Table ronde : Accélérer le progrès par l’information du consommateur (2020)

Table ronde dans le cadre du colloque « Le bien-être animal et l’avenir de l’élevage » organisé par la LFDA le 22 octobre 2020 au Grand Amphithéâtre de la Sorbonne. Par Laurence Parisot, vice-présidente de la LFDA, en compagnie de Louis Schweitzer, président de la LFDA, Matthieu Riché, directeur de la RSE du groupe Casino, et Yves de la Fouchardière, directeur général des Fermiers de Loué.


© Michel Pourny
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Laurence Parisot

Nous allons aborder notre sujet cette fois encore sous un autre angle, qui est celui du consommateur et de l’information dont il a besoin et qu’il peut recevoir. Il y a quelques mois, le magazine Que choisir ? qui est le spécialiste des questions de consommation, titrait à peu de chose près : « l’étiquetage sur la question du bien-être animal gagne du terrain ». Les personnes à l’origine de cet étiquetage sont présentes à cette table ronde avec Louis Schweitzer bien sûr, qui va immédiatement présenter tout ce qui a été fait dans l’association étiquette bien-être animal, mais aussi Matthieu Riché, directeur de la RSE du groupe Casino, et Yves de la Fouchardière, directeur général des Fermiers de Loué.

Louis Schweitzer

Pourquoi nous sommes-nous lancés dans l’étiquette bien-être animal ? Comme il a été présenté par les membres de la table ronde précédente, les normes progressent lentement et rien ne permet d’espérer que les normes progresseront plus vite demain. Une norme purement française est difficilement applicable, une norme européenne implique l’accord des pays et, dans ces pays, il n’y a pas du tout d’unité de vues sur notre sujet. Comme cela a été rappelé, nos agriculteurs, nos éleveurs, sont soumis à une concurrence internationale au-delà de nos frontières où le bien-être animal est totalement ignoré. Les normes législatives et réglementaires progressent donc lentement. L’étiquetage a, lui, trois vertus à mes yeux. D’abord, il informe le consommateur, c’est une évidence, et il permet de parler des consommateurs-citoyens et d’assurer la cohérence entre les consommateurs et les citoyens. En second lieu, il s’adapte à la diversité des situations parce qu’on le sait, il y a des clients qui ont besoin du premier prix, et il y a des clients qui ont une liberté de choix plus grande. Enfin, il donne un signal à long terme aux producteurs et permet de rémunérer ceux qui font mieux que d’autres en matière de bien-être animal.

Quelques mots sur l’histoire de l’étiquette bien-être animal. Comme ce colloque est organisé par la LFDA, il faut se vanter un peu. La LFDA a inventé l’étiquetage du mode d’élevage des animaux. Au début des années 1980, on n’avait pas le droit d’écrire comment un animal avait été élevé. C’est la LFDA qui a obtenu l’autorisation de mentionner le mode d’élevage, puis l’obligation de mentionner le mode d’élevage sur les boites d’œufs. La LFDA a donc été précurseur. Cela dit, cette étiquette sur l’œuf, les consommateurs savent qu’elles existent mais quand on leur demande qu’est-ce que ça veut dire, 58 % se trompent et 42 % comprennent ce que veut dire l’étiquetage. Autrement dit, cet étiquetage n’informait pas bien le consommateur. Cela a eu un effet puisqu’avec le temps, les grandes enseignes ont décidé de ne plus vendre d’œuf de la catégorie la plus négative. Nous avons donc décidé, en partant de cette expérience, d’essayer de faire un étiquetage qui répondait à cette problématique d’information. Les sondages qui figurent sur ce tableau le montrent, il y a une vraie demande des français. 89 % considèrent que le bien-être animal est important, 80 % demandent un étiquetage et enfin 77 % déclarent, je souligne le mot déclarent, qu’ils sont prêts à payer un peu plus pour un produit qui respecte le bien-être animal.

C’est en partant de cela que nous nous sommes rapprochés de quelques partenaires, Casino, l’OABA, CIWF, pour mettre en place un étiquetage bien-être animal. Nous avons posé dès le départ qu’il fallait une validation par des organismes indépendants, c’est-à-dire que les producteurs aussi qualifiés et compétents soient-ils, ne pouvaient pas être juges et parties pour définir l’étiquetage. Deuxièmement, il fallait non seulement étiqueter mais aussi faire respecter l’étiquetage, c’est-à-dire avoir un contrôle externe indépendant régulier, parce qu’autrement, un étiquetage risque d’induire en erreur ou d’induire des abus.

Nous nous sommes donc lancés en mai 2017 et nous avons travaillé pendant 18 mois pour construire un étiquetage et un visuel avec quatre niveaux au départ, puis 5 niveaux. Nous sommes passés à A le meilleur à D ou E le plus mauvais, en s’attachant à la lisibilité. Autrement dit, c’est un travail où les commerçants étaient indispensables, où il fallait s’assurer que les clients comprennent, et s’assurer que ce soit écrit à un endroit que le client voit : juste au-dessus du prix.

En décembre, sur un petit nombre de produits, on a mis dans les rayons de Casino une étiquette. La bonne nouvelle, c’est que ça a eu un retentissement médiatique qui a surpris les auteurs même de cet étiquetage, en bien, et cela a suscité un élargissement de l’intérêt pour cette étiquette. Par la suite, Loué nous a rejoint, d’autres nous ont rejoints comme Welfarm et nous avons créé une association pour l’étiquetage bien-être animal. Puis nous nous sommes rapprochés du LIT Ouesterel, l’association qui regroupe des producteurs, pour élargir notre base. Nous avons défini un référentiel commun exigeant, qui a débouché sur 230 critères portant sur la naissance, la vie, le transport et la mort des poulets. Ce qui est important de souligner, c’est qu’aucun aspect de la vie du poulet n’est ignoré, c’est le premier point. Le second point, c’est qu’il y a des critères obligatoires et des critères qu’il faut réserver pour atteindre un certain niveau. Il y a des critères de moyens, par exemple est-ce qu’il y a de l’éclairage naturel ? Puis des critères de résultats : est-ce que les poulets présentent des blessures ? Est-ce qu’ils fuient quand il voit un homme ? Des critères qui, au meilleur de notre connaissance, permettent d’avoir une vue exacte du bien-être animal. Ceci aboutit à différents niveaux : trois niveaux dits de bien-être animal, A, B, C avec un niveau D qui est : « a décidé de faire des progrès » et un niveau E qui est le niveau minimal. La bonne nouvelle, c’est qu’à cette démarche se sont joints de nouveaux partenaires. Au début nous étions quatre, maintenant nous sommes beaucoup plus nombreux. On peut compter toutes les organisations réformistes ou welfaristes c’est-à-dire LFDA, OABA, CIWF, Welfarm, la grande majorité de la grande distribution et un certain nombre de producteurs ou de transformateurs. J’ajoute enfin que d’autres candidatures sont en cours d’examen. C’est, je crois, une histoire réussie.

Maintenant nous travaillons sur le porc, comme on l’a compris ce matin. Le porc, c’est plus difficile que le poulet parce que les investissements sont plus lourds. Il n’y a pas la même pratique de différenciation de prix dans les achats de porcs que dans les achats de poulets. Cela veut donc dire que nous avons devant nous beaucoup de travail.  Cela reste un espoir d’étiqueter le porc et d’autres produits, je pense au lapin, je pense à d’autres gallinacés, je pense un jour sans doute aux bovins.

Laurence Parisot

Merci c’est tout à fait remarquable, utile et encourageant. Matthieu Riché, puisque vous avez été un des moteurs de ce projet, est-ce que vous pouvez nous dire à la fois ce qui a motivé votre démarche, celle de Casino ? Et les bienfaits, les bénéfices, que vous en retirez pour la marque Casino ?

Matthieu Riché

Monsieur Schweitzer, Madame Parisot, Mesdames et Messieurs. Le projet a été très bien résumé. Les raisons pour lesquelles nous nous sommes engagés sont d’abord liées à une rencontre et un défi qui a été lancé par Louis Schweitzer, votre Président : créer un étiquetage sur le bien-être animal qui permet de prendre en compte l’ensemble des étapes de la vie de l’animal. Notre Président a souhaité que nous répondions à ce défi et ce, pour plusieurs raisons. La première, c’est que nous avions pris des engagements sur la marque Monoprix, qui est une filiale du groupe Casino, pour arrêter de commercialiser des œufs élevés en cages sur notre marque propre. Un engagement que nous avons étendu très rapidement aux marques nationales et que nous avons ensuite étendu à toutes nos enseignes en France. Aujourd’hui, vous ne trouvez plus d’œufs de poules élevées en cages dans nos magasins. On a observé sur cette période entre 2013, date où l’on prend le premier engagement, et 2020 un intérêt de plus en plus fort de nos clients pour les questions de bien-être animal, ce qui n’était pas forcément le cas au début des années 2000 dans la société française. La deuxième raison, c’est que nous avons travaillé pendant dix ans à la mise en place d’un affichage de l’impact environnemental des produits, à la suite du Grenelle de l’environnement. Nous avons travaillé avec nos équipes pour essayer de mettre en place ce qui a été d’abord un indice carbone, puis un indice environnemental et un affichage environnemental. Nous avions donc déjà traversé les différentes étapes de la mise en place d’un étiquetage complexe sur la partie environnementale. Ce que nous observons, c’est que dix ans après, nous n’avons pas réussi à aboutir collectivement sur l’affichage environnemental. Vous savez que cet étiquetage fait partie des recommandations de la convention citoyenne : la mise en place d’un score carbone. On espère qu’on arrivera collectivement à le mettre en place. Nous avons donc souhaité répondre à ce défi qui nous avait été lancé pour ces toutes raisons, considérant qu’on avait suffisamment de maturité, d’expertise interne et avec l’appui des ONG, la capacité à le relever.

Il nous aura fallu deux ans, collectivement, pour mettre en place à la fois les critères, mais aussi définir la méthodologie de contrôle et la manière de restituer l’information aux consommateurs. C’est un point qui a été évoqué ce matin. La coopération est l’une des clés du succès de ce projet. C’est aussi le temps que nous avons eu, nous n’avions pas fixé de contrainte, nous avons pu discuter, on a eu du temps pour échanger. Cela n’a pas toujours été simple, on a eu des temps parfois un peu houleux entre nous pour définir les critères. Les critères étaient proposés et discutés avec les ONG, mais nous prenions aussi l’avis de nos fournisseurs, notamment pour s’assurer de la capacité à mettre en œuvre les critères et à les contrôler. Nous y avons donc passé un certain temps. Nous croyons à deux tendances très profondes dans la société actuelle.

La première, c’est la demande de transparence et d’information, c’est quelque chose de très banal aujourd’hui de le dire, mais sur les dix dernières années, on observe une demande de nos clients d’avoir plus d’informations sur l’alimentation, sur les produits qu’ils consomment, d’avoir plus de transparence. Nous l’observons notamment sur l’aspect nutritionnel, et on a bien vu avec le nutriscore qu’une fois qu’un système clair, fiable, c’est-à-dire qui a la confiance du consommateur, est mis en place, on peut orienter l’acte d’achat des consommateurs. C’est exactement ce qui se passe aujourd’hui sur le nutriscore. On l’avait vu d’ailleurs auparavant sur l’étiquetage énergétique : on voit bien que le système de lettres « A, B, C, D » qui existe depuis longtemps sur l’énergie fonctionne. Je pense que quand vous achetez un frigidaire aujourd’hui, vous allez regarder l’impact énergétique du frigidaire. On voit que nos clients sont habitués à ces systèmes de lettres qui leur permettent d’orienter leurs actes d’achat. Nous sommes convaincus que cette attente, elle s’exprime sur l’environnement avec on l’espère un jour le score carbone. Aujourd’hui, la société est suffisamment mature et intéressée par les enjeux du bien-être animal pour demander cette information, pour pouvoir faire un acte d’achat en conscience et prendre ce critère en compte, si le client le souhaite, dans leur son acte d’achat. Là encore, ce que nous avons voulu faire c’est bien un étiquetage, c’est-à-dire d’étiqueter tous les produits avec des niveaux par rapport à une situation donnée, qui permet à nos clients de se dire : « moi, si je veux une information sur le bien-être animal, je peux l’avoir et je peux décider d’acheter un produit qui est étiqueté A, B, C, D ou E. » Évidemment on laisse le choix ensuite au client de faire ses achats en fonction de ses préférences, si c’est le bien-être animal, si c’est la nutrition, si c’est l’environnement, et on peut penser que dans quelques années, évidemment, il voudra avoir accès à l’ensemble de ces informations pour faire son choix.

La deuxième évolution majeure, c’est évidemment le digital, le fait de pouvoir mettre à disposition cette information sur les produits mais aussi sur les applications qui sont très largement utilisées par nos clients, permettant de faciliter l’acte d’achat. Comme cela a été évoqué ce matin, la tendance de nos clients consiste à scanner le produit en magasin et à accéder à des informations variées qui doivent être crédibles. Tout l’intérêt de la démarche, c’est d’avoir travaillé avec des ONG, car cette information doit être crédible pour être utilisée par nos clients. Aujourd’hui, quand vous utilisez open food fact, vous pouvez avoir accès par exemple à l’information sur le nutriscore, aux additifs, éventuellement au niveau de transformation des produits et on espère demain, au niveau de bien-être animal. Ceci permettra à nos clients de faire les choix qu’ils souhaitent. Ce qui était essentiel pour nous, et je finirai par cela, c’était de travailler sur un projet qui ne soit pas un projet « Casino ». C’est à dire qu’il ne soit pas un label, ou un outil, une étiquette Casino mais bien un système d’étiquetage qui a pour but de s’étendre nationalement, peut-être un jour au niveau européen, et soit largement utilisé par tous les acteurs.

Je tiens à saluer à la fois toutes les associations qui ont travaillé sur ce projet, mais aussi ceux qui l’on rejoint parce qu’on sait que ce n’est pas simple, quand on n’est pas au départ d’un projet, de le rejoindre. Nous avons eu nos fournisseurs, les Fermiers de Loué, qui sont venus très spontanément s’engager dans cette démarche, et ensuite d’autres enseignes avec lesquelles nous travaillons aujourd’hui, Carrefour qui en a parlé ce matin, mais aussi Système U qui sont venus rejoindre cette dynamique collective. Je crois que nous partageons la même vision qui est de dire : nous devons offrir un seul système en France d’étiquetage sur le bien-être animal pour ne pas créer de confusion auprès de nos clients. S’il existe plusieurs systèmes, on sait que c’est confusant et que l’on va créer de la méfiance, alors que l’on a besoin de créer de la confiance. Tout est une question de confiance, au final. Si nos clients ont confiance dans l’étiquetage, dans l’information qu’on leur donne, ils orienteront leur choix vers des produits plus vertueux, plus responsables sur les questions du bien-être animal. Nous le voyons aujourd’hui sur le nutriscore, il y a une évolution de l’acte d’achat de nos clients vers davantage de produits notés A et B. On sait donc que ces systèmes d’information permettent d’orienter l’acte d’achat dans le bon sens. Nous espérons qu’on pourra continuer à développer cet étiquetage dans davantage d’enseignes et de produits dans les prochains mois.

Laurence Parisot

Merci Matthieu, vous avez parlé de la confiance et on y reviendra peut-être tout à l’heure. Je vais donner la parole à Yves de la Fouchardière, parce que c’est peut-être à votre égard que nous pouvons être le plus admiratif finalement, d’avoir osé vous engager dans une telle démarche.

Yves de la Fouchardière

Il ne faut pas être admiratif parce que j’ai des producteurs absolument géniaux, puisqu’ils avaient déjà pris des initiatives il y a soixante ans, en maintenant l’élevage de leurs volailles à l’extérieur. Là où tout le monde intensifiait les productions, nous sommes restés sur des modèles très extensifs. Nous étions à la création du label rouge et les tous premiers à produire des poulets bio. Cependant, il manquait quelque chose. La société évolue. Il y a des questions qui se posent. Nous avions un sentiment d’avoir répondu à toutes les questions parce que nous avions un label, parce que nous avions une bonne traçabilité, parce que nous avions un bon mode d’élevage, mais il manquait quelque chose : un étiquetage Bien Être Animal. Là où je m’en veux terriblement, c’est de ne pas y avoir pensé moi-même. Quand j’ai découvert, lors d’un colloque, ce projet, je me suis dit : « mais ce n’est pas possible ils ont fait ça et je ne m’en suis pas rendu compte, je n’étais même pas au courant » et c’est pour ça qu’on a accroché très vite à cette idée. Quan on parle d’élevages de poulets, Il faut savoir que 95 % des poulets dans le monde sont élevés en claustration. C’est un milliard de poulets toutes les semaines. Ils sont élevés en claustration entre 18 et 22 poulets au m². Si on retient 18 poulets au m², dans cette salle qui fait 2 600 m², on aurait 47 000 poulets. Alors oui, ça fait un peu de monde quand même ! Nous, avec nos volailles label sur parcours, en liberté, il y a dans la journée 657 poulets sur la même surface ! Nous ne sommes pas du tout sur le même mode d’élevage !

Les poulets Label Rouge en France représentent 17 % de la production de volailles, ce qui est très atypique par rapport au modèle européen beaucoup plus intensif. C’est donc plus facile pour nous de rejoindre la démarche Etiquetage Bien Être Animal. Mais, malgré tout, il y a quand même dans le référentiel beaucoup de critères dont certains nous ont demandé de réels efforts.

À commencer par les caméras dans les abattoirs. Ça n’existait pas chez nous. J’ai entendu le débat à l’Assemblée Nationale, où on disait que c’était très compliqué, que personne n’en voulait. Nous les avons installées deux mois plus tard, ça marchait bien et je ne connais aucun salarié qui ne s’en soit plaint. Les caméras, au contraire, ça permet d’être sûr qu’une personne compétente et habilitée puisse venir vérifier que l’on s’est bien comporté avec les animaux tout le temps. On a aussi dans l’abattoir de nouveaux moyens d’euthanasie, la narcose gazeuse, qui est un très grand progrès. Ces grands changements, qui ont été demandés, nous ont bousculés, nous ont obligés à investir. Dans nos élevages, nous n’avions pas beaucoup de perchoirs. L’intérêt des perchoirs nous a motivés pour installer 4 fois plus de perchoirs que la norme de l’étiquetage bien-être animal l’exigeait. On a acheté 220 kilomètres de perchoirs ! On aurait dû avoir des perchoirs, c’est utile surtout en période hivernale quand les poulets sortent moins.

On a eu à faire beaucoup de choses, mais la grande et belle surprise, c’est de se rendre compte que les éleveurs ont adhéré. On a réussi à obtenir de leur part le coup de collier qu’il fallait pour ceux qui n’étaient pas encore parfaitement bien équipés en matériel. Ainsi, tous les éleveurs ont réussi à obtenir leur premier audit. Cet examen annuel est très sérieux et concerne tous les éleveurs, pas un échantillon, comme cela se pratique parfois sur d’autres référentiels. Les éleveurs sont contrôlés rigoureusement en plus d’un contrôle interne réalisé par le technicien du groupement à un autre moment de l’année. Les éleveurs sont tenus en outre de réaliser un autocontrôle. L’AEBEA diligente des super contrôles pour vérifier la qualité du travail des organismes certificateurs. Ainsi, grâce à ce référentiel puissant et à tous ces contrôles, nous avons un étiquetage totalement crédible et unique. Il faut ajouter que nous organisons des formations Bien Être Animal obligatoires pour tous nos éleveurs. Dans ce domaine, la démarche doit concerner tous les éleveurs et pas seulement des volontaires.

À ce jour, tous les éleveurs de Loué ont obtenu la note A ce qui montre leur implication et nous en sommes très fiers.

Je veux saluer le très beau « boulot » qui a été fait par les ONG et le rôle pionnier de Casino. J’ai une petite mention particulière pour Carrefour qui a vite rejoint la démarche et qui sera l’un des premiers sans doute à proposer la note C. Au passage, l’ovosexage [la détection du sexe du poussin avant l’éclosion, pour éviter d’euthanasier à la naissance les poussins mâles dans la filière des poules pondeuses], on l’a fait aussi avec eux. Ils nous avaient beaucoup stimulés. Je voulais le signaler parce que c’est quelquefois en formant des couples producteurs-distributeurs qu’on avance plus vite.

Laurence Parisot

J’ai une question pour chacun d’entre vous. La clé de l’étiquetage, c’est la confiance. La confiance dans la façon dont cet étiquetage est fait, la confiance dans les critères et la confiance dans qui vérifie, qui contrôle, qui audite. Alors comment ça se passe ? Quelle réponse donnez-vous à cela ? A-t-on les moyens de développer ce contrôle ?

Louis Schweitzer

C’est la confiance, mais ce n’est pas la confiance les yeux fermés. Dans le système de l’AEBEA, il y a l’autocontrôle ça, ça a été dit. Il y a un contrôle externe une fois l’an, par des contrôleurs agréés qui ont suivi une formation particulière, qui leur permet de faire des contrôles. Comme on trouvait que la confiance c’était bien, mais que le contrôle c’était encore mieux, on a dit qu’il y aura en plus des surcontrôles à l’improviste pour s’assurer qu’il n’y a pas de complicité entre le producteur et son contrôleur. C’est donc la confiance mais avec attention.

Matthieu Riché

C’est pour ça qu’on a évidemment souhaité qu’il soit créé une association indépendante dont M. Schweitzer est le Président. Dans l’AEBEA, les ONG sont complètement parties prenantes, avec les distributeurs, et les industriels.  L’ensemble de la formation est aussi partagé. Je pense que l’une des clés, est qu’il y a une transparence entre nous, sur les résultats des audits, les processus d’audit, sur les manières de former les auditeurs, sur la manière de contrôler les auditeurs. Pour nous, c’est évidemment essentiel que l’association se dote aujourd’hui aussi d’outils, puisque tout ça se fait par étapes. Des outils qui permettent d’enregistrer toutes les informations, de les suivre pour savoir que tel producteur à telle date a été audité, par qui, comment, et c’est cette information qui est partagée avec les membres de l’association. C’est donc une garantie aussi pour nous, de confiance, du bon fonctionnement des contrôles. Ce sont des sujets que l’on connaît bien, le contrôle dans les chaînes d’approvisionnement. Nous avons qu’elles sont à améliorer et qu’il faut faire preuve d’une très grande vigilance. C’est pour ça que nous ne sommes pas partie prenante de ces contrôles, ni du côté de Loué. Tous les contrôles sont gérés par l’association en toute indépendance et cette information, encore une fois, est partagée avec tous les membres. S’il y a un doute, une question, on peut aller tout de suite chercher l’information, vérifier, regarder s’il faut prendre des mesures nécessaires.  Ce que nous observons sur le processus, sur notre offre, c’est que l’on a des produits qui sont étiquetés parfois B parce que certains critères ne sont pas validés. On voit donc bien que les contrôles fonctionnent. Nous sommes très attachés à la qualité de ces contrôles et ça fait l’objet de discussions régulières dans l’association.

Yves de la Fouchardière

C’est vrai aussi avec le label rouge et le bio depuis toujours. Ce sont des métiers où on a l’habitude des contrôles externes par des organismes certificateurs tiers qui viennent avec beaucoup de rigueur et toujours à l’improviste. Ce sont les mêmes organismes certificateurs qui assurent le contrôle Bien Être Animal et c’est une très bonne chose puisqu’ils connaissent les élevages et on peut avoir totale confiance en eux. Les autocontrôles et les contrôles internes sont réalisés avec la même grille d’évaluation que les contrôles externes. Pour faciliter tous ces contrôles, nous avons développé un applicatif sur smartphone qui évite des écritures fastidieuses et accélère la centralisation des données. On s’inscrit dans une vraie démarche de construction sur la durée.

Laurence Parisot

Vous illustrez tous les trois le succès d’une initiative privée, de société civile en tout cas si j’ai bien compris. Jamais les autorités publiques ne sont intervenues pour se mêler de votre étiquetage. Est-ce que vous pensez qu’elles peuvent un jour vouloir regarder ça de près ?

Louis Schweitzer

C’est un vrai sujet, il y a le Conseil national de l’alimentation qui a été saisi par le ministre de l’Agriculture pour une demande d’avis sur l’étiquetage, sur le mode d’élevage et en proposant une alternative entre soit un label dans lequel seuls sont étiquetés les « bons » ou un étiquetage, c’est-à-dire qui porte sur tous les produits. Les producteurs préfèrent le label. Et surtout, la saisine portait sur un étiquetage qui excluait le transport et l’abattage. Autrement dit, qui ne portait que sur le mode d’élevage et pas sur le bien-être. Comme l’a souligné Yves, un étiquetage bien-être, ça doit aller jusqu’à la mort incluse. Je suis face à cette initiative un peu inquiet, parce que d’un côté, il serait bon que ce système se généralise. Je pense que si on a plusieurs systèmes concurrents, c’est comme si on n’avait aucun système. D’un autre côté, on voit bien que les ONG et les distributeurs peuvent être très exigeants et mettent leur réputation en jeu. Il y a des producteurs comme Loué qui ont une image extraordinaire et qui mettent aussi leur réputation en jeu. On voit bien qu’un système où tous les producteurs seraient contents, qui est la tendance naturelle du politique vis-à-vis des producteurs, est un système ou l’étiquetage ne serait pas très rigoureux sur cette question.

Matthieu Riché

Je crois que nous jouons tous un rôle et que ce rôle est complémentaire. Je n’oppose donc pas les démarches, au contraire. Quand on a travaillé sur le référentiel, la question de la vidéoprotection est évidemment arrivée sur la table. Elle est arrivée parce que le sujet avait été débattu à l’Assemblée nationale. Peut-être que si le sujet n’avait pas été débattu, nous n’aurions peut-être pas parlé de ce sujet-là. Nous nous sommes posés ensuite des questions pour savoir comment intégrer cette question. Je crois que chacun a son rôle aujourd’hui pour faire progresser la société. Nous, ce qu’on observe en tant que distributeur, c’est qu’on peut mettre tous les produits les plus vertueux en termes de bien-être animal, si la société n’est pas prête à acheter et à consommer ces produits-là, il ne se passera rien. C’est-à-dire qu’en fait, on mettra ces produits en rayons, et personne ne les achètera. On fera donc l’inverse de notre métier qui est de vendre, pour pouvoir effectivement employer des gens dans nos magasins. Il est important que l’écosystème de la société bouge, que tous les acteurs bougent. Par les acteurs j’entends les associations, nos fournisseurs, les parlementaires, parce que ça fait du bruit dans la société, ça fait progresser les consciences, ça fait progresser finalement nos comportements d’achat. Il y a dix ans, la question du bien-être animal ne sortait pas du tout dans les préoccupations de nos clients. Aujourd’hui, c’est l’un des deux premiers sujets. Nous avons le climat, le bien-être animal et bien sûr le plastique. On voit bien que si on en est là, c’est parce qu’il y a eu le travail des associations et aussi le travail des parlementaires. Je pense donc qu’il faut que chacun agisse à son niveau. Après, est-ce que le législateur peut aller plus loin ? reprendre des initiatives ? C’est à lui d’en juger, c’est un sujet qui est assez complexe, donc ce n’est pas forcément évident de légiférer sur un sujet comme celui-là. Il faudra regarder par exemple ce que donne l’indice de réparabilité, avec des décrets qui vont très loin dans la description du fonctionnement de cet indice-là. Ce que j’observe, c’est que cela peut-être très compliqué d’aller légiférer sur 230 critères, et ce n’est pas forcément nécessaire aujourd’hui dans la dynamique. Après, c’est au législateur de décider.

Yves de la Fouchardière

Je voulais juste ajouter un petit mot. Nous avons accumulé beaucoup d’expérience dans le domaine des engagements sociétaux. Nous nous engageons avec sincérité et en totalité. Nous espérons à chaque fois que cela puisse servir d’exemple aux autres producteurs. C’était déjà le cas pour les filières sans OGM. Quand les OGM arrivent en 1996, le sujet de société est posé. Dès 1998, nous avons garanti l’alimentation sans OGM de nos volailles, nous espérions alors que la plupart des producteurs, au moins des volailles de qualité, suivent notre expérience. L’information des consommateurs était essentielle. Beaucoup de filières ont suivi, pas toutes ; sans doute, parce que les consommateurs ne sont pas informés de la consommation d’OGM par les animaux. Le législateur n’a jamais voulu s’emparer du sujet, malheureusement. Dans le domaine de l’étiquetage du Bien Être Animal, il semblerait que l’on puisse avancer un jour vers un étiquetage généralisé. Il faudra qu’il reste très qualitatif. Notre étiquetage AEBEA doit servir d’exemple. Je rajoute que je ne considérerai jamais qu’un producteur de poulets standard soit moins méritant qu’un de nos éleveurs de poulets fermiers. Il produit des volailles pour une catégorie de consommateurs n’ayant pas toujours les moyens. Il faudra toujours se méfier aussi des règles qui s’appliquent aux productions importées. Il ne faudrait pas qu’on applique des normes pour les productions intensives élevées en France et laisser entrer sans aucune contrainte des produits sans norme de pays intracommunautaires et extracommunautaires. A ce sujet, je suis assez pessimiste.

Laurence Parisot

J’ai une dernière question juste pour vous, parce que vous avez dit que vous aviez procédé à beaucoup de changements, je ne sais combien de kilomètres de perchoirs, l’extension du nombre de mètres carrés, les caméras dans les abattoirs… bref, vous avez donc investi. Cela vous a coûté en capex, est-ce que vous avez le sentiment d’avoir un retour sur les investissements ?

Yves de la Fouchardière

Rien, comme chaque fois rien. Ce n’est pas grave. Nous n’avons pas pu vendre plus cher nos poulets. C’est comme lorsque l’on a fait du sans OGM : la société le voulait, on l’a fait, c’était important pour nous. Pour toutes les attentes sociétales, on a beaucoup de mal à valoriser nos engagements. Cependant, on a le sentiment d’avoir bien fait. C’est déjà pas mal.

Laurence Parisot

Vous voyez que les chefs d’entreprises travaillent certes pour le profit, c’est nécessaire comme le disait Louis tout à l’heure pour que les entreprises ne meurent pas, mais ils ont aussi d’autres considérations à l’esprit. Bravo et merci.

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