Table ronde : Assurer le bien-être des animaux est-il rentable ? – Échanges avec la salle (2020)

Échanges avec le public à la suite des deux tables rondes de la matinée dans le cadre du colloque « Le bien-être animal et l’avenir de l’élevage » organisé par la LFDA le 22 octobre 2020 au Grand Amphithéâtre de la Sorbonne.


© Michel Pourny
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Jean-Pierre Kieffer

Je voudrais commencer par remercier la LFDA d’avoir organisé ce colloque et en particulier féliciter les organisateurs et tout particulièrement son président. Je suis Jean-Pierre Kieffer, vétérinaire et président de l’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA). Le bien-être animal doit intégrer toutes les étapes de la vie d’un animal. Il y a une étape particulière sur laquelle je pense qu’on n’est pas beaucoup intervenu et j’aurais souhaité peut-être que Michel Baussier donne son avis – que nous connaissons d’ailleurs. Il y a le bien-être, il y a aussi le bien mourir et c’est choquant d’être dans un pays européen, la France, qui est le pays dans lequel il y a le plus d’abattages sans étourdissement, pour des raisons religieuses mais même en dehors de raisons religieuses. Est-ce qu’il est normal, en 2020 et les années qui suivront certainement, que l’on puisse, sur des animaux pour lesquels on a développé le bien-être, où les éleveurs ont fait ce qui était le maximum, ont répondu aux normes européennes qui sont très contraignantes, se sont attachés, souvent, à ces animaux, est-ce normal que ces animaux soient massacrés, c’est-à-dire abattus sans étourdissement, alors qu’il y a des méthodes qui existent depuis longtemps qui permettent d’insensibiliser l’animal ? Est-ce qu’il est normal encore au XXIe siècle d’avoir des abattages sans étourdissement ?

Michel Baussier

Je vais répondre en indiquant que les vétérinaires, notamment à travers leur Ordre national lorsque je le présidais, à l’occasion en 2015 du colloque que j’avais évoqué tout à l’heure, qui était intitulé « Le vétérinaire, expert du bien-être animal », avaient pris très clairement position, sans se préoccuper d’ailleurs de la question des abattages rituels. La déclaration était de portée générale, en disant que tout animal abattu devait être étourdi préalablement à la saignée. C’est quelque chose d’incontournable. Ce que nous savons aujourd’hui, grâce à la science, de l’appréciation objective de la sensibilité douloureuse, de la conscience de l’animal, nous amène à avoir dorénavant cette exigence. Je pense qu’il faut aujourd’hui laisser la place à la science devant l’obscurantisme. Et le respect dû à l’animal est une exigence morale incontournable. Point.

Ghislain Zuccolo

Je voudrais poser une question à M. Baussier par rapport à l’engagement des vétérinaires pour accompagner l’évolution des systèmes d’élevage. Je pense qu’il est certain que les vétérinaires ont un rôle important à jouer pour le bien-être animal notamment sur l’aspect santé, puisque c’est une composante essentielle du bien-être animal, ou pour prendre en charge la douleur, par exemple grâce à l’anesthésie. Il nous arrive fréquemment de travailler avec les vétérinaires, notamment quand on travaille avec des coopératives agricoles, quand on a des réunions, il y a toujours le vétérinaire qui est présent, qui peut être soit salarié de la coopérative, soit appartenir à un groupement vétérinaire par exemple. Il y a une chose qui m’a interpellé dernièrement. On a travaillé avec un groupement de vétérinaires et je demandais à ce groupement de porter peut-être plus ouvertement, de s’engager peut-être davantage dans l’évolution des systèmes d’élevage, notamment pour mieux accompagner les évolutions des systèmes d’élevage en rupture, je dis bien en rupture, avec les systèmes existants. Le vétérinaire à qui je faisais cette proposition m’a dit : « mais ce n’est pas notre rôle à nous, vétérinaires, de proposer des systèmes d’élevage en rupture ». Je dois dire que parfois j’ai l’impression que les vétérinaires ne sont pas toujours nos alliés. Je vais vous donner un exemple aussi tout récent. J’échangeais avec un « intégrateur » de veaux et je lui disais : « ce serait bien que vous fassiez un essai pour permettre aux veaux d’avoir accès à une courette extérieure ». Il en a parlé à son vétérinaire qui lui a dit : « ouh là, il ne faut pas faire ça parce que les veaux vont prendre froid ». C’était peut-être vrai notamment s’ils font un froid-chaud, ils peuvent tomber malades, et puis il risque d’avoir des problèmes de ventilation à gérer. Cela a tué dans l’œuf cette initiative qui aurait pu être prise. Je pense qu’il est important que les vétérinaires soient peut-être plus ouverts à des évolutions, qu’ils travaillent peut-être davantage avec le monde scientifique, parce qu’à chaque système d’élevage, il y a des problématiques sanitaires qui peuvent apparaître, mais ce qu’il faut, c’est ne pas tuer dans l’œuf les innovations. Il faut les accompagner et que les vétérinaires aient peut-être une attitude plus positive par rapport à ces évolutions qu’il faut forcément tester à un moment. Je voudrais bien avoir votre avis là-dessus. J’ai une deuxième question pour tout le monde. C’est sur la part de l’alimentation dans le budget des ménages. On voit qu’un problème qui préoccupe tout le monde c’est le prix de l’aliment. Je rappelle qu’après-guerre, l’alimentation représentait 50 % du budget des ménages. Aujourd’hui, l’alimentation fait 12 % du budget des ménages. Est-ce que c’est normal qu’on ait des loyers des logements à des prix astronomiques et qu’on ne puisse plus acheter des aliments de qualité à bon prix ? Ça nous dépasse peut-être un peu mais c’est aussi une réflexion qu’il faut avoir.

Michel Baussier

Réponse brève à votre première question puisque finalement vous avez apporté la réponse à la question que vous avez posée. Je ne peux que vous rejoindre sur le fait que naturellement le vétérinaire doit s’engager et répondre positivement pour conseiller l’éleveur. C’est un des conseillers de l’éleveur et de l’élevage. Il ne faut pas tirer de conclusion globale de deux expériences isolées. Les évolutions sont globales et il y a toujours dans toute population des personnes qui sont en retard par rapport à la moyenne. C’est incontestable. Je crois globalement que l’évolution est très marquée. Sous ma présidence, on avait attribué un prix de l’Ordre à un vétérinaire qui a déployé auprès des cabinets vétérinaires une démarche visant à l’éducation du vétérinaire à l’atténuation ou la suppression de la douleur – c’était sur les animaux de compagnie. Ces démarches existent également par exemple à la SNGTV qui le promeut auprès des vétérinaires praticiens exerçant dans les filières de production. De mauvaises habitudes ont pu être prises. Il n’y a pas eu partout de remise en cause. C’est vrai que les vétérinaires pendant longtemps et notamment dans les filières de production intensive, qu’on qualifie d’élevage industriel (ce qui pour mes éleveurs à moi est un oxymore) se sont adaptés à l’évolution de ces élevages, aux pathologies qui étaient parfois créées par l’intensification de l’élevage, sans pour autant avoir une démarche de réflexion éthique. Je crois que ça, c’est terminé. En tout cas, personnellement, j’ai essayé de faire en sorte qu’on évolue, qu’on se remette en cause et le mouvement est bien parti.

Alain Boissy

Je voudrais ajouter l’évolution de l’offre de formation, la formation initiale certes, mais la formation continue aussi, qui permet une meilleure prise en compte de la condition animale. J’ai cité tout à l’heure la chaire partenariale bien-être animal. Je pourrais citer de nouveau le CNR BEA, je cite aussi le réseau mixte technologique sur le bien-être animal (RMT BEA). La possibilité de suivre des formations au cours de sa carrière professionnelle est une chance pour se perfectionner mais aussi pour prendre du recul sur ses activités. Il y a beaucoup de travail avec les structures dont je viens de parler pour sensibiliser, déjà, et puis ensuite accompagner les acteurs de terrain, notamment les vétérinaires, pour que la question du bien-être animal devienne aussi un référentiel pour les gens qui ont peut-être eu une sensibilisation ancienne – il y a 30 ans l’approche du bien-être animal n’était pas à ce niveau-là. Je pense qu’il y a les outils pour ça, peut-être qu’il faut un petit coup de pouce aussi pour faciliter l’initiative de continuer à se former et à être accompagné. Il y a des structures pour cela.

Hervé Guyomard

Sur la première question, un peu en réponse à ce que dit Ghislain, cela ne s’applique pas qu’au bien-être animal. La question plus générale est celle des transitions des systèmes agricoles et alimentaires sur lequel tout le monde est engagé. Chacun avec ses contraintes. Les vétérinaires sûrement – je ne connais pas bien – les agronomes que je connais mieux aussi, les ONG, les agriculteurs également, évidemment. La transition est l’affaire de tous, y compris de la recherche et c’est ce que nous faisons à l’Inrae. Les actions se multiplient, par exemple en exigeant la séparation du conseil de la prescription, et c’est une évolution souhaitable, ou en développant des dispositifs d’innovation ouverte impliquant l’ensemble des acteurs. C’est dans cette perspective que nous travaillons au sein du LIT OUESTEREL, en collaboration avec l’AEBEA. L’idée est qu’au lieu de faire accepter son point de vue et sa décision aux autres parties, tous les acteurs se mettent autour de la table pour co-construire ensemble un compromis. Évidemment, ce n’est pas simple et cela demande beaucoup d’efforts et de temps, notamment au début, mais c’est la seule manière d’aboutir. On notera en passant que ceci s’applique non seulement au domaine agricole et alimentaire mais aussi dans de nombreux autres domaines (santé, ville, etc.) où des initiatives similaires se multiplient, dans de très nombreux pays. C’est donc que ça ne doit pas être totalement stupide ! 

Sur le deuxième point, ce que dit Ghislain est vrai : dans les pays développés, la part du budget consacré à l’alimentation est de moins en moins forte. Il faut néanmoins tenir compte de la restauration hors foyer et hors domicile qui a tendance à croître. La question qu’il convient alors de se poser est la suivante : faut-il contrecarrer cette évolution, qui reflète les préférences des consommateurs, et si oui comment ? On peut regretter les dépenses toujours plus élevées consacrées à la téléphonie mobile ; ceci ne veut pas dire automatiquement qu’il y a légitimité à ce que les pouvoirs publics interviennent pour réduire ces dépenses. En pratique, pour ce qui est plus spécifiquement du bien-être animal, la question est de savoir que faire, et comment, quand les surcoûts de production se retrouvent dans le prix du produit final. La seule manière de faire, c’est de mettre en place des politiques redistributives qui seront différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui. Il serait vain, je crois, de se reposer uniquement sur des incantations en espérant que demain, les ménages augmenteront fortement la part de leur budget consacré à la consommation alimentaire. Il est très dur d’aller contre des tendances universelles. Il faut imaginer et développer de nouvelles voies.

Séverine Fontaine

Pour donner un peu d’espoir, on a vu dans la période Covid avec les personnes qui ont travaillé à la maison des hausses spectaculaires de vente de produits de plus haute qualité dont le bio et le Label rouge. Les ventes de porc plein air Label rouge ont été multipliées par trois. Elles sont redescendues mais ont gardé une petite hausse. Je pense que c’est lié aussi à la cuisine. Certaines habitudes se sont conservées, c’est-à-dire des gens qui allaient moins en restauration hors foyer et qui amenaient leur gamelle. Enfin, je pense que les signaux qu’on a sont plutôt positifs. Il y a un attachement fort des Français à la gastronomie. On n’a pas parlé beaucoup de goût mais il ne faudra surtout pas qu’on laisse le goût de côté dans cette transformation parce que sinon on perd tout. C’est quand même l’attrait principal des clients et j’y vois un espoir : nous sommes attendus pour transformer.

Brigitte Gothière

Je suis Brigitte Gothière de l’association L214. Merci beaucoup pour ce colloque, merci pour la qualité des interventions, merci pour la thématique. On parle à demi-mots, un petit peu, pour évoquer des leviers pour le changement. On voit que l’ensemble des personnes qui se sont exprimées montrent qu’il devrait y avoir une modification des systèmes d’élevage. On voit qu’au niveau scientifique, la sensibilité voire la conscience des animaux est reconnue – voir l’expertise collective de l’Inrae en 2019. Pour autant, la réglementation, elle, ne change pas. C’est-à-dire que nos systèmes d’élevage conventionnel restent les mêmes et c’est plutôt des initiatives d’ONG, de producteurs, d’entreprises, qui font qu’il y a des évolutions. Là-dedans, le législateur ne joue pas son rôle pour justement amener le changement agricole et alimentaire. On va voir les interventions plus tard, mais comment se fait-il qu’il n’y ait pas une plus grande écoute des scientifiques ? Tout à l’heure, il n’y a pas eu de réponse apportée à cette question. Est-ce qu’il y a une oreille des pouvoirs publics par rapport aux avancées scientifiques, notamment sur les questions de sensibilité, conscience etc. ? Elles auraient dû nous amener, au vu de l’urgence éthique d’une part mais aussi environnementale, sanitaire, sociale, partage des ressources, il y a beaucoup de thématiques qui se rejoignent – à un changement des pratiques d’élevage mais aussi des habitudes de consommation. Aujourd’hui, autant on nous recommande de couper l’eau pendant qu’on se brosse les dents, autant on ne nous incite absolument pas à changer la composition de notre assiette, de diminuer la part des produits d’origine animale dans nos assiettes.

Hervé Guyomard

C’est une bonne question. Je ne partage pas votre point de vue qui serait que les pouvoirs publics ne prennent pas en compte les avancées scientifiques. On peut néanmoins considérer que c’est insuffisant ; après tout, à chacun son point de vue. Mais, par exemple, pour reprendre votre dernier point sur l’alimentation, quand l’État intervient via le Nutriscore, ce sont quand même des prises en compte des recommandations de la recherche qui se traduisent par et dans des initiatives publiques. Au niveau européen sur le bien-être animal, ce qui a été décidé par les ministres européens en charge de l’agriculture à propos de la PAC et de l’inclusion possible dans celle-ci d’un soutien au bien-être animal, c’est certes parce qu’il y a eu une pression de nombreux acteurs mais aussi parce que la science a apporté sa contribution en montrant qu’il y avait des voies possibles de progrès. Le problème est en pratique que les changements requis des systèmes agricoles et alimentaires couvrent de nombreux aspects et auront des impacts sur de nombreuses dimensions. Comme l’a très bien dit Loïc tout à l’heure, la question est bel et bien de savoir comment concilier performances environnementales – qui incluent le bien-être animal –, performances sociales et performances économiques.

Elsa Delanoue

Je rejoins parfaitement ce qui a été dit. J’ai le sentiment, mais encore une fois on aura peut-être des précisions à la table ronde de cet après-midi, qu’on a rarement été dans une époque où on parlait autant de ce sujet, y compris sur les bancs de l’Assemblée nationale. Peut-être que c’est jugé insuffisant ou pas forcément pris à bon escient ou qu’au contraire c’est une manière de parler d’un sujet qui est plutôt politiquement correct sans prendre beaucoup de risques sur des voix des électeurs, mais aujourd’hui, c’est un des sujets principaux de plein de débats politiques. Ensuite, vous avez cité plein de dimensions qui font que le sujet est indispensable, primordial, nécessaire, sans citer le sujet du point économique qui à mon avis est ce qui dirige grandement et qui freine beaucoup la mise en place de changements radicaux. Peut-être que sur le temps long, les choses atteindront des transformations plus importantes mais je pense qu’à l’heure actuelle, les choses ne peuvent qu’aller très lentement.

Louis Schweitzer

Si je peux ajouter un dernier mot, il est clair que la science avance plus vite que le droit. Ce n’est pas que dans ce domaine qu’on retrouve ce phénomène.

Alain Boissy

Je rebondis sur le temps plus ou moins long. Effectivement, la science biologique va peut-être plus vite que le droit mais la science va moins vite que les politiques. On peut penser qu’il peut y avoir un appui au niveau des consommateurs pour inciter plus une transition dans l’acte d’achat. Je parlais tout à l’heure de formation, je pense que la sensibilisation auprès des jeunes générations est vraiment un sujet important. On a dit que c’était du temps long pour changer les pratiques. On nous a conditionné quand même pendant des décennies et des décennies et cela fait qu’on a changé nos stratégies d’achat. Mais peut-être qu’on peut aussi voir, avec une démarche un peu responsable des jeunes générations, et en s’investissant dans l’accompagnement de la formation, en sensibilisant ces jeunes générations à l’éthique et à ce que représente en fait un animal, des animaux, par rapport à l’espèce humaine. Ça changera notre regard et nos attitudes et par conséquent ça nous forcera à changer nos comportements. À partir du moment où les attitudes des citoyens-consommateurs évoluent, forcément chacun pourra agir à son niveau en changeant notamment ses pratiques d’achat, et contribuer à favoriser les pratiques d’élevage plus vertueuses. On peut penser qu’il n’y a pas qu’une stratégie gagnante mais plusieurs stratégies à mettre en synergie pour favoriser les systèmes d’élevage respectant mieux les animaux et les humains qui interviennent auprès d’eux : l’accompagnement des acteurs de terrain actuels, la sensibilisation et l’éducation des nouvelles générations, la responsabilisation des citoyens-consommateurs par une information scientifiquement fondée, une incitation positive des filières à accroitre leur engagement vers des pratiques plus durables, etc.

Anne Vonesch

Je suis Anne Vonesch de France Nature Environnement. Vous avez montré les efforts de la science. Vous avez montré les efforts des entreprises et vous êtes en train de construire une alliance tout à fait remarquable. Vous avez aussi parlé de l’importance de la PAC. Comment allez-vous mettre en œuvre tous ces efforts, traduire tous ses efforts, concrètement au niveau de la distribution des moyens de la PAC ? Je vous donne quelques exemples pour montrer l’importance des enjeux. Aujourd’hui, la PAC peut financer tout et n’importe quoi, le meilleur et le pire. C’est là qu’il faut changer des choses, par exemple les critères d’éligibilité, les critères de sélection dans les régions où le bien-être animal est encore absent. Il faut mettre les bons critères. Il y a les aides couplées qui aujourd’hui n’ont aucune prise en compte du bien-être animal. Il y a les signes officiels d’identification de la qualité et de l’origine (SIQO) où on trouve le meilleur et le pire. Il y a les aides pour la méthanisation qui, en pratique, permettent de pérenniser des élevages industriels. Il y a encore de la promotion de la viande, et la Commission européenne dit « maintenant, ça va être de la viande durable ». Mais quels seront les critères et où sera le bien-être animal ?

Louis Schweitzer

C’est une très bonne question mais je pense que la bonne réponse viendra de celui qui est responsable, c’est-à-dire du ministre de l’Agriculture que nous écouterons ce soir et qui a dit qu’il répondrait à des questions qui lui seraient posées par la salle. Je vous propose donc de garder cette question pour la lui adresser parce qu’autour de la table, personne n’est le décisionnaire de la mise en œuvre de la PAC. Vous aurez ce soir la possibilité d’entendre le premier décisionnaire français de la mise en œuvre de la PAC.

Adrien

Je suis Adrien, permaculteur végan. J’avais une question justement sur le bien-être. Dès le départ, on a l’impression qu’il y a un biais dans le débat, dans le sens où la plus grosse académie de nutrition et de diététique au monde a statué sur le fait que la nourriture végétale est adaptée à tous les âges de la vie, autant les enfants, les femmes enceintes, et les sportifs de haut niveau que les personnes âgées. En fait, ce n’est pas une nécessité physiologique de manger des animaux, donc est-ce que parler de bien-être alors que ce n’est plus nécessaire de les tuer est vraiment pertinent si on se met à la place des victimes, c’est-à-dire des autres animaux ? La science a statué, la philosophie a déjà depuis longtemps statué – ou en êtes-vous dans vos recherches personnelles sur le sujet ? Sur une seule question, c’est dur d’entamer une discussion, mais est-ce que, plus tard ou à côté, vous accepteriez de parler avec moi plus en profondeur ?

Michel Baussier

Je pense que la position de telle ou telle académie n’est pas suffisante ; cela ne constitue pas un consensus scientifique en soit. Le consensus scientifique, c’est quelque chose qui s’élabore de façon progressive. Je constate simplement que l’espèce humaine est omnivore depuis deux millions et demi d’années, et nous ne sommes pas la seule espèce dans ce cas parmi le vivant. Je pense que ce que vous dites doit être entendu et est intéressant, mais s’agissant de la science, je pense qu’on n’a pas encore le consensus scientifique. J’y suis très attentif, mais je ne l’ai pas encore perçu.

Hervé Guyomard

On distingue généralement la recherche positive de la recherche normative. Au titre de la recherche dite positive, vous allez essayer d’expliquer ce qui se passe, les faits. Dans cette perspective, il faut se méfier des appréciations définitives en affirmant que ceci est entièrement noir ou, au contraire, entièrement blanc. Les végétaux, ce n’est pas tout blanc, et les animaux ce n’est pas tout noir. Les élevages peuvent également rendre des services positifs. Ainsi, en termes d’émissions de gaz à effet de serre, le remplacement des prairies permanentes par des cultures aura pour effet de déstocker du carbone, possiblement, selon vos modalités de culture, de porter atteinte à la biodiversité ou à l’eau. Le problème, c’est qu’il vous faut « quelqu’un » pour maintenir et valoriser ces prairies permanentes, c’est-à-dire des éleveurs et des ruminants. Je ne dis pas que j’ai la solution ou que la recherche à elle seule a la solution. Je dis qu’il est du devoir de la recherche d’étudier l’ensemble des avantages et des inconvénients des évolutions, et dans ce cadre fournir tous les éléments pour fonder les jugements et les choix qui ne peuvent être que des compromis sociétaux.

Alain Boissy

Au-delà des gaz à effet de serre, je voulais rappeler tous les services écosystémiques même de l’élevage via le pâturage, tels que l’accroissement de la biodiversité de la flore et de la faune pollinisatrice. Dans mon introduction, j’ai parlé de morale et d’éthique. Effectivement, on ne peut pas aller contre la morale de chacun, mais c’est à chacun de se comporter pour être le plus en résonance avec sa propre éthique. Tout à l’heure, Jean-Pierre Kieffer a rappelé que le bien-être des animaux de rente concerne à la fois le bien vivre et le bien mourir. Agir pour le bien-être animal c’est appréhender la vie de l’animal depuis sa conception jusqu’à sa mort pour innover et concevoir des améliorations. Libre à chacun d’avoir sa propre éthique en la matière mais il est important qu’il soit le moins possible en tension entre ses croyances et la réalité des systèmes d’élevage. Peut-être que grâce à la recherche, grâce aux initiatives des associations et des professionnels, grâce aussi je l’espère à l’implication de l’État, on parviendra à concilier efficacité de production et bien-être des animaux, et par voie de conséquence qualité de vie des humains.

Alain Grépinet

Je suis Alain Grépinet, vétérinaire. Lorsque j’étais vétérinaire praticien, j’ai eu le privilège d’être inspecteur d’abattoir pendant 13 ans dans deux abattoirs successifs. J’étais également inspecteur en douane. À ce titre, j’ai été témoin de milliers et de milliers d’abattages rituels. Comme l’a rappelé mon confrère Kieffer tout à l’heure, le bien-être de l’animal à l’abattoir, c’est le bien mourir. En France, comme l’a rappelé également Michel Baussier, l’animal doit être étourdi avant d’être saigné. C’est la loi. Le problème c’est qu’en France, on a accordé des dérogations. Des pays de l’Union européenne ont déjà supprimé ce type de dérogation et interdit les abattages rituels. Appelons les choses par leur nom. J’ai deux questions à poser. Qu’est-ce qu’on attend pour supprimer cette dérogation tout simplement en faisant référence à la loi de 1905 ? Dans le contexte circonstanciel particulier que nous vivons en ce moment, ce serait peut-être opportun de se pencher sur cette question. Une deuxième question, qui elle s’adresse aux politiques, en particulier aux parlementaires puisque certains pays l’ont déjà interdit, qu’est-ce qu’on attend, si l’Europe existe encore, pour uniformiser, faire voter une loi au Parlement européen qui interdirait donc définitivement ce type de dérogation ?

Louis Schweitzer

Je crains en réponse à la seconde question qu’il ne soit pas dans le pouvoir du Parlement européen de légiférer dans ce domaine pour interdire l’abattage rituel. C’est comme ça, ce sont les règles des traités de l’Union européenne. Quant à l’autre point, il a déjà été évoqué par Jean-Pierre et je crois qu’on y a déjà répondu.

Anne Claire Gagnon

Je voulais simplement rebondir sur ce qu’à la fois Brigitte Gothière a dit et ce que Séverine Fontaine a évoqué sur la revalorisation d’une alimentation équilibrée. Finalement, l’alimentation serait la première médecine selon Hippocrate. En période de Covid, on ne peut qu’y penser. Est-ce que finalement, il ne faut pas revaloriser la partie végétale avec les légumineuses et faire de la viande un plat exceptionnel (quand les bêtes sont abattues dans de bonnes conditions) ?

Séverine Fontaine

C’est une des tendances avec le flexitarisme. On doit apporter le savoir cuisiner, le savoir utiliser les différentes variétés végétales. Ça reste un choix personnel. Je pense que notre rôle, c’est d’apporter cette variété qu’on nous demande aujourd’hui, d’accompagner les consommateurs dans l’utilisation de cette variété. Ensuite, cela restera un choix personnel de chaque consommateur.

Elsa Delanoue

Et puis il ne faut pas oublier que l’alimentation est un fait social qui est en lien avec plein d’autres considérations de mode de vie, de croyances, etc. On peut nous dire qu’il est possible de ne plus manger de viande, que c’est mieux pour notre santé, mais il y a énormément d’autres paramètres à prendre en compte. Si c’était aussi simple que cela, on y passerait tous très vite. Il y a beaucoup de paramètres à prendre en compte et il y a une tendance inverse à manger beaucoup plus vite, accorder moins de temps à son alimentation, parce qu’on travaille plus, ou loin de chez soi, etc. C’est en opposition. Les sujets sont beaucoup plus complexes que juste l’alimentation seule, c’est à considérer avec plein d’autres paramètres.

Béatrice

Je m’appelle Béatrice, je suis avocate, je suis médiatrice et je suis étudiante en droit pour préparer un diplôme universitaire de droit animalier à Brive-la-Gaillarde. Je suis ravie, à mon âge, d’être encore étudiante. Vous aviez raison de rappeler qu’il faut sans cesse se former. Je voulais aussi remercier tous les intervenants parce que chacun s’est très bien exprimé, a été très clair et a apporté à ce débat. Ma question sera sur l’étiquetage. Je voulais savoir où on en est de l’étiquetage actuellement. Est-ce qu’on peut envisager plus tard un étiquetage qui nous renverrait, avec notre téléphone portable, sur l’entreprise et qui nous informerait vraiment précisément sur la façon dont est élevé l’animal mais aussi dont il est abattu ? S’il n’y pas assez de place sur les étiquettes, est-ce que par un flash avec son téléphone portable, on pourrait être renvoyée sur un site qui nous indique précisément le bien-être animal ? Où on en-on à l’heure actuelle, est-ce que vous avez besoin d’idées, combien de temps cela va prendre ?

Séverine Fontaine

L’étiquetage bien-être animal aujourd’hui est présent sur plusieurs références de volailles avec le mode A-B-C-D-E. Se développent en parallèle des blockchains sur plusieurs produits, par exemple sur la volaille et les œufs filière qualité Carrefour. On a des blockchains. Quand vous flashez sur les QR codes de ces blockchains, vous avez accès à une ouverture plus grande sur chaque étape de la vie de l’animal avec le lieu de naissance, son alimentation, le nom de son éleveur (si celui-ci est d’accord pour le donner), et on peut imaginer à l’envie de développer ce type de système qui est une demande forte également des consommateurs. Puisque chacun des consommateurs a des attentes très différentes d’informations, il faut qu’on apprenne à s’adapter à ces demandes différentes

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