Table ronde : L’avenir de l’élevage (2020)

Table ronde dans le cadre du colloque « Le bien-être animal et l’avenir de l’élevage » organisé par la LFDA le 22 octobre 2020 au Grand Amphithéâtre de la Sorbonne. Par Laurence Parisot, vice-présidente de la LFDA, en compagnie de Philippe Mauguin, président directeur général de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), et Marie-Thérèse Bonneau, vice-présidente de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL).


© Michel Pourny
Télécharger les actes du colloque au format PDF.

Laurence Parisot

Pour terminer cette série de tables rondes, une question importante : celle de l’avenir de l’élevage. Je me garderai bien de proposer des réponses. Je ne sais même pas si quelqu’un peut imaginer une réponse, cela dépend évidemment de l’échéance à laquelle nous nous positionnons. Je propose de vous donner successivement la parole. Tout d’abord, Philippe Mauguin, président directeur général de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). S’il y a quelqu’un qui doit avoir quelques pistes pour nous éclairer, c’est bien vous. Ensuite à vous Marie-Thérèse Bonneau, je suis très contente de vous accueillir. Vous êtes vice-présidente de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL). Je vais chacun vous donner 5 à 10 minutes pour exposer votre point de vue, mais ensuite je vous titillerai si vous me permettez.

Philippe Mauguin

Merci beaucoup Mme Parisot, mesdames et messieurs, cher Louis Schweitzer. Je suis très heureux d’être parmi vous aujourd’hui dans ce lieu prestigieux qui, évidemment, convient bien à nos échanges et à nos débats. La question qui m’a été posée par Louis Schweitzer et que vous relayez porte sur l’avenir de l’élevage. Évidemment, c’est un sujet complexe qui préoccupe et engage les chercheurs d’Inrae mais pas uniquement. Nous avons aussi des coopérations au niveau international qui montrent que le sujet n’intéresse pas que la France. Si nous voulons nous porter à l’horizon 2050 – qui est un horizon qui paraît lointain – les décisions que nous prenons aujourd’hui auront un impact sur la planète. Il faut que nous considérions l’avenir de l’élevage au regard de plusieurs enjeux : la sécurité alimentaire mondiale, le dérèglement climatique, la biodiversité, les changements globaux et la transition ou les évolutions démographiques. Évidemment, je n’ai pas beaucoup de temps pour tout développer. Je voudrais dire ici que nous avons des travaux qui montrent que les filières animales à l’échelle de la planète vont devoir évoluer. Nous aurons besoin de ces filières animales et d’élevage pour boucler des systèmes de production agricole durables. La base de l’agriculture plus ancienne, avec les cycles des matières organiques, la relation entre les cultures et le pâturage, n’a pas été oubliée. Nous allons devoir la redécouvrir si nous voulons effectivement s’engager à l’horizon 2050 dans une économie décarbonée. La décarbonation, ce n’est pas faire sans carbone mais faire avec du carbone renouvelable, de l’azote renouvelable, en évitant les engrais fossiles. Nous aurons donc besoin d’élevage pour l’équilibre organique de nos productions. Cela ne veut pas dire que ce sera dans les mêmes conditions et dans les mêmes quantités que ce qui est produit aujourd’hui de par le monde.

Il y a souvent des polémiques : est-ce que l’élevage n’est pas contradictoire avec l’équilibre alimentaire du monde ? Le rendement protéique d’une protéine animale par rapport à une protéine végétale étant moins bon, cela consommerait plus d’espace et nous n’arriverions pas à boucler l’équation. Cela serait vrai si nous comparions les formes les plus intensives d’élevage, y compris menées hors sol, avec des consommations de produits qui sont très élevées. Lorsqu’il s’agit d’élevage de ruminants à l’herbe, cela est moins vrai. En effet, la photosynthèse produit à l’échelle planétaire environ 6 milliards de tonnes de biomasse par an. Une bonne partie de cette biomasse est produite sur des terres peu mécanisables et peu cultivables. Dans ce cas-là, le bilan évidemment change complètement car il ne prendrait alors la place que d’une éventuelle progression de la forêt. De plus, l’élevage est aujourd’hui le moyen de subsistance d’un peu plus de 800 millions de petits agriculteurs dans le monde. Il s’agit pour eux du seul outil de fertilisation des sols et d’une force de traction. Derrière cette vision de l’élevage des pays du Sud, je ne veux évidemment pas masquer d’autres filières animales qui sont celles des pays développés ou très développés. Par ailleurs, en termes de contribution à l’alimentation de la planète, nous sommes face à une grande disparité des régimes de consommation de protéines animales. Il existe des situations de carence nutritionnelle dans les pays africains où la consommation de viande est insuffisante, notamment chez les enfants. Nous passons de 10 kg de viande de protéines animales en moyenne par an et par habitant dans les pays africains jusqu’à des excès en Amérique du Nord ou en Australie où ils peuvent dépasser les 100 kg par an et par habitant. En France et en Europe, nous nous trouvons plutôt aux alentours de 75 kg de viande consommée. Si, à l’échelle de la planète, nous suivions tous les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), nous aurions un rééquilibrage. Nous travaillons sur ce sujet au niveau de la recherche pour consommer plus de protéines végétales et moins de protéines animales dans les pays du Nord et rattraper une carence en protéines animales notamment dans l’Afrique subsaharienne. Nous souhaitons donc aller vers un équilibre 50/50 plutôt que d’être dans une situation 60/40. Cela permet d’avoir un ordre d’idée.

Pour résumer, pour une agriculture durable, nous aurons besoin, pour boucler nos cycles biogéochimiques en 2050, d’avoir de l’élevage. Nous aurons donc besoin d’avoir des filières d’élevage durables. Nous consommerons probablement moins de protéines animales et plus de protéines végétales. Cela donne des perspectives pour essayer d’optimiser ces filières dans leur rapport entre bilan environnemental, rémunération des éleveurs et bien-être animal. Nous travaillons sur ce sujet en termes de recherche. Nous combinons à la fois des recherches scientifiques pointues, comme cela vous a été présenté ce matin par Alain Boissy au titre du Centre national de référence, et menons des projets d’innovation comme le Lit Ouesterel qu’évoquait Louis Schweitzer et qu’a présenté ce matin Hervé Guyomard. Nous combinons ces approches de recherche fondamentale et d’innovation.

[Arrivée du ministre Julien Denormandie]

Philippe Mauguin

  1. le Ministre, j’étais en train d’évoquer la vision que la recherche agronomique française peut avoir de l’avenir de l’élevage au niveau français, européen et mondial. J’évoquais que nous ne pouvions pas envisager d’agriculture durable à l’horizon 2050 sans élevage pour toute une série de raisons qui ne sont pas que culturelles, économiques, sociales, mais qui sont aussi biogéochimiques pour le bouclage des cycles. Nous travaillons sur ce sujet. Si nous voulons pouvoir nourrir 10 milliards d’habitants sur la planète de façon durable, nous devons faire évoluer les régimes alimentaires. Dans les pays du Nord, il faudra consommer moins de protéines animales et plus de protéines végétales. C’est pour cela qu’il y a des plans en faveur du développement des protéines végétales. Il faudra plus de protéines animales au Sud notamment en Afrique subsaharienne. Si nous arrivons à concevoir des transitions – c’est cela qui est souvent le plus compliqué – et des trajectoires pour nos éleveurs et pour les filières, nous aurons la possibilité d’avoir des filières d’élevage qui auront encore un meilleur impact environnemental et qui seront plus rémunératrices pour les éleveurs. C’est là-dessus qu’il faut travailler : comment recrée-t-on de la valeur ? L’exemple qui a été présenté précédemment des poulets de Loué, engagé dans la démarche bien-être animal, nous montre que cela est très efficace et permet de sécuriser les revenus, mais pas de les augmenter. Nous travaillons donc sur ces sujets.

Laurence Parisot

Merci beaucoup Philippe, nous reviendrons sur certains des points. Je propose de vous donner la parole à Marie-Thérèse pour que vous nous expliquiez votre point de vue.  Ensuite, je vous poserai des questions à tous les deux. Le ministre pourra intervenir aussi à tout moment dans les questions.

Marie-Thérèse Bonneau

Merci à vous. Je vais me présenter tout d’abord et vous remercier de votre invitation. Je voulais vous faire part de l’émotion qui est la mienne de pouvoir intervenir ici dans ce lieu. En tant qu’éleveur, le fait de pouvoir intervenir au Grand Amphithéâtre de la Sorbonne est quelque chose d’assez improbable en tant que tel et, en plus, de le faire dans ce cercle d’invitation où je suis, avec une organisation welfariste qui nous invite. Si vous m’aviez posé la question il y a deux ans, je pense que je vous aurais dit également que cela était improbable. 

Je suis éleveuse en Vendée sur une ferme familiale avec mon mari. Nous avons une centaine d’animaux dont 55 vaches laitières. L’alimentation est produite principalement sur la ferme et les vaches ont accès à la pâture. Je ne suis pas une exception : 85 % des systèmes laitiers français sont sur cette base. Avec mon mari, nous travaillons depuis trente ans sur l’exploitation. Il y a eu des évolutions en termes de période, par exemple pour le pâturage, en raison du réchauffement climatique. Nous ne pouvons plus faire pâturer les mêmes mois que lors de notre arrivée. Je souhaitais faire cette petite parenthèse pour préciser que c’est un monde vivant et que nous nous devons d’évoluer avec les éléments autour de nous. Je suis engagée pour représenter les éleveurs au niveau national depuis maintenant dix ans. Malgré cela, je suis préoccupée chaque jour de ce qui se passe sur la ferme, même si je n’y suis pas physiquement. Avoir un élevage, c’est aussi quelque part une charge mentale. Il faut aussi pouvoir l’entendre. Je vous remercie pour les échanges que nous faisons aussi dans le cadre de la filière laitière avec l’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA), CIWF, Welfarm et vous, la LFDA, lors de nos travaux de concertation. Vous nous faites avancer et je souhaite aussi que nous fassions mieux connaître les enjeux qui sont les nôtres. Nous avons construit une démarche de progrès autour du bien-être animal. Cette démarche a été basée sur des indicateurs qui sont issus de la méthode Welfare Quality. L’objectif qui nous a porté était d’engager 100 % des éleveurs dans un diagnostic d’ici 2025. Cela est un objectif ambitieux issu d’une démarche de progrès. Nous avons mis en place un cadre d’évaluation, mais chaque éleveur garde la main sur la façon d’y répondre. Nous souhaitons rester dans des systèmes de production différents permettant de proposer des produits différents. En France, la diversité de produits laitiers est possible aussi grâce à ces façons différentes de produire du lait.

J’ai la chance d’être là depuis ce matin. Je vais sans doute être un peu en rupture avec ce qui a été dit tout à l’heure sur l’étiquetage. Selon l’engagement que nous avons pris dans la filière laitière, le bien-être animal fait partie de notre métier d’éleveur. Cela n’est pas négociable ni segmentant : c’est une valeur socle. Dans cet esprit, la filière laitière n’est pas favorable à l’étiquetage bien-être en tant que tel mais qu’il est induit en termes d’éthique dans notre production. Évidemment, une position comme celle-ci elle induit que le socle de valeurs intègre aussi une valeur économique. Il doit y avoir une interface entre les engagements pris et un retour économique sur le produit. Cela est effectivement indispensable. À ce stade, il reste des choses à faire. Je me permettrai de faire aussi une petite parenthèse sur la loi EGAlim qui est en chemin mais qui n’est pas encore complètement aboutie. Nous avons beaucoup d’attentes en tant qu’éleveurs pour qu’elle continue à produire des effets au niveau économique.

L’avenir de l’élevage, puisque c’était la question, pour nous c’est la diversité des modèles laitiers qui reposent aujourd’hui sur un historique. Je suis née dans la génération des quotas laitiers en tant que professionnelle. Je suis rentrée dans le métier dans ce champ-là. Comme sans doute beaucoup de politiques publiques, les politiques produisent des effets désirés mais induisent d’autres conséquences. Dans ce cadre-là, nous avons pu conserver, avec la mise en place des quotas laitiers, une certaine répartition territoriale de la production laitière. Cela n’a pas été permis chez certains de nos voisins européens. Nous avons également pu conserver une diversité des modèles de production. Désormais, nous estimons que nous sommes à la croisée des chemins. Nous partageons évidement ce qu’a dit Philippe tout à l’heure sur le fait que l’élevage est utile pour répondre à l’enjeu agricole et à l’enjeu alimentaire à venir.

Pour donner envie aux jeunes d’entrer dans l’élevage, il faut aussi un contrat de société où ils se sentent reconnus dans leur travail à travers le produit et en tant qu’acteurs du territoire. C’est une relation avec l’entourage qui donne envie de progresser. Aujourd’hui, j’arrive à la fin de ma carrière et moi aussi j’ai des enfants. Ils ne sont pas différents des autres et expriment les mêmes attentes qui sont les vôtres sur le besoin de transparence et de challenge pour répondre aux enjeux climatiques et de bien-être animal. Pour donner envie, il faut donner de la valeur aux choses. Nous ne pouvons pas porter une exigence sur le produit, le bien-être animal et l’environnement sans y mettre une valeur. Nous ne pouvons pas avoir tous ces éléments et en même temps être dans le challenge de la compétition mondiale. Vous avez entendu aujourd’hui que nous sommes engagés pour répondre aux attentes sociétales. Si l’enjeu économique et social n’est pas atteint, le renouvellement des générations ne se fera pas ou peu. Vous continuerez à pouvoir consommer des produits laitiers mais sans doute que vous verrez moins de vaches dans le paysage et que ce ne seront plus les français qui les produiront.

Laurence Parisot

Je vous remercie Marie-Thérèse parce qu’il y a beaucoup d’émotions et de sincérité dans votre intervention. Nous sentons que tout cela vous tient à cœur. Avant de me retourner vers Philippe, j’ai une question, peut-être un peu audacieuse, à vous poser. Je souhaite que l’on se comprenne mieux entre nous tous puisque c’est l’objectif d’un colloque de ce type. Nous sommes welfariste à la LFDA. De nombreuses associations présentes dans la salle – je les remercie d’être là – sont, elles, plutôt abolitionnistes. Pourtant, vous voyez que tout le monde se parle, comme des distributeurs et des producteurs. Je sens que vous êtes attachée à votre exploitation et je suis sûre que vous devez être attachée à vos animaux.

Marie Thérèse Bonneau 

Bien sûr, vous ne vous trompez pas.

Laurence Parisot

Expliquez-nous alors comment vous faites quand vous êtes obligée de les faire partir vers l’abattoir. Cela est un élément que beaucoup de gens ont besoin de comprendre

Marie Thérèse Bonneau

Je vais vous décrire comment cela se passe pour moi. En fait, je m’organise pour ne pas forcément être là.

Laurence Parisot

C’est une réponse honnête.

Marie Thérèse Bonneau

Vous me demandez, je vous réponds. Je voudrais dire autre chose. Quand nous sommes éleveur, nous prenons soin. Pour moi, c’est la même définition : élever, c’est prendre soin. Il est important pour nous, dans le cadre des filières et dans le cadre de l’éthique de notre métier – par rapport à ce qui a été dit ce matin, j’ai beaucoup apprécié les éléments qui ont été donnés – que nous puissions aussi faire évoluer les choses dans les abattoirs. Cela est important pour nous parce que cela donne du sens à ce que l’on fait. Nous faisons un produit qui est consommé, ce n’est pas un produit banal. Cela implique une grande responsabilité de faire de l’alimentation. Nous faisons des efforts et allons continuer à en faire de façon plus importante pour répondre aux attentes, parce que si le marché attend plus de bien-être animal, il faut qu’on puisse y aller. Il faut prendre en compte les éléments que j’ai évoqués tout à l’heure, c’est-à-dire que le bien-être animal n’est pas isolé mais est à l’intérieur de toute cette valeur. Il faut donc effectivement que nous fassions évoluer la façon dont nous transformons nos animaux.

J’ai toujours une approche optimiste et je pense qu’il ne faut pas juger par rapport au passé. Le contexte était différent avant et il faut prendre en compte les éléments actuels. Si chacun prend intérêt et cause pour que ce soit fait différemment, le contexte sera d’autant plus facile pour nous.

Laurence Parisot

Voilà une réponse optimiste, merci beaucoup. J’ai une question pour vous Philippe. Si j’ai bien compris ce que vous nous avez dit tout à l’heure, vous avez d’emblée positionné l’enjeu à l’échelle mondiale. Pour résumer, dans les pays les plus avancés et les plus riches, la consommation de protéines animales a tendance à baisser ou stagner. Dans les pays émergents en revanche, les besoins sont de plus en plus importants pour des raisons démographiques mais également car leur niveau de richesse s’accroit. Cela signifie que toutes ces problématiques-là doivent être regardées non simplement au niveau local ou national mais également au niveau mondial. Pourtant, tout à l’heure, nous disions que nous ne pouvons plus signer les grands accords commerciaux comme l’Accord économique et commercial global (Ceta) ou d’autres car les critères de bien-être animal ne sont pas respectés. Comment résolvez-vous cette équation quasi impossible ?

Philippe Mauguin

Cette question est évidemment assez centrale. Elle se pose dans d’autres secteurs de l’agriculture engagés dans la transition agroécologique. Peut-être que le ministre l’évoquera. Nous n’attendons pas que tout le monde soit aligné sur le bon état d’esprit pour changer car dans ce cas-là, rien ne se passera. Comment la France et l’Europe peuvent-elles avancer en tenant compte de la compétition économique féroce ? Comment pouvons-nous essayer de faire évoluer le niveau mondial ? Cela n’est pas aussi simple que ce que vous disiez en résumé. Concernant l’évolution de la consommation, il y a des pays d’Asie, et notamment la Chine, qui, au fur à mesure que le niveau de vie moyen s’élève, consomment de plus en plus de viande. L’Asie représente déjà 45 % de la consommation de viande mondiale. L’Europe ne représente que 15 %.  Il est vrai que la sécurité alimentaire mondiale peut être inquiétante en 2050 si l’évolution se basait sur le niveau de consommation Nord-américain ou mexicain. Si tous les pays émergents s’alignaient progressivement sur ces standards de consommation, cela poserait des problèmes d’accès à la ressource et donc probablement encore plus d’inégalités alimentaires. Cela mènerait probablement à plus de déforestation encore, malgré le fait que nous sommes déjà arrivés à un seuil d’alerte. Ce rééquilibrage est donc nécessaire. Je ne suis pas en train de dire qu’il se passe naturellement. Il se passe probablement dans notre pays. En effet, en France, la consommation de viande rouge a plutôt tendance à se réduire progressivement dans le temps. La consommation de viande blanche – sous le contrôle des producteurs – se stabilise ou augmente légèrement. Les protéines laitières – sous le contrôle de Marie-Thérèse – sont plutôt relativement stables avec une légère décroissance. Malgré cela, ce n’est pas le cas de tous les pays du monde. Pour favoriser des transitions, nous devons combiner des démarches d’appui des politiques publiques au niveau national et dans la Politique agricole commune (PAC) – qui reste un réel levier pour faire évoluer les pratiques. Il faut que les consommateurs citoyens soient les uns et les autres cohérents. Je pense que cette situation est possible et ne relève pas simplement d’un réflexe de « bobo » qui consisterait à dire « oui, nous allons consacrer plus d’argent à notre consommation parce que nous en avons les moyens ». Si nous nous projetons dans un régime alimentaire où nous mangerons moins de viande et de protéines animales, nous pourrons peut-être accepter de la payer un peu plus chère. Elle sera de qualité, équitable en rémunérant nos éleveurs sur nos territoires, en respectant l’environnement et le bien-être animal. Même si cela peut paraître peut-être un peu optimiste, nous travaillons sur ces modèles-là. Pour arriver à ces niveaux-là, il faut de l’accompagnement public et probablement des traités internationaux qui tiennent compte de l’ensemble des paramètres. Le Premier ministre avait chargé une commission d’experts qui était présidée par un chercheur Inrae et d’autres collègues. Ils ont rendu un avis assez clairement défavorable à la ratification du traité. C’est également la position prise par le gouvernement et le Premier ministre. Nous devons donc être cohérents.

Si nous arrivons à avoir une vision globale des régimes alimentaires sains et durables pour la planète dans les prochaines décennies et si chaque pays organise ses trajectoires, en tenant compte évidemment de ses préférences culturelles, de l’état de ses secteurs économiques, avec une recherche scientifique coordonnée, un agenda de transition, des soutiens de politiques publiques et des traités cohérent, nous aurons alors un chemin. Ce n’est bien évidemment pas facile.

Laurence Parisot

J’ai encore une question qui est très provocatrice. Est-ce que vous imaginez qu’un jour l’élevage puisse disparaître ? Pour appuyer ma question, je vais vous donner quelques chiffres. L’année dernière, une société américaine qui s’appelle Beyond Meat s’est introduite en bourse. Je pense que vous en avez entendu parler. Beyond Meat s’est introduite en bourse en mai 2019 à 25 $ l’action – je vous fais un peu de finances pour changer un peu. Aujourd’hui, le cours actuel est à 178 $ l’action – j’ai vérifié ce matin. La market cap (capitalisation boursière de l’entreprise) est de plus de 11 milliards. Je pense qu’elle ne gagne pas encore d’argent. Cela fait partie de la nouvelle façon de faire fonctionner l’économie aujourd’hui :  on grandit très rapidement et ce n’est que dans un deuxième temps que l’on se pose la question de savoir si nous gagnons de l’argent. En soit le phénomène est intéressant, il faut le regarder. Beyond Meat a d’autres concurrents, qui vont certainement s’introduire en bourse aussi dans les deux ou trois prochaines années, et quelques grands acteurs traditionnels de l’agroalimentaire eux-mêmes commencent à développer de la viande végétale. Ce qui m’intéresse – mais encore une fois pour provoquer la conversation et la discussion – c’est que, souvent et même si on n’aime pas le capitalisme, les marchés financiers savent bien anticiper les choses. Alors, comment voyez-vous l’évolution de ces entreprises qui se spécialisent dans des éléments qui ressemblent à la viande, qui sont fabriqués à base végétale et qui annoncent offrir des protéines équivalentes à la viande ?

Marie Thérèse Bonneau

Effectivement, nous n’ignorons pas que c’est en chantier. Il y a aujourd’hui une volonté de remplacer l’animal par les effets de manger de la protéine animale sans que cela en soit vraiment. Ce qui me dérange dans cela c’est que nous sommes alors très en rupture avec les attentes que nous entendons de la société. En effet, on reste dans quelque chose très industrialisé, qui met en place une modélisation internationale. Depuis des années et encore maintenant, nous faisons face à une concurrence déloyale. Quel que soit l’endroit du monde où nous produisons, à la fin, seul le prix compte. Pourtant, les gens ont beaucoup d’attentes concernant notre travail, nos fermes, l’environnement, le bien-être animal et le respect des cycles. Or, avec les protéines végétales, il y a complètement abstraction de tout cela, qui est remplacé par quelque chose d’industriel. Pour être honnête, cela m’interpelle. Je me dis que c’est aussi en rupture avec ce que j’entends, y compris des personnes qui prônent le fait que nous puissions manger sans manger des animaux. Est-ce que cela signifie que nous pouvons éviter de manger des animaux tout en restant dans un processus totalement industrialisé ? Selon moi, cela ne marche pas. Je ne comprends pas bien cette démarche.

Laurence Parisot

Je comprends le paradoxe que vous soulignez.

Philippe Mauguin

D’un côté, nous sommes plutôt favorables à la consommation de protéines végétales qui ne pose pas les mêmes questions que la culture de tissus animaux pour produire l’équivalent de steaks. Dans ce dernier cas, les conditions d’utilisation d’hormones pour la production des tissus ne sont pas pour nous complètement claires. Cela mérite d’être expertisé car dans la recherche, il faut regarder tout sans a priori. Il n’y a pas de données d’un point de vue à la fois sanitaire, du modèle de production et du type de consommation comme le disait Marie-Thérèse, qui répondent aux enjeux. Pour ma part, je suis très réservé mais nos scientifiques regardent. Si demain nous nous rendons compte qu’il existe des produits extrêmement utiles pour la nutrition humaine qui peuvent être faits par cette voie-là, cela sera alors envisageable. De l’autre côté les uns et les autres, nous avons fait l’expérience de délicieux repas dans des restaurants végétariens. Ils sont faits avec des protéines végétales pouvant être produites localement en France, sans engraisser des start-ups américaines qui font des levées de capitaux gigantesques. C’est là le paradoxe, pour le moment, ceux qui gagnent de l’argent, ce sont les investisseurs. Ce ne sont évidemment ni les paysans puisqu’il n’y en a plus, ni les citoyens.

Laurence Parisot

Sur cette interrogation futuriste, je propose d’ouvrir le débat avec la salle. Si le ministre l’accepte et avant son discours, vous pouvez à la fois poser des questions à nos intervenants et au ministre s’il en est d’accord.

Lire les autres interventions :

ACTUALITÉS