait intéressant de passer à une obligation de résultats et pas seulement de pratiques. Dit autrement et par exemple, c’est bien que les animaux disposent de paille dans les bâtiments, c’est encore mieux si l’amélioration ainsi apportée au bien-être des animaux peut être qualifié et quantifié. Enfin, dernier point, se pose la question de la ligne de partage entre les deux principes. Celle-ci ne peut être qu’un compromis acté par l’ensemble des parties prenantes. C’est dans ce sens que nous travaillons entre les acteurs des deux associations, du LIT Ouesterel d’une part, de l’AEBEA d’autre part.

Séverine Fontaine

Je suis directrice qualité des filières animales chez Carrefour. Merci beaucoup Louis de m’avoir invité à intervenir sur ce sujet ô combien simple… Assurer le bien-être des animaux est-il rentable ? en introduction, un consensus : les citoyens sont de plus en plus sensibles au bien-être animal. Je reproduis ici différents sondages qui ont lieu de façon répétitive.

Ce dont on est certain, c’est que cette notion de bien-être animal monte dans les rangs de critères d’achat de nos concitoyens. C’est un sujet qui est de plus en plus important. Je citerais le succès du référendum pour les animaux : 800 000 signatures, le succès de l’initiative citoyenne européenne pour l’arrêt des cages… D’après un sondage réalisé dans le cadre du LIT, 64 % des consommateurs sont prêts à payer pour des produits labellisés bien-être animal et santé.

Pourquoi, pour une entreprise comme Carrefour, est-il indispensable d’améliorer le bien-être animal ? Le premier point est donc une demande croissante de nos clients. Attention : même si effectivement dans les demandes le bien-être animal monte, le prix reste un élément très important pour une partie des concitoyens et nous ne devons pas éviter ce sujet dans le débat. Les attentes sont également parfois contradictoires vis-à-vis de la production animale. On va avoir plus d’attentes sur une pièce de jambon qui sera donnée par exemple à des enfants que sur une côte de porc. Or, tout, cela vient d’un même cochon. Si on veut optimiser le prix, il va bien falloir travailler l’équilibre-matières et donc expliquer et travailler dans ce sens-là avec nos consommateurs. C’est notre stratégie chez Carrefour. Alexandre Bompard a pour objectif que nous soyons leader de la transition alimentaire pour tous. On est obligés d’intégrer le bien-être animal dans cette transition alimentaire en tant que pacte RSE majeur. Et puis nous devons protéger notre entreprise, donc certains de nos axes visent tout bonnement à protéger l’image de notre entreprise. J’y reviendrai par la suite.

C’est aussi une demande croissante de nos actionnaires. Ce sujet est de plus en plus noté, regardé… On nous demande des comptes. Nous avons publié en octobre le premier reporting bien-être animal. Nous en sommes fiers puisqu’effectivement on va aussi vers plus de transparence. On ne dit pas qu’on est bon partout, on dit qu’on veut s’améliorer, on dit où on en est et les marches qu’il nous reste à atteindre.

C’est en plus une démarche éthique. Dans nos équipes, nous avons des personnes de plus en plus jeunes, motivées sur ce sujet, qui nous demandent en tant qu’entreprise de bouger sur ce sujet. Il y a des hommes et des femmes dans l’entreprise qui ont à cœur de porter ce sujet et qui le pensent indispensable d’un point de vue éthique et sociétal.

Et puis il y a nos groupements d’éleveurs avec qui nous sommes en contact tous les jours et qui avancent sur le sujet, qui sont volontaires pour avancer sur le sujet. Notre rôle est de les accompagner au mieux dans cette transformation.

Je voulais juste exprimer via notre politique de groupe la complexité du sujet. Cela a été dit en introduction. C’est un sujet très complexe qui va de l’antibiorésistance, que nous avons intégrée dans notre politique, on y tenait, aux transports, à l’abattage et la transformation des modes d’élevage. Cette politique est accessible sur notre site internet : réduire le stress, diminuer les mutilations, interdire la douleur. Ce sont des sujets très vastes avec des positionnements actuels des filières très divers. On n’est pas du tout au même point sur une filière poulet ou une filière porc par exemple aujourd’hui. Nous devons donc adapter nos plans de progrès aux différentes filières. Comment s’y prendre ? Nous avons choisi d’aborder le sujet sur trois piliers : la sécurisation, la transformation et la valorisation.

D’abord, sécuriser parce qu’il est aujourd’hui indispensable d’assurer l’absence de maltraitance. C’est notre premier palier. Il y a besoin de beaucoup communication sur ce sujet. Il y a des engagements comme l’arrêt des cages, assurer un abattage digne… Pour rassurer nos consommateurs, nous avons mis en place une convention avec l’œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA) pour organiser des audits spécifiques sur ce point. Il faut travailler à l’absence de douleur et auditer. C’est lié à l’étiquetage, on y viendra après sur la valorisation, qui permet de rassurer, d’expliquer et de nous assurer de la conformité de nos approvisionnements.

Sur la valorisation, notre rôle est de capter les innovations, les offres exemplaires sur le sujet, de dynamiser l’innovation et de les proposer à des marques qui sont aujourd’hui des marques phares tels que Reflets de France ou notre offre bio et notre filière qui est un peu le porte-drapeau du bien-être animal. On offre ensuite à nos clients ces innovations pour capter ceux qui se disent prêts à investir, à payer le prix, et pousser ces offres au maximum pour qu’elles puissent se déployer. Notre porc Reflet de France se développe bien. On n’avait pas assez de volume. Il n’était qu’en supermarché de proximité. Il va entrer dans les hypermarchés. On a lancé avec Loué l’innovation sexage-bien-être animal, c’est une innovation à un prix très accessible pour nos clients. Tout cela, c’est notre rôle à jouer sur cette innovation/transformation. Et puis il y a l’étiquetage : on s’est engagé comme d’autres acteurs à mettre en place l’étiquetage bien-être animal. Pourquoi ? Pour expliquer le sujet complexe entre une qualité de bien-être au transport, à l’abattage, le lien avec les mutilations, etc. Pour un client, c’est impossible de s’y retrouver, nos étiquettes sont beaucoup trop petites. Donc la solution d’avoir une lettre, A-B-C-D-E, qui exprime un consensus sur un niveau de bien-être animal, c’est un outil indispensable.

Le troisième pilier porte sur la transformation. Transformer ce n’est pas faire des niches, c’est transformer nos cœurs de marché. C’est transformer le poulet Carrefour qui est élevé en bâtiment aujourd’hui. Pour cela, on a choisi la voie de la concertation, de la co-construction et de d’abord mettre en place une vision commune pour ensuite écrire les plans de progrès. On parlera de lumière naturelle, de densité, d’enrichissement des milieux… J’ai pris l’exemple du poulet : comme d’autres, on s’est engagé à respecter les points du better chicken commitment en 2026. Ça a été plus facile pour nous de prendre la décision parce qu’on participait depuis un an, un an et demi aux travaux sur les grilles élevage-transport-abattage dans le cadre du LIT et de l’AEBEA. On avait donc maturé sur ce sujet. On avait échangé avec toutes les parties prenantes et on avait l’assurance que si on mettait en place un poulet niveau C, on pourrait le communiquer efficacement aux consommateurs. Ce sera fait au 1er novembre 2020 : nos premiers poulets niveau C seront dans les rayons. On a réussi à le faire d’une façon économiquement viable en discutant avec nos éleveurs, en trouvant les moyens dans le mode d’élevage, dans le mode de transformation, pour compenser certains sujets qu’on a peut-être retiré de nos cahiers des charges, et pour mettre en avant cette transformation.

Pour finir, je vais parler du porc. On est en plein dans les groupes de travail sur un étiquetage bien-être du porc. Ça fait six mois et, sans mentir, je pense que toutes les semaines on a une réunion de travail sur le sujet avec des acteurs très volontaires dans une ambiance et une volonté farouche d’aboutir. Ce sont les ONG, ce sont les acteurs de la production, de la transformation – on parlait du jambon. Ce sont aussi l’Inrae à nos côtés, l’institut du porc (Ifip)…  Pour moi, acteur de la distribution, le bien-être animal est le premier dossier que je vois traité de cette façon. On s’est mis tous autour de la table. On s’est tous dit « c’est fini, on ne peut pas aller chacun de notre côté, on ne peut pas pondre chacun notre joli petit cahier des charges avec une fenêtre qui est comme ça et une fenêtre qui est comme ça ». L’enjeu est tel, le surcoût potentiel est tel qu’on ne peut que travailler ensemble. On ne peut qu’aboutir ensemble à une vision commune, se mettre d’accord sur des cahiers des charges, se mettre d’accord sur des délais réalistes de transformation, et avancer.

Quand on prend le porc, il y a beaucoup d’enjeux. La castration, ça peut être un gain. Arrêter la castration, élever des mâles entiers, ça peut être un gain pour l’éleveur et pour le prix puisqu’on donne moins d’aliments dans ce cas à l’animal. Je ne dis pas que c’est la solution à tout parce que derrière il faut pouvoir être sûr que cela s’adapte à toutes les filières. On a regardé la qualité de la viande. Mais aujourd’hui, on le sait, dans les rayons Carrefour, on a 34 % de porc non castré. Le bien-être animal, dans ce cas-là, peut être un gain. La maternité-liberté, on est arrivé à un consensus sur ce sujet. Toutes les parties prenantes autour de la table, sont d’accord pour dire qu’il faut y aller. Tout éleveur qui aujourd’hui transforme ses bâtiments ne se pose plus la question. C’est le retour qu’on a de l’Ifip, des intervenants. Il faut y aller. La science a suffisamment avancé, la technique a suffisamment avancé pour dire que sur ce sujet, on a trouvé une solution technique viable qui convient à tout le monde. Par contre ce ne sera pas demain matin. C’est-à-dire qu’il faut laisser le temps de la transformation et s’entendre ensemble sur le délai de la transformation. Sur la coupe des queues, notre ambition a tous, notre étoile, c’est bien sûr d’arrêter de couper la queue des porcelets. Pourquoi ? Parce que c’est un très bon indicateur de ses conditions de vie. On sait que pour ça, on devra baisser la densité, enrichir le milieu, peut-être changer le sol, mais on doit aussi regarder la pénibilité pour l’éleveur, l’impact sur l’environnement, l’impact sur la nettoyabilité et l’acceptation des consommateurs. Ce sujet, clairement, va nécessiter plus de temps pour arriver à un consensus. On va devoir affronter ces questions pour ensemble assumer la vision qu’on va écrire et pas dans deux ans dire « non, excusez-moi, on s’est trompé, en fait ce n’est pas ce bâtiment qu’on voulait ». C’est notre responsabilité et je pense qu’on est collectivement prêt à la prendre.

Oui assurer le bien-être animal est rentable. Pour nous, c’est rentable. C’est obligatoire pour notre entreprise de prendre en charge ce point-là et pour répondre aux attentes des consommateurs. On a des vraies forces en France. Aujourd’hui, en France, dans nos rayons, 72 % des œufs sont issus d’élevages plein air. Trente-et-un pourcent des poulets répondent aux critères du better chicken commitment et ce sera 70 % à la fin de l’année. Dans le porc, on a quand même 5,6 % qui sont élevés en bio, en plein air et 8 % en label rouge. On a 55 % des laits qui garantissent le pâturage des vaches. Donc on ne part pas du tout de zéro. On est déjà bien. On a déjà plein de points positifs. Il faut les expliquer. Il faut arriver à les mettre en valeur. Et puis il faut finir la transformation en collaboration, en co-construction, sur une cible sur laquelle on est tous d’accord pour parvenir à mener cette transition de la meilleure des façons en gardant une offre accessible aux consommateurs.

Loïc Hénaff

Permettez-moi tout d’abord de dire que je suis un peu intimidé d’être ici, dans un lieu où nous allons confronter des points de vue et des angles de perspectives. Je voudrais vous parler de la façon dont j’aborde le sujet du bien-être animal, et de façon ultime du prix parce que je pense qu’il faut regarder de façon globale. Je viens de la pointe du Finistère à 600 kilomètres d’ici en Cornouaille près de Menez Dregan. C’est un site archéologique où l’on a découvert l’un des plus vieux feux humains datant d’il y a 475 000 ans, où les pré-néandertaliens chassaient des éléphants, des équidés, des bovidés, des rhinocéros en contrebas. C’est là où je vis aujourd’hui. Le lait, les œufs, le poisson, la viande… sont dans notre culture alimentaire, comme la galette complète œuf-jambon-fromage.

L’entreprise agroalimentaire que je dirige est une petite entreprise de 280 salariés. C’est un petit groupe de PME. C’est une entreprise très ancrée sur son territoire et qui a été créée par mon arrière-grand-père en 1907. Il était cultivateur, il est devenu conserveur. Aujourd’hui et depuis toujours, nous transformons des matières premières du territoire. Cela a commencé par des haricots verts, des petits pois, du poisson, de la viande de porc, des algues et aujourd’hui, nous sommes producteurs de spiruline. Nous fabriquons des plats pour la station spatiale internationale. Nous avons cet honneur. Nous travaillons sur des projets pour l’alimentation dans l’espace pour le compte du Centre national d’études spatiales. Nous faisons ainsi le lien entre les sciences et la conservation. Tout ceci n’exonère pas la réflexion sur comment travailler. La recherche de prospérité de mon arrière-grand-père s’est transformée aujourd’hui en une démarche responsable à impact positif. Je crois fondamentalement que c’est ce que nous, chefs d’entreprises, devrons faire au XXIe siècle. J’ai d’ailleurs fait réaliser une étude en triple impact de notre entreprise : l’impact environnemental, l’impact social et l’impact économique, présentée tout récemment. Notre démarche RSE est structurée en cinq piliers, 14 engagements, 32 objectifs, 72 indicateurs. Sachez que méthodologiquement, nous avons structuré quatre communautés de progrès : une communauté d’éleveurs de porcs ; une communauté naissante de pêcheurs ; une communauté naissante de ramasseur d’algues ; et une communauté existant depuis plus de dix ans de cultivateurs de poivre dans le golfe de Guinée. En porc, nous travaillons avec une quinzaine d’éleveurs indépendants – je pointe ce mot indépendants – dont un petit tiers sont en agriculture biologique et avec qui nous travaillons à élever nos standards. Et évidemment en transparence. Cette transparence, par ma présence ou que nous déclarons par documents, vise aussi à échanger avec nos clients, je pense à Madame de chez Carrefour bien sûr, puisqu’avant de parler des clients des clients, c’est-à-dire les consommateurs, il faut parler des clients que sont les distributeurs.

Concernant le porc, je considère – peut-être est-ce un peu basique – que le bien-être animal tel qu’il est défini par la loi (et j’en viens au prix) est sans surcoût. Évidemment, on peut faire progresser la loi, mais tel qu’il est défini par la loi actuelle, il est sans surcoût. Évidemment, on le sait tous, il y a dans l’élevage parfois des déviants, comme il y en a dans certaines associations. Ces déviants méritent d’être condamnés. Les éleveurs qui ne respectent pas la loi sont aussi condamnables que les adaptes du shaming qui est aussi une pratique déviante. Ce sont des méthodes qui ne font pas humanité. Je salue un colloque comme celui-ci parce que c’est un colloque où on se parle. J’aimerais à titre personnel que l’on travaille plus sur la méthode, que l’on échange sur les méthodes, et pas uniquement sur les objectifs. Améliorer le bien-être et la bientraitance animale, j’y suis évidemment très favorable, et toutes les personnes avec qui je travaille au quotidien y sont favorables. L’éleveur au premier chef. Mais augmenter ce bien-être ou en tout cas le faire progresser augmente très significativement les coûts. En exemple, un bâtiment de modèle bien-être est assez facilement deux fois plus cher par rapport à du standard, pour se donner des ordres de grandeur. Mais par contre, ce qui n’est pas encore évalué c’est la pénibilité. Qu’en est-il de la main d’œuvre ? Qu’en est-il des risques sanitaires ? Et donc des mesures par exemple de biosécurité qu’il faudra prendre ? Ici ou là, je lis qu’il s’agirait de quelques centimes. Ce n’est pas sérieux. Pour donner des ordres de grandeur, et je ne me place pas sous l’angle du bien-être animal, le porc conventionnel c’est de l’ordre d’1,5 € du kilo. Le porc castré en bio, on est à 3,80 €. De nombreux référentiels, même en bio, autorisent la castration. Et pour revenir sur le sujet de la castration, l’arrêt est évidemment aussi un gain économique. Cela a été pointée. Mais derrière, cela génère des conséquences et Mme Fontaine l’a légèrement effleuré : savons-nous gérer le sujet des carcasses malodorantes ? C’est un vrai sujet économique. Personnellement, qui est d’une grande complexité, j’ai la volonté de m’y atteler vers du progrès.

Ce progrès, je souhaite qu’on le regarde comme une approche globale. Je suis perturbé quand on fait la queue pour acheter un nouvel iPhone et quand 50 % de la viande Label rouge est vendue en conventionnel. Cela me perturbe. Les schémas économiques ne fonctionnent pas. Je ne parle pas de CO2 parce qu’on accuse les filières viandes et poissons d’être des émetteurs de CO2 alors que les achats et les usages internet-technologie ont des rejets de CO2 bien supérieurs. C’est le sujet du climat qui me fait peur. Personnellement, je suis un adepte du développement durable tel que défini par la norme ISO 26000. Cette question est centrale et je souhaite personnellement que l’on travaille avec méthode autour de cette question. C’est ainsi qu’on peut aborder le sujet des parties prenantes. C’est ainsi qu’on peut aborder le sujet de l’environnement. C’est ainsi qu’on peut aborder le sujet du bien-être animal. Bien sûr c’est beaucoup plus difficile. C’est beaucoup plus lent. Mais je considère qu’il faut tout attaquer de front, parce qu’en concentrant le tir sur un seul sujet – alors pardonnez-moi le sujet mérite quand même des sous-ensembles et des sujets particuliers, mais en se concentrant en mettre trop d’intensité sur un sujet, on risque de déséquilibrer le reste. Alors sommes-nous prêts à payer pour tout cela ? Je le crois. Mais il faut y aller progressivement et faire humanité ensemble pour résoudre ces problèmes.

Enfin, je voudrais citer Henri Ford qui rappelait qu’une entreprise qui ne pense qu’à gagner de l’argent est condamnée, mais une entreprise qui ne gagne pas d’argent est également condamnée.

Louis Schweitzer

Je ne peux que souscrire à votre dernière remarque. Une entreprise qui ne gagne pas d’argent est condamnée. Alors je voudrais poser à chacun d’entre vous la même question pour une réponse rapide. Nous avons tous évoqué une demande croissante des consommateurs pour des produits de qualité, cette qualité intégrant une dimension bien-être animal. On a aussi souligné qu’il y a une demande premier prix. Les animaux qui alimentent la demande premier prix et ceux qui alimentent la demande de qualité ne sont pas différents dans leur sensibilité. Ma question est donc : comment peut-on, pour le premier prix, rendre compatibles l’objectif que ceux qui sont dans cette filière gagnent leur vie, et donc puissent poursuivre leurs activités, et la satisfaction de cette demande premier prix. Je propose que l’on démarre dans le même ordre.

Hervé Guyomard

En essayant de répondre à la question qui est évidemment pertinente, je mettrais juste un bémol sur la demande croissante de qualités incluant ce qu’a dit Louis sur le bien-être. Nous souhaitons tous une meilleure qualité mais nous ne sommes pas tous prêts à payer le même montant pour cette qualité augmentée, et les attributs de cette dernière. Et c’est là que se situe le problème.

Louis Schweitzer

Ma question porte sur les consommateurs qui ne peuvent pas ou ne veulent pas payer plus que le premier prix qu’ils trouvent dans le magasin considéré.

Hervé Guyomard

Il y a légitimité à subventionner de tels consommateurs pour réduire les inégalités d’accès à l’alimentation de qualité, y compris dans sa dimension bien-être animal. La PAC actuelle soutient les producteurs agricoles, mais intervient très peu au niveau des consommateurs. Tel n’est le cas dans d’autres pays, aux Etats-Unis par exemple, où les actions visent à la fois l’offre et la demande, à chaque fois pour plusieurs milliards de dollars. La politique américaine des coupons vise bien à réduire les inégalités d’accès à l’alimentation. Comme je l’ai dit tout à l’heure, augmenter les exigences minimales en matière de bien-être animal pourra augmenter les coûts de production et par suite les prix à la consommation, avec un risque d’accroissement des inégalités d’accès à l’alimentation. En d’autres termes et en résumé, tout en exploitant les consentements à payer positifs de certains consommateurs pour des produits animaux plus respectueux du bien-être animal, il convient aussi d’aider ceux qui, d’abord pour des raisons budgétaires, ne peuvent pas payer plus chère leur alimentation. Il s’agit là d’une révolution dans la manière de penser la PAC, révolution à la base du Green Deal. Révolution qu’il faut soutenir et mettre en œuvre.

Séverine Fontaine

Plusieurs points et en premier, l’éducation du consommateur. Je pense qu’il a différents moyens de subvenir à ses besoins nutritionnels. Je crois que c’est WWF qui avait fait une étude qui montrait qu’on pouvait, en modifiant la composition du panier, subvenir correctement à ses besoins nutritionnels avec des plus hautes valeurs ajoutées individuelles des produits sans hausse du coût. Je pense donc qu’on a un enjeu majeur sur ce sujet, qui est comment diversifier ? On a parlé de flexitarisme. Il ne faut pas se voiler la face, par ce moyen on pourra répondre à combler les besoins nutritionnels des consommateurs tout en maintenant son panier.

Il faut faire évoluer le standard. Pour les filières, les projets filières, les contrats filières, sont en cours. Elles se sont engagées à faire évoluer et intégrer notamment le bien-être animal dans les plans de filières. Clairement, si l’on s’est tous engagés au better chicken commitment en 2026, ça veut dire sur le papier que le poulet standard sera better chicken commitment, donc l’offre sur le marché standard aura évolué.

Loïc Hénaff

La question n’est pas évidente. Il y a effectivement, ce que disait Mme Fontaine, la modification du panier et de la ration et de ce que l’on consomme. Effectivement, il y a quand même un lien assez direct entre viande de premiers prix et ce que j’appelle la viande cachée, la viande que vous ne souhaitez pas forcément consommer. Je n’ai rien contre le chorizo mais c’est cette petite tranche de chorizo sur une pizza que vous n’avez pas choisie forcément d’acheter, ces trois petits lardons qui se promènent en duel quelque part sur un produit de snacking très urbain. C’est cette viande-là, cette matière-là, forcément de qualité faible qu’il faut remettre en cause. Donc je pense qu’un sujet c’est de consommer en conscience et d’essayer d’éviter cette viande de mauvaise qualité ou c’est la matière de mauvaise qualité qui est probablement d’un premier niveau en termes de bien-être animal.

En fait, ce que je voulais surtout dire, c’était « qu’est-ce que du premier prix » ? Il me semble que le premier prix est défini comme étant un produit sain, légal et marchand, et que toute qualité supérieure à celle légale et marchande n’en fait plus un produit de premier prix. Il faut donc d’abord que ce soit un produit sain. Donc un produit sain, est ce qu’il vaut mieux une viande de qualité première ou une viande de substitution dite ultra transformée ? J’ai ma réponse. Marchand cela veut dire qui répond à un certain nombre d’obligations. Et puis surtout légal. Je crois que c’est le sujet sur lequel votre fondation se focalise beaucoup, de faire évoluer la réglementation puisque le bien-être animal est intégré à la réglementation.

Louis Schweitzer

Reconnaissons que la légalité n’est pas la même dans tous les pays, le contrôle de la légalité n’est pas le même dans tous les pays, et qu’en revanche la circulation est ouverte entre des pays ayant sur ce point des pratiques extraordinairement différentes.

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