Table ronde : L’avenir de l’élevage – Échanges avec la salle (2020)

Échanges avec le public à la suite des trois tables rondes de l’après-midi dans le cadre du colloque « Le bien-être animal et l’avenir de l’élevage » organisé par la LFDA le 22 octobre 2020 au Grand Amphithéâtre de la Sorbonne.

 


© Michel Pourny
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Frédéric Freund

Bonjour, Frédéric Freund, directeur de l’OABA – Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs. M. le Ministre vous n’étiez pas là ce matin – mais c’est une excellente chose que vous soyez présent cet après-midi – et donc vous n’avez pas pu noter qu’une part non négligeable des questions-réponses de ce matin a été consacrée à l’abattage rituel sans étourdissement. Je ne vais donc pas vous entretenir de cette thématique. Votre prédécesseur, lorsque nous l’avions rencontré rue de Varenne, nous avait dit : « Ah, l’abattage sans étourdissement, voilà une vraie question. » Sauf que nous n’attendons pas d’un ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation qu’il nous dise que c’est une vraie question. Nous attendons d’un ministre qu’il nous apporte une ou des vraies réponses. Et sur cette thématique, M. le Ministre, comme nous vous l’avons écrit en juillet dernier, nous sommes à la disposition de vos services pour que, sur les plans techniques, scientifiques et juridiques, nous puissions les aider à apporter une vraie réponse.

La thématique sur laquelle je souhaite vous entretenir cet après-midi a été rapidement abordée par Mme Lambert ce matin dans sa conclusion de la matinée. Il s’agit de la récupération d’animaux d’élevage abandonnés. La crise agricole qui dure, qui perdure, est une réalité sociale et économique avec des répercussions évidentes sur le bien-être animal et à l’OABA, nous avons tendance à dire que les premières victimes de cette crise agricole, ce sont les animaux. Depuis le début de l’année, à la demande des autorités administratives et judiciaires, l’OABA a pris en charge plus de 1750 animaux, principalement des bovins et des ovins/caprins. Nous sommes, à l’exception notable des agents de votre ministère, à qui je rends hommage, les seuls sur le terrain avec nos amis de la Fondation Brigitte Bardot que nous croisons régulièrement. Contrairement à ce qu’a dit Mme Lambert, les organisations agricoles ne nous aident pas sur ces sauvetages d’animaux. Nous ne les voyons pas avec leurs bétaillères, leurs tracteurs. Nous ne les voyons pas financer les soins, l’alimentation des animaux que nous récupérons. Et quelques temps plus tard, au tribunal, nous ne les voyons pas sur les bancs des parties civiles. La situation, M. le Ministre, aujourd’hui, est devenue intenable d’un point de vue tout simplement budgétaire. Nous en sommes actuellement, à l’OABA, à moins 300 000 euros sur notre budget. Il faut donc trouver une ou des solutions. Une solution serait bien évidemment d’obtenir un financement semi-public de ces sauvetages pour que vos services puissent continuer à exercer leurs missions. Une autre solution que votre prédécesseur avait validée est de faciliter la cession des animaux retirés en cours de procédures, parce qu’entre la grève des avocats et la Covid-19, nous avons aujourd’hui des délais de procédure qui dépassent très largement les 12 mois. Or, nous n’avons pas en pension des roues de tracteurs ou des déchets, nous avons des animaux vivants qui ont besoin de manger, de boire, d’être soignés. Il faut donc impérativement accélérer les procédures. Votre prédécesseur nous avait dit que c’était une « excellente solution mais qu’il était nécessaire de passer par un vecteur législatif, donc d’une loi, puisqu’il s’agit de l’article 99-1 du code de procédure pénale ». Et il nous avait dit que cela était « compliqué ». Je ne pense pas que trouver un vecteur législatif sur cette problématique soit particulièrement compliqué. Vous connaissez l’adage, M. le Ministre, quand on veut, on peut. Je ne doute pas, M. le Ministre, que vous pouvez agir sur cette thématique donc j’ai une seule question et elle sera extrêmement simple : puisque vous le pouvez, le voulez-vous ? Merci.

Julien Denormandie

Je vais répondre avant le discours que je donnerai après. Il y a deux questions très rapides. Je vous invite à mettre tout cela à l’aune de ce que je vous dirai tout à l’heure.

La première question sur l’abattage rituel sans étourdissement, je le dis clairement, je pense que ce débat est un débat qui, dans le contexte que vit notre société aujourd’hui, ne doit pas être mis sur la table au moment où je vous parle. Vous avez posé une question très précise, je vous donne ma réponse très précise. Aujourd’hui, on est dans une société où il y a des tensions très fortes, il y a des drames très forts et je voudrais d’ailleurs avec beaucoup d’émotion commencer mes propos et avec immensément de gravité par rapport à tout ce que vit notre pays. Il s’avère que j’étais d’ailleurs hier soir ici-même à la Sorbonne [1] – par une pensée très républicaine – (Cédric Villani était là aussi) Évidemment ma réponse n’est pas du tout à mettre au regard des atrocités qui viennent d’être commises. Il n’en reste pas moins qu’il y a des tensions très fortes dans notre société et on sait que ce débat est un débat qui va attiser des tensions. On le sait. À titre personnel, je pense que dans la période actuelle, on a déjà beaucoup d’autres débats à porter sur la question relative notamment aux abattoirs et je pense qu’il faut commencer par celle-là. C’est-à-dire de savoir comment on modernise les abattoirs ? Comment on diminue le stress dans les abattoirs ? Comment on arrive à retrouver une équation viable pour les abattoirs ? Quelle est l’immense difficulté des abattoirs ? C’est qu’aujourd’hui, un abattoir ne gagne pas d’argent. Je vais faire un test : qui dans cette salle est déjà allé dans un abattoir ? Est-ce que vous pouvez lever la main ? Alors vous connaissez bien. Qui dans cette salle souhaiterait travailler dans un abattoir, y étant allé ? Voilà, là il y a deux mains levées. Travailler dans un abattoir, cela fait partie des métiers les plus difficiles qui soient. Donc on a déjà une immense question à laquelle répondre qui est : comment améliore-t-on la situation dans les abattoirs, sachant que ce sont des structures qui ne gagnent pas d’argent ? Ce sont des structures dans lesquelles peu de personnes souhaitent travailler. En même temps, la question du bien-être des animaux dans les abattoirs est une vraie question à laquelle je suis très attaché. Un premier élément de réponse qu’on apporte se trouve dans le plan de relance, et je sais que c’est un sujet sur lequel le président Schweitzer et lui aussi très attaché puisque lorsqu’il était directeur du Commissariat général à l’investissement, il avait déjà établi cela, c’est-à-dire d’investir massivement dans les abattoirs. C’est ce qu’on fait dans le plan de relance : on investit plus de 130 millions d’euros pour améliorer la situation dans les abattoirs. À votre question très précise, je réponds donc de manière très franche : commençons d’abord par toutes ces questions de modernisation, d’amélioration des conditions d’investissement, de viabilité et je crois que cela sera déjà à même de faire grandement avancer la chose. Et prenons en compte à chaque fois dans toutes nos questions, pas uniquement ce que vous vous souhaitez et ce que moi je souhaite, mais tout ce que cela implique en terme de débat public.

Sur le deuxième point, je prends bonne note : il s’avère que je n’avais pas en tête vos propositions sur les modifications de procédures mais je vais regarder et je vous dirai. [La modification de l’article 99-1 du code de procédures pénale, soutenue par le gouvernement, a été intégrée dans la proposition de loi visant à lutter contre la maltraitance animale adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 29 janvier 2021.] Il n’y a pas que la question de la volonté politique pour modifier une loi – vous pouvez en parler à Cédric Villani [2]. Ce n’est pas si simple que cela de modifier une loi donc là aussi, ne pensez pas qu’il suffit de dire « vous le voulez, faites-le, changer la loi ». Non, c’est plus compliqué que cela en terme de temps institutionnel. D’ailleurs, je pense que beaucoup de solutions peuvent ne pas venir uniquement de la loi si on veut agir très rapidement. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas modifier la loi sur certains aspects, mais je pense que dans le sujet que vous évoquez, pour connaître pas mal les tribunaux de commerce – mais là, manifestement, cela relève du code de procédure pénale d’après ce que vous avez dit –, il y a déjà des choses que l’on peut faire sans forcément avoir à modifier la loi.

En revanche, votre question amène surtout un constat terrible qui est qu’aujourd’hui, il y a beaucoup d’élevages qui ferment. Ma mission, avant tout autre, est d’affronter la réalité que vous avez décrite, mais surtout de faire en sorte que ces élevages n’aient pas à fermer. Et la situation est très compliquée aujourd’hui. Je ne rentrerai pas dans les détails, j’aurai l’occasion de m’exprimer dans mon discours. En tout cas, en 2021, nous souhaitons apporter une aide aux éleveurs-hébergeurs pour la prise en charge des animaux. Mais ne pensez pas que pour changer la loi, il suffit de dire « Cédric Villani ou moi-même, nous allons changer la loi », c’est plus compliqué que cela. Enfin, ayez en tête que mon objectif principal est de faire en sorte que l’on trouve la pérennité de ces élevages. Je crois que c’est même là le titre du colloque qui vous réunit depuis ce matin.

Une personne du public 

Bonjour. Vous avez dit beaucoup de choses donc je vais peut-être me focaliser sur trois points seulement. Au niveau de la question des protéines, il va falloir changer de culture car les protéines végétales suffisent à vivre. Moi, je vis en mangeant seulement des protéines végétales et je suis sportif de haut niveau. Il ne faut pas bloquer cette culture, sinon vous allez bloquer l’évolution de la société, de la production française sur les protéines végétales. Le risque est que les Américains prennent d’assaut ce marché.

Sur la question des viandes végétales, le monde agricole est choqué – j’ai vu des éleveurs dans les supermarchés qui protestent contre cela – et les politiques veulent bloquer cette dénomination. Le fait qu’on produise des viandes végétales est aussi une réponse à l’ancien modèle dans lequel on a grandi, qu’on n’a pas demandé, où la viande était au centre de l’assiette. Aujourd’hui, on ne veut plus manger de la souffrance animale dans notre assiette mais on ne sait pas comment faire. Ces alternatives à la viande nous aident. En fait, cette viande végétale est une réponse à l’ancien modèle qui a été imposé.

Troisième point : tout le monde ici est pour le bien-être animal. Je vois des gens qui travaillent avec des éleveurs qui aiment leurs animaux. Mais qu’en est-il des lanceurs d’alerte et de la cellule Demeter qui punit les lanceurs d’alerte ? Il y a beaucoup de tensions dans ce pays et peut-être que la gendarmerie pourrait servir à autre chose qu’à mettre des grosses amendes, des procès à des lanceurs d’alerte qui ne font rien d’autre que de révéler les horreurs qui sont faites aux animaux. Voilà, merci.

Julien Denormandie

Vous avez évoqué trois sujets très différents : le premier sur les protéines. Sur les protéines végétales, c’est un système organisé depuis 50 ans. Le système, pour ceux qui connaissent un peu le sujet, a été avalisée dans l’Uruguay round. Le système a été un équilibre organisé entre d’abord l’Amérique du Nord puis maintenant l’Amérique du sud et l’Europe, impliquant que dans tous ses accords commerciaux, l’Europe restera dépendante du continent américain sur les protéines. Et le système a été organisé de la sorte depuis plus de 50 ans. Je le dénonce très clairement. Dernièrement, il y avait un quotidien qui publiait en titrant : « le ministre de l’Agriculture en croisade à Bruxelles sur les protéines végétales ». En fait, on a organisé un système qui fait qu’aujourd’hui, au-delà des légumineuses que nous, citoyens, devons manger, on a un problème dans l’équilibre nutritionnel, avant même de parler du régime alimentaire – est-ce qu’on accepte ou pas de manger de la viande. On a un problème qui est qu’on ne mange pas assez de légumineuses pour notre bilan alimentaire d’un point de vue nutritionnel. Mais au-delà de cela, ce qui est délirant, c’est que nos vaches aujourd’hui, et sûrement les vaches de Mme Bonneau, elles sont nourries avec du tourteau de soja brésilien et ça fait 50 ans qu’on a organisé la chose. Je me bats donc pour regagner en souveraineté. Mon credo, c’est la souveraineté agricole française. Pour regagner en souveraineté, on a un enjeu majeur qui est de refaire des protéines dans notre pays. Cela nécessite deux choses : une première chose est de mettre le paquet sur la production de protéines dans les cultures ou dans les prairies qui sont un énorme enjeu dans nos élevages. Deuxième élément, faire en sorte que la politique européenne agricole nous permette d’atteindre cette souveraineté. J’ai participé à une réunion sur le sujet pendant 48 heures et on a fini tard dans la nuit. Vous savez, en Europe, on a un système qui s’appelle les aides couplées pour aider telle et telle production, mais figurez-vous que ces aides couplées, on ne peut pas les utiliser quand ce sont des secteurs qui ne sont pas en difficulté. Or, la protéine, c’est un secteur qui marche, mais on est à un niveau bas alors qu’on devrait être à un niveau élevé. Je me bats au niveau européen pour faire en sorte que toutes ces aides puissent être utilisées pour produire de la protéine.

Sur la deuxième question sur les alternatives, là il faut être très clair : je ne suis personne pour vous dire qu’il faut avoir tel et tel régime alimentaire. C’est le droit de chacun, c’est une liberté individuelle. Donc jamais je ne serai là pour dire : « vous devez être ou pas végétarien, vegan ou pas vegan ». En revanche, j’estime, et c’est mon droit le plus profond, que personne n’a à l’inverse à me dicter quel doit être mon régime alimentaire. Je crois qu’il est important d’avoir cet équilibre, ce respect mutuel. Vous dites dans votre phrase – et je le dis avec beaucoup de bienveillance et pas du tout de manière polémique – : « manger de la souffrance animale ». Vous avez le droit de le dire, c’est votre conviction. Mais vous avez entendu Mme Bonneau à l’instant, [qui aime les animaux qu’elle élève]. Je respecte ce que vous avez dit, mais il s’avère que dans notre société, pour ceux qui mangent de la viande comme moi, on aime beaucoup les animaux. Quand vous mangez de la viande, vous aimez bien les steaks et les escalopes, mais vous n’aimez pas ce qu’il se passe entre les deux. Malheureusement, si vous voulez manger un steak ou une escalope à un moment donné vous devez tuer l’animal. Donc la question est : est-ce qu’avec cet acte-là on en vient à se dire qu’on mange de la souffrance animale ? Ce sont vos propos, moi je considère que non, je considère que l’homme a le droit de manger un steak de viande. Et je pense que dans le débat, il faut toujours garder ce côté apaisé sur un sujet de société qui est très compliqué.

Concernant votre question sur le steak de soja, en rien, en tant que ministre, je ne m’oppose à la production d’alternative végétale. Je pense même que cela fait partie des attentes de la société. Je pense même que cela peut faire partie des pans d’activités que l’on peut développer dans notre pays et pour tout dire, moi qui suis tellement attaché à la souveraineté, je préfère manger de la protéine végétale venant de France que d’être dans de l’importation de multinationales qu’évoquaient Mme Parisot, qui sont valorisées à 11 milliards d’euros aujourd’hui.

Laurence Parisot 

Il y a des start-ups françaises qui se préparent.

Julien Denormandie 

Maintenant, la question, c’est l’information du consommateur. C’est mon rôle en tant que ministre et je sais que c’est quelque chose qui est très défendu ici. Je suis pour l’information du consommateur totale et pleine. Le débat n’est pas sur : « Faut-il ou non avoir des alternatives aux protéines animales ? » C’est très légitime d’avoir des alternatives aux protéines animales. La question est celle de leur dénomination. Et quand on nomme, assurons-nous qu’il n’y ait pas une information incomplète pour le consommateur. Ensuite, c’est au consommateur de décider. Ce n’est surtout pas à moi de lui imposer quoi que ce soit, ni à personne d’autre non plus.

Sur la troisième question sur la cellule Demeter, elle a été mise en place parce que, je le dis de manière apaisée, il y a des actes qui ne sont pas acceptables. Quand vous rentrez chez vous et que vous voyez des qualificatifs que je ne prononcerai pas ici mais qui ne sont pas dignes de notre république, qui ne font pas avancer le débat, inscrits sur votre mur et qui l’ont été de nuit sur une propriété privée, ce n’est pas cela la République. Ce n’est pas comme cela que l’on fait avancer les débats. Tout le monde doit le condamner tout comme moi je condamne quand n’importe qui vient chez quelqu’un. La dernière fois, des personnes sont allées chez des militants contre l’élevage ; il faut le condamner tout autant que quand des militants contre l’élevage viennent chez des éleveurs. On est en république. On ne peut pas accepter que des inscriptions non républicaines soient faites chez des gens en pleine nuit. Face à cela, c’est le rôle de la République que d’y répondre et c’est le sens de Demeter. C’est un système d’information, ce n’est pas un système de lutte contre des lanceurs d’alerte. Les lanceurs d’alerte sont protégés dans notre société. Mais pour avoir un débat apaisé, il faut toujours avoir un débat qui respecte un minimum de considérants : jamais je n’accepterai que quiconque, quelle que soit l’opposition de vues, ne puisse entrer chez quelqu’un et écrire sur son mur des qualificatifs qui relèvent d’une période inqualifiable de notre Histoire.

Le sens aussi de votre question est de dire que c’est de cette façon que l’on peut démontrer que dans des élevages ou dans des abattoirs, cela se passe mal. Attention à un point : c’est la responsabilité de l’État de faire ces contrôles. Il ne faut pas s’en prendre aux éleveurs, il faut s’en prendre à l’État, à moi, c’est ma responsabilité. Je fais chaque année 23 000 contrôles, ce n’est peut-être pas assez. Vous savez combien il y a d’agents de l’État qui travaillent dans les abattoirs ? On a à peu près 400 gros abattoirs plus tous les autres abattoirs en France et il y a 1700 personnes de l’État qui y travaillent. C’est ma responsabilité de faire en sorte que cela fonctionne bien. Mais ce n’est pas à quiconque d’aller s’en prendre à un éleveur. Si cela ne fonctionne pas, c’est parce que moi je dois peut-être, sûrement, améliorer des choses. Mais ne nous trompons pas de débat parce que faire des cibles des uns et des autres, je vous assure, cela ne fait pas avancer le sujet. Pire, cela crée des tensions et je ne pense pas que cela soit une bonne chose pour notre société. C’est ma responsabilité car je suis là pour protéger les Français : les éleveurs quand ils sont attaqués, les lanceurs d’alerte quand ils sont attaqués bien entendu, mais je suis là aussi pour dire qu’il y a des principes de base. Voilà. Certains le critiqueront mais je le dis avec beaucoup de force : on ne rentre pas dans une propriété privée pour écrire des mots inqualifiables. On est en république.

Sophie, étudiante en droit 

Bonjour. Merci de me donner la parole. Je ne suis pas sûre que ce soit vraiment ce que vous auriez voulu dire mais, M. le Ministre, vous êtes revenu sur l’expression « manger de la souffrance » comme si vous invalidiez dans ce propos le fait qu’on puisse parler de souffrance. Et vous avez, un peu comme argument d’autorité, invoqué je crois le discours de l’éleveuse tout à l’heure qui nous disait à quel point elle aimait ses animaux, ce que je ne remets absolument pas en question. Cependant, de son aveu même, elle nous a dit qu’elle préférait s’absenter au moment où les animaux étaient envoyés à l’abattoir, ce qui je pense, s’il n’y avait pas de souffrance, n’est pas ce qu’elle aurait fait. Ensuite, le code civil reconnaît lui-même l’animal comme un être sensible donc je ne vois pas à quel moment on pourrait reprocher à Monsieur d’avoir parlé de souffrance. Je pense donc que quand vous avez évoqué l’expression qu’il a utilisée, en fait ce que vous dénoncez c’est la tentative de « culpabilisation » peut-être, avec le fait d’avoir utilisé un langage imagé – « manger de la souffrance » – mais il me semble que cette culpabilité n’est pas née avec les végans. Les végans n’ont pas inventé la culpabilité. Le fait de pouvoir ressentir de la culpabilité est une dimension intrinsèque à l’Homme et je pense qu’elle naît plutôt des actions qui sont faites envers les animaux que du fait d’en parler ou que les végans en parlent.

Deuxièmement, vous avez fait une comparaison entre l’intrusion dans un abattoir au beau milieu de la nuit de façon illégale avec l’intrusion dans un domicile privé. Ce matin pourtant, un des intervenants parlait du bien-être animal comme un bien public global. En ce sens, je ne vois pas en quoi la comparaison à l’intrusion dans un domaine privé est pertinente.

Enfin, j’en viens à la question qui est : comment concilie-t-on les bonnes intentions que nous avons avec l’augmentation du rythme de production à l’échelle globale en particulier avec la croissance démographique qui est de 1,2 % par an, sans compter la croissance économique des pays en développement qui représentent un marché qui s’ouvre pour la consommation de la viande. La Chine s’est ouverte notamment à l’importation de bovins français depuis 2013. L’Inde s’occidentalise et de plus en plus de personnes qui étaient végétariennes ne le sont plus. Enfin, la France représente un des plus grands exportateurs de bétail en Europe avec des exportations dans plus de 40 pays dans le monde. Ma question est donc : comment peut-on s’assurer que c’est possible de [respecter les mesures pour le bien-être animal] – notamment l’étourdissement avant l’abattage – dans un cadre où le rythme de production augmente et devient effréné à tel point que pendant la crise de la Covid-19, il y avait des témoignages de personnes travaillant dans les abattoirs qui disaient qu’ils n’avaient pas le temps de faire le supplément de gestes barrières qui étaient nécessaires puisqu’ils avaient déjà un rythme de production trop important ?

Laurence Parisot

M. le Ministre, si vous le permettez, je vous donne la parole tout de suite, mais comme Marie-Thérèse a été interpelée, je pense que cela l’a touchée et j’aimerais bien qu’elle réponde d’abord.

Marie-Thérèse Bonneau

Merci pour vos remarques et vos questions, cela me permet de peut-être expliciter ce que j’ai évoqué tout à l’heure. Quand on est éleveur et qu’on est attaché à ses animaux, je pense que ce qui est le plus compliqué c’est surtout la séparation. Parce que quand on élève des animaux, on sait qu’on les élève pour qu’ils soient abattus et qu’ils servent de nourriture. Cela on le sait avant de commencer à faire de l’élevage, sinon c’est qu’on est inconscient. Le fait de ne pas forcément être présent au moment où l’animal part, c’est en lien avec le fait que la séparation est difficile et on a chacun sa façon de la gérer. Je ne veux pas faire d’anthropomorphisme mais on a chacun sa façon de gérer ces choses-là. Il y en a certains qui préfèrent se dire au revoir pendant un quart d’heure en pleurant et d’autres qui se disent que c’est comme ça, on ne les verra plus et voilà. Donc quand je vous ai parlé de cela, c’était un témoignage personnel et j’ai certainement plusieurs de mes collègues qui font différemment. C’était vraiment à titre personnel que j’ai témoigné comme cela. Je vous remercie, cela me permet d’expliciter pourquoi j’ai répondu cela tout à l’heure.

Julien Denormandie 

Votre question témoigne – et pour moi c’est un point incroyablement important à prendre en compte dans le débat – que les prises de position des uns et des autres sont extrêmement légitimes et sont extrêmement sincères. C’est-à-dire que le monsieur ou vous-même, vous êtes très sincères dans le fait de dire : « Je considère que c’est un acte de souffrance que de tuer un animal. » Vous êtes dans votre propre sincérité et je la respecte entièrement. Je dis juste que dans ma sincérité la plus entière également, j’ai conscience que quand je mange un steak, il est issu d’une vache qui a été abattue. J’en ai conscience et pour autant je mange un steak et je donne des steaks à manger mes enfants, et je suis dans ma sincérité. C’était le sens de ma réponse que de dire qu’il faut respecter les sensibilités des uns et des autres. Il s’avère que jusqu’à preuve du contraire – parfois le contraire est en train d’être démontré comme le disait Laurence Parisot – pour avoir un steak, jusqu’à aujourd’hui, il faut tuer un animal. Effectivement, à partir d’une seule cellule souche, on peut refaire n’importe quel tissu et ceux qui aujourd’hui à travers le monde font, à partir des cellules souches, des steaks de laboratoire, ce n’est vraiment pas l’avenir que je veux pour cette planète et que je veux donner à mes enfants. Vraiment pas. Mais jusqu’à preuve du contraire aujourd’hui, pour manger un steak, il faut tuer un animal. Après, certains considèrent que c’est intolérable. Je le respecte. Que ceux-là respectent aussi ceux qui considèrent que c’est tolérable et que parfois cela répond même à un besoin naturel de l’Homme. Mais c’est un débat qui doit être respecté et je ne cherche pas à convaincre ceux qui ne sont pas d’accord avec moi, je cherche juste à dire qu’il faut veiller, dans les prises de position, à garder ce respect mutuel et cet apaisement.

Je le dis avec beaucoup de conviction, je pense que dans tous les débats il y a un amalgame qui est fait entre la question de la maltraitance et la question du bien-être. J’en ai beaucoup parlé notamment avec Cédric Villani au moment de sa proposition de loi qu’il a poussée avec beaucoup de force. Il y a un débat de société. La maltraitance, il faut la condamner avec une immense fermeté. C’est pénalement répréhensible d’ailleurs : deux ans de prison et 30 000 euros d’amende. La maltraitance est un acte volontaire de nuire à un animal. C’est du pénal. Et d’ailleurs, depuis que je suis ministre, lorsque j’ai constaté un tel comportement, ma main n’a jamais tremblé et j’ai sanctionné. La maltraitance, c’est du pénal. Mais c’est différent du bien-être, parce que oui – et je comprends que ça vous choque ce que je vais dire – aujourd’hui, l’enjeu des abattoirs est d’améliorer le bien-être de l’animal dans l’abattoir. Certains vont se dire : « Je ne conçois absolument pas ce que le ministre vient de dire. » Pourtant, c’est ma conviction, il faut améliorer le bien-être. Si vous en parlez aux professionnels, ou si vous êtes dans un abattoir, vous voyez bien comment vous pouvez l’améliorer. Il s’agit au final de diminuer le stress. Mais on connaît la fin de l’histoire, et elle se termine mal pour l’animal. Des témoignages comme celui de Mme Bonneau, je pourrais vous en montrer des centaines. Mme Bonneau a parlé de séparation, cela prouve bien qu’il y a un lien qui unit l’éleveur avec ses animaux. C’est une histoire qui se finit mal pour l’animal, on le sait, la question est donc comment améliore-t-on le bien-être tout au long de la vie de l’animal ? C’est une question différente que de se dire, par principe, « je ne veux pas manger de la viande ».

La deuxième question que vous avez évoquée, c’est l’introduction dans le domicile privé et la comparaison avec le bien public. Il y a plein d’éléments qui relèvent de biens publics. Par exemple, ici, à la Sorbonne, l’éducation est un bien public. Ce n’est pas pour cela que n’importe qui peut entrer dans la Sorbonne car il y a le droit de propriété. Heureusement que vous ne pouvez pas rentrer chez quelqu’un sans lui demander l’autorisation. Vous imaginez dans quelle société on vivrait. Je confirme donc en tous points ce que j’ai dit précédemment : ce n’est pas au nom d’un bien public, qui serait la bataille pour telle et telle conviction, la plus noble soit-elle, que vous pouvez entrer chez les gens. On n’entre pas chez les gens. C’est simple, en France, dans la République, le droit de propriété privée est un droit constitutionnel. On ne rentre pas chez les gens sans leur demander, sauf quand on est des services de l’État et qu’on fait un contrôle. C’est aussi basique que ça.

Concernant le rythme de production, c’est un énorme défi, vous avez raison. Et d’ailleurs, sur ce sujet-là, je pense que ça fait partie des pistes de l’avenir de l’élevage qui est le sens de ce colloque. Prenez un élevage de volailles de chair en France : les volailles sont en moyenne moitié moins grandes que la moyenne européenne. En Ukraine, je vous laisse imaginer la différence. Aux États-Unis, je vous laisse imaginer la différence. Quel système d’élevage veut-on dans notre pays ? Je pense, et j’y reviendrai, qu’on a deux axes sur lesquels il faut travailler : le premier c’est le rôle du consommateur. La République est composée de citoyens qui décident, le consommateur a un rôle énorme. Le consommateur doit pouvoir savoir qu’en France la moyenne est plus faible en terme de densité. Donc le premier rôle, c’est le consommateur. Le deuxième rôle est celui de la protection de nos propres modèles. On en parlait tout à l’heure sur l’importation des protéines végétales, il y a un énorme sujet. Quatre-vingt pour cent de de la volaille mangée dans la restauration hors domicile est importée. Dans un supermarché vous avez surtout de la viande française donc vous savez ce que vous mangez. Aujourd’hui, je me bats – et je vais réussir, on l’aura peut-être en début d’année prochaine – pour que quand vous mangez par exemple un plat préparé, une saucisse dans un restaurant, vous sachiez d’où elle vient. Pour l’instant, comme c’est préparé, le restaurateur n’a pas à vous dire d’où vient la saucisse. C’est la loi. Je me bats pour que cette information du consommateur ne soit pas seulement dans les supermarchés mais aussi dans les restaurants. Pour que le consommateur puisse se dire : « Non, je ne veux pas de la viande qui vient de tel et tel pays, parce que je ne crois pas dans ce modèle. » Et vous avez raison, le modèle qu’on doit continuer à affiner est très compliqué vis-à-vis de l’augmentation de la population. Mais le consommateur, le citoyen, a un rôle immense.

Je voudrais partager avec vous une expérience que je fais tous les jours pour vous montrer la complexité du sujet. Vous comprendrez dans mes propos la nécessité que chacun comprenne les contraintes des autres. On a décidé – c’était d’ailleurs un engagement du Président de la République Emmanuel Macron, et Cédric Villani l’a par exemple voté ainsi que d’autres parlementaires – que dès maintenant, il fallait arrêter toute construction d’élevage de poules pondeuses en cages. On fait donc des constructions dites alternatives, en particulier en plein air. C’est une demande du consommateur et de la société très forte. Sauf qu’aujourd’hui, on arrive à monter très peu de projet parce que tous les projets nouveaux d’élevages de poules pondeuses en plein air entrainent recours sur recours. C’est la réalité. Vous connaissez l’histoire du coq Maurice. Je l’ai rencontré le coq Maurice et c’est vrai qu’il est bruyant, enfin était, parce qu’il est mort, paix à son âme. Ses propriétaires sont allés au tribunal parce qu’il faisait trop de bruit. Aujourd’hui, si vous voulez faire un élevage de volailles en plein air dans notre pays, vous avez recours sur recours. Pas plus tard que la semaine dernière, je m’entretenais avec une éleveuse qui subit une procédure deux ans et demi. Elle n’en est toujours pas sortie. Si on veut demain mettre toutes les poules pondeuses dehors, cela représente 40 millions de poules. Alors ici, à la Sorbonne, il y aurait peut-être quelques poules dans le jardin du Luxembourg tout près.

Laurence Parisot

On a fait le calcul tout à l’heure…

Julien Denormandie

C’est là où ce sujet de convergence entre les aspirations sociétales est compliqué. Si vous demandez à n’importe qui s’il préfère qu’une poule soit dans une cage ou dehors, il va répondre dehors. Mais si vous lui demandez s’il est d’accord pour que dans le champ d’à côté de chez lui il y ait plein de poules, alors là non, il fait un recours. Ce n’est pas caricatural ce que je dis, c’est la réalité de tous les jours. Ce modèle-là doit prendre en compte toutes les difficultés qu’on rencontre. C’est très important que les aspirations et les contraintes des uns et des autres soient prises en compte. Je vois certains qui disent non. Je vous assure que c’est une réalité. Si vous voulez faire un élevage de volailles en plein air aujourd’hui dans notre pays, vous mettez deux ans et demi. C’est une réalité.

Laurence Parisot

Ceci dit M. le Ministre, c’est vrai pour tous projets dans tous domaines.

Julien Denormandie 

Oui mais faire du béton ou du bois dans un immeuble n’est pas exactement sous la même pression sociétale que des poules dehors ou dans une cage, mais oui vous avez raison.

Laurence Parisot

Philippe, je crois que sur la question du modèle, vous aviez envie d’ajouter quelques points.

Philippe Mauguin

Je voulais revenir sur la difficulté de mettre toutes les parties prenantes d’accord sur ces modèles d’élevage qui seraient potentiellement gagnants pour les éleveurs en terme de rémunération et gagnants pour les animaux en terme de bien-être. Je trouve que les démarches comme le territoire d’innovation LIT Ouesterel, où l’on a dans un même projet un débat avec les filières, les éleveurs, les associations « welfaristes », les collectivités locales, les associations environnementales, les organisations de consommateurs, les distributeurs et les transformateurs sont précieuses. Elles prennent du temps au début – cela a été long pour mettre tous les acteurs d’accord, Louis peut en témoigner. C’est un temps qui peut paraître perdu, mais il est ensuite très utile pour justement essayer de traiter tous ces sujets, y compris la localisation des élevages, la façon dont on intègre vraiment le bien-être dans l’abattoir, les surcoûts que ça pose parce que c’est souvent une variable clé d’adoption. Cela a été évoqué par M. de la Fouchardière, le surcoût pour l’éleveur ou les acteurs est quand même souvent la variable oubliée. Nous plaidons donc pour que ces projets d’innovation multi-acteurs soient menés dans les territoires, concrètement. Du coup, il n’y a aucun sujet tabou : on va de la naissance des animaux jusqu’à l’abattage mais tous les acteurs sont là. Le rôle des scientifiques, ce n’est évidemment pas de décider, mais de donner des éléments scientifiques de référence sur la douleur animale, sur la conscience animale, sur le surcoût économique de telle ou telle alternative. Je pense qu’en faisant cela, on progresse, y compris dans un monde de compétition internationale où tous les standards ne sont pas les mêmes. Cela nous permet d’engager au moins concrètement les transitions.

Anne Vonesch, France Nature Environnement

Je trouve très bien ce que vous dites sur le bien-être des vaches laitières, mais le vrai problème ce sont les veaux mâles laitiers. Je pense qu’on est très mal à l’aise de vouloir prévoir l’avenir de l’élevage dans le déni du lien maternel. Je demanderais M. Mauguin de mettre à disposition des fonds, des finances conséquentes, pour mettre au point des systèmes de production laitière qui respectent le lien maternel – donc une question sur la zootechnie.

Pour M. Denormandie, le complément de réponse essentielle serait donc dans la PAC. Vous allez donc décider du plan stratégique national et vous pouvez aussi influencer ce que vont faire les régions. Là, il y a un énorme travail : il faudrait remettre à plat les aides couplées parce qu’aujourd’hui, ces aides couplées font produire des broutards pour l’export en vif pour l’engraissement intensif, soit un grand nombre de veaux laitiers qu’on va tuer jeunes pour désengorger le marché de la viande rouge. On soutient aussi avec les aides couplées des systèmes où les veaux sont anémiés volontairement en les privant d’herbe et de foin, ce qui est contre-nature et ce qui est assez absurde pour un soi-disant signe de qualité. Il faudrait donc revoir tout cela pour, à mon sens, reconstruire des aides couplées qui rémunèrent l’engraissement à l’herbe à la ferme pour les bœufs, pour les génisses, pour l’ensemble du cheptel, donc moins de naissages et aller jusqu’à la fin de vie de l’animal. C’est ce qu’on propose à France Nature Environnement.

Pour les veaux laitiers, en attendant de trouver des solutions à terme qui soit vraiment satisfaisantes, un premier pas serait de les laisser sur la ferme où ils sont nés parce que là, en général, ils sont quand même assez bien soignés. Mais il faut une aide parce que produire des viandes de veaux de boucherie ou des bœufs de cette manière, que ce soit des races allaitantes ou des races laitières, c’est très important. On peut faire des bœufs laitiers, on peut faire des veaux Holstein en boucherie si on ne peut pas faire mieux, mais qu’on les laisse à la ferme et qu’on fasse en sorte que les producteurs laitiers puissent ne pas y perdre de l’argent et qu’ils puissent en tirer un revenu quand même. En même temps, si on fait cela, on utilisera beaucoup moins d’antibiotiques, ce qui fera plaisir à beaucoup monde.

Un mot encore sur le 2e pilier de la PAC : pour les bâtiments, il faut revoir les critères de sélection qui qui financent n’importe quoi aujourd’hui. Merci beaucoup de m’avoir écoutée.

Laurence Parisot

Alors il y aura deux personnes qui vont vous répondre Madame, je ne sais pas dans quel ordre mais peut-être d’abord le ministre, puis Marie-Thérèse.

Julien Denormandie 

Alors je vais vous répondre, mais vous m’en excuserez si je vous propose de poursuivre ce débat car j’ai peur qu’on perde tout le monde si je rentre dans le détail de la mécanique des aides couplées du 1er et du 2e pilier de la PAC. Pour essayer de rendre ma réponse intelligible par tous, sur la première question : on a dans ce système européen effectivement la possibilité d’avoir ce que l’on appelle des aides couplées, c’est-à-dire des aides qui viennent en sus de l’aide que l’on appelle le « paiement de base », c’est-à-dire le paiement direct. Il s’avère qu’en France, par rapport à d’autres pays comme par exemple l’Allemagne, qui n’aime pas du tout les aides couplées, nous utilisons ces aides couplées, et notamment beaucoup dans le domaine de l’élevage. C’est une réalité, Madame a tout à fait raison de le dire. Parfois on arrive même à avoir des structures où vous avez dans le bilan d’exploitation d’élevage – je parle sous le contrôle de Mme Bonneau – dans des zones spécifiques, beaucoup plus de subventions que de revenus liés à la vente. Cela peut interroger certains. Il ne faut pas oublier que beaucoup de ces aides couplées sont en fait dirigées vers ce que l’on appelle les zones à handicaps naturels, les zones en difficulté. Prenez par exemple un élevage d’ovins dans une région un peu montagneuse, broussailleuse, la valeur ajoutée que vous apporte cet élevage dépasse très largement le fait de simplement produire de la viande. Il vous apporte ce que certains appellent de l’aménagement du territoire, ce que des pompiers vont appeler du débroussaillage sous les haies. L’agneau du Quercy par exemple, c’est le premier pompier du Lot. J’exagère et je ne voudrais surtout pas vexer mes amis pompiers, mais vous avez compris ce que je voulais dire. Et donc, à ce titre, on apporte des aides spécifiques dans un certain nombre de territoires, ce qui est une spécificité française par rapport à d’autres pays.

La question, et c’est le deuxième point de votre interrogation, est : qu’est-ce qu’on fait dans la prochaine politique agricole commune sur ce sujet ? Il s’avère que j’ai passé beaucoup d’heures à Luxembourg pour finaliser le grand cadre de la politique agricole commune avec mes homologues ministres. Au même moment, les parlementaires européens faisaient de même. Aujourd’hui, on va entamer ce que l’on appelle le trilogue, c’est-à-dire que le Parlement européen, les ministres et la Commission européenne vont se mettre d’accord sur le cadre général. Cela viendra dans les tous prochains mois. En parallèle, s’ouvre dans notre pays un exercice démocratique très important qui est la consultation du plan stratégique national. Qu’est-ce que le plan stratégique national ? Il s’agit de décider de la manière dont ce cadre, dont on connaît déjà les grandes lignes, va s’appliquer en France. Dans son application en France, il y a le débat que soulève par exemple Madame sur comment et à qui doit-on donner prioritairement les aides couplées. Aujourd’hui, on le fait selon la logique que je viens de vous indiquer, mais pour l’avenir, on doit le déterminer. Cela va commencer maintenant et on doit finaliser tout cela au printemps. C’est donc maintenant que cela se décide. À titre personnel, je suis profondément attaché à l’élevage de manière générale et particulièrement dans un certain nombre de territoires. Pour celles et ceux qui habitent dans les zones intermédiaires, au sud de l’Île-de-France où vous avez surtout et trop de monoculture parce que c’est une zone où le sol est pauvre, en fait il y a 15-20 ans, on a totalement arrêté l’élevage et aujourd’hui on se retrouve dans une impasse agricole et d’aménagement du territoire terrible. Tout ça doit être pris en compte.

Je terminerais juste pour vous dire, Madame, qu’on a obtenu avant-hier dans la nuit très tardivement une nouveauté qui est que ces paiements directs que j’évoquais, c’est-à-dire indépendamment des aides couplées qu’évoquait Madame, et c’est quelque chose d’objectivement historique pour la PAC, pour la première fois vont être conditionnés à hauteur de 20 % d’engagements environnementaux. Et dans ces engagements environnementaux, on a ajouté la question du bien-être animal. Ces engagements environnementaux ou de bien-être animal entreront donc directement en compte dans le paiement direct.

Laurence Parisot

Bravo. Mais est-ce plutôt « environnementaux » ou « bien-être animal » ou bien les deux ?

Julien Denormandie 

Cela va être déterminé dans justement ces plans stratégiques nationaux que j’évoquais.

Laurence Parisot

Il faut que ce soit les deux !

Julien Denormandie 

C’est aux États de voir comment on implémente la chose – j’ai bien entendu votre recommandation Mme Parisot.

Philippe Mauguin

J’ai été interrogé sur la recherche donc oui nous avons prévu de renforcer nos moyens sur le bien-être animal, à la fois au niveau fondamental en recrutant des chercheurs qui étudient de façon cognitive le comportement des animaux, et puis de façon plus appliquée. On va tester ce qui vous intéresse, par exemple des modes de conduite des élevages laitiers où on garde plus longtemps les veaux auprès des vaches nourrices, qui à la fois les allaitent et vont les conduire et leur apprendre le pâturage. On pourra tester ces innovations en Auvergne comme dans le Grand-Ouest, qui pourront ensuite, j’espère, être diffusées dans l’ensemble de l’élevage.

Marie-Thérèse Bonneau

En complément de ce qui vient d’être évoqué également, au niveau de la filière laitière, on finance une expérimentation dans le Morbihan pour pouvoir regarder comment on peut mieux valoriser les veaux laitiers avec un parcours effectivement plus long sur la ferme d’élevage et aussi avec plus d’accès au pâturage. Il y a tous ces travaux-là qui sont en cours et qui sont aujourd’hui financés par les éleveurs. donc on avance et on écoute, même si ça ne va pas assez vite, je l’entends.

Laurence Parisot

Il y aura une dernière question par Christophe Marie et ensuite le ministre fera un discours.

Christophe Marie, Fondation Brigitte Bardot

J’ai bien entendu vos propos notamment sur l’abattage rituel et je voulais soulever des choses qui me paraissent très contradictoires. Effectivement depuis 20 ans, on nous dit que ce n’est pas le bon moment. Il y a deux ans, quand on a été reçus par Emmanuel Macron avec Brigitte Bardot et Laurence Parisot, on ne semblait pas être dans ce discours « ce n’est pas le moment ». Au contraire, il y avait un travail qui devait être lancé pour arriver enfin à l’étourdissement des bêtes au moment de leur abattage. Le gros problème qui se pose donc aujourd’hui, à force d’entendre « ce n’est pas le moment », c’est qu’effectivement la fenêtre d’opportunité se referme. On avait des possibilités d’avancer avec la communauté musulmane ; aujourd’hui elle se radicalise sur la question et c’est vraiment très grave. Tant qu’il n’y aura pas une action politique sur cette question et bien les positions vont continuer à se radicaliser.

Julien Denormandie

Je ne sais pas si la façon que vous avez de formuler vos propos est la bonne. Surtout, ne rentrons pas dans ce débat-là.

Christophe Marie

C’est un vrai débat pourtant.

Julien Denormandie

Pas exposé comme cela, je me permets.

Christophe Marie

On parlait tout à l’heure de souffrance animale et je vous invite à reprendre le rapport Douleurs animales de l’Inrae, qui montre qu’effectivement, dans le cas d’un abattage rituel sans étourdissement préalable, un bovin peut mettre jusqu’à 14 minutes pour perdre conscience. Parfois, pendant ces 14 minutes, le bovin ne reste pas dans le box de contention, il est suspendu et découpé encore conscient. Donc là on est véritablement dans la souffrance, on ne peut pas le nier. Comme vous indiquiez tout à l’heure que vous étiez favorable à la traçabilité, au libre choix du consommateur, et bien seriez-vous d’accord pour qu’enfin les viandes issues de ce système d’abattage qui se retrouvent dans le circuit classique sans aucune indication soit étiquetées comme de la viande provenant d’un abattage rituel sans étourdissement ? Cela est un vrai problème. Au minimum, si on n’arrive pas à l’étourdissement préalable qui est pourtant une nécessité, qu’on ne trompe pas le consommateur et qu’il sache en effet quand il achète un morceau de viande qui provient d’un abattage rituel, puisque vous le savez, une grande part de ces animaux abattus se retrouvent dans le circuit classique.

Une dernière chose : quand vous opposez maltraitance animale et bien-être, déjà moi je n’arrive pas du tout à comprendre ce que vous voulez dire par là mais bon peu importe. La maltraitance effectivement c’est une évidence, il faut la condamner, mais le bien-être est une nécessité, un devoir que nous avons d’améliorer les conditions d’élevage. D’ailleurs, le bien-être animal est ce qui intervient dans les réglementations européennes ou nationales, c’est identifié : « répondre aux impératifs biologiques des animaux ». Or, il y a des systèmes d’élevage qui ne répondent pas au bien-être animal, je pense notamment aux lapins en cages, mais ce n’est pas le seul système. Donc il ne faut pas simplement se dire qu’on va lutter contre la maltraitance mais il faut véritablement avoir la volonté d’imposer le bien-être animal dans les différents systèmes d’élevage.

Julien Denormandie 

Sur le premier sujet, je redis ce que j’ai dit et je n’en dirais pas plus. Vous voyez comme moi la situation de la société dans laquelle on vit. Aujourd’hui, ce ne sont pas des discours d’estrade, vous êtes comme moi tous les jours confrontés à des tensions de plus en plus fortes. Est-ce qu’on pense véritablement que c’est le moment d’ouvrir ce débat ? À titre personnel, je ne le pense pas.

Deuxièmement, sur l’étiquetage aujourd’hui, on n’a toujours pas d’étiquetage sur le bien-être. Ce que je vous ai répondu très clairement – et surtout ne faites jamais de raccourcis dans mes propos car je vous ai répondu très clairement : je pense qu’aujourd’hui on a des sujets qu’il nous faut d’abord traiter et qui sont importants. Par exemple, le « labelling » bien-être animal aujourd’hui n’existe pas. On va peut-être commencer par cela non ? Vous ne pensez pas que c’est d’abord l’information qu’on doit donner aux consommateurs ? Moi je le pense. Vous me posez la question, je vous réponds franchement.

Deuxième élément : avec tout le respect que je vous dois, je ne comprends pas à mon tour que vous ne puissiez pas comprendre que je fasse une différence entre bien-être et maltraitance. Si abattre un animal dans un abattoir est égal, quelle que soit la façon de fonctionner de l’abattoir, à un acte de maltraitance, cela signifie que je suis le complice d’une action pénalement répréhensible. Je ne suis pas d’accord avec vous. Vous ne pouvez pas dire que c’est le cas. Vous ne pouvez pas dire cela en ce qui concerne un terme qui est inscrit dans notre code pénal. Dans votre sincérité, vous pouvez vous dire : « cet homme mange un steak et donc il est complice d’un acte faisant souffrir un animal », c’est dans votre légitimité. Tout comme vous pouvez respecter ma légitimité et celle de millions d’autres consommateurs qui considèrent qu’il importe de manger de la viande. Par contre, ce que je ne veux pas, c’est que vous puissiez en faire un amalgame, parce que je pense qu’il y a un amalgame avec un sujet de maltraitance. La maltraitance est définie par le code pénal et est pénalement répréhensible. Dans un abattoir, que se passe-t-il aujourd’hui ? La question à se poser est : comment on diminue le stress de l’animal dans l’abattoir ? C’est ça la question. Je travaille là-dessus. Je ne travaille pas sur la fermeture des abattoirs, si c’est votre demande. Mais si vous considérez qu’un abattage est un acte de maltraitance, la conséquence c’est qu’au-delà de l’aspect pénal que j’évoquais, il faudrait fermer tous les abattoirs. Quand j’ai annoncé qu’on mettait 130 millions d’euros dans la rénovation des abattoirs, je ne vous dis pas le nombre de messages et de tweets que j’ai reçus de personnes inconnues me disant que je participais au massacre. Je respecte cette sincérité, c’est ce que je disais tout à l’heure à Madame – et je crois que c’est ça qui nous oblige tous à avoir une volonté d’un débat apaisé – c’est que tout le monde est très sincère. Il y a des personnes qui sont convaincues que ce n’est pas bien et d’autres qui sont convaincues qu’ils font tout ce qu’ils peuvent. Et entre les deux, il y a le ministre, qui doit gérer le débat et qui se fait critiquer par les deux parties. Mais faisons-le dans le respect de la sincérité des uns et des autres. Non, la maltraitance et le bien-être, ce ne sont pas la même chose.

Laurence Parisot

M. le Ministre, je vous propose d’arrêter là pour cette table ronde et ce débat sur cette notion de sincérité, dont personnellement je ne doute pas à votre égard, dont je ne doute pas à l’égard non plus de tous ceux qui sont là. Je trouve aussi que ce qu’on a vu au cours de toute la journée grâce à la LFDA et à son président Louis Schweitzer, c’est une grande capacité, beaucoup plus que ce qu’on aurait pu imaginer il y a peu encore, à échanger, voire à converger et à faire des choses ensemble. Restons donc sur cet esprit-là, et si vous le voulez bien, nous allons nous éclipser de cette table ronde et je vous laisse aller au pupitre, M. le Ministre.

[1] Cérémonie d’hommage au professeur Samuel Paty, assassiné le 16 octobre 2020

[2] La proposition de loi « Animaux » de M. Villani n’a pas pu être débattue entièrement à l’Assemblée le 8 octobre 2020 faute de temps.

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